Gabon: Une grande réforme judiciaire en préparation, un rapport pointe les failles du système

Après le coup d'État d'août dernier, les autorités de transition au Gabon avaient demandé des solutions aux problèmes qui minent le secteur de la justice. Le ministère avait lancé le chantier avec, en novembre, un symposium rassemblant tous les acteurs du monde judiciaire, avant de créer un groupe de travail composé d'experts chargés d'élaborer une stratégie. RFI a pu se procurer une synthèse de leur rapport qui a été remis au ministre de la Justice.

« Le système judiciaire gabonais est aujourd'hui à la croisée des chemins », indique le rapport d'experts. Prisons vétustes et surpeuplées, magistrats inféodés au pouvoir politique, lenteur des procédures... Les critiques sont récurrentes. Or, « nous avons maintenant l'occasion de repenser notre système, de regarder ce qui ne va pas », indique Juldas Levassath.

Le magistrat, directeur général adjoint aux affaires civiles du ministère de la Justice, a coordonné le groupe de travail chargé de rédiger ce document remis au ministère de la Justice, et qui doit prochainement arriver sur le bureau du chef de l'État. Ces quelque 25 experts viennent des ordres administratif, judiciaire, financier, sans compter les professions auxiliaires comme les greffiers ou les notaires. « Avec le coup d'État, une fenêtre d'opportunité s'est ouverte pour procéder à des changements en profondeur. Il faut des actions fortes. Le Gabon a des textes, mais souvent, il manque un cadre d'application conduisant ainsi à des dérives ou problèmes majeurs », déclare Juldas Levassasath.

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Le ministre de la Justice Paul-Marie Gondjout a reçu le rapport et devrait prochainement le remettre au président de la République. « C'est un travail fait de manière sincère, par les acteurs de la justice eux-mêmes, dans une forme de catharsis », dit-il.

Diagnostic sévère

Dans cet examen de conscience, les experts ont donc d'abord posé un diagnostic. Et ce dernier n'est pas tendre. Le rapport liste ainsi les dysfonctionnements liés au non-respect des normes déontologiques et éthiques, aux institutions, au management ou aux structures. Le ministre de la Justice reconnaît que « les maux sont nombreux ».

Paul-Marie Gondjout cite ainsi pêle-mêle « la vétusté des tribunaux et des cours, le manque des moyens de fonctionnement, le manque de formation des professionnels, le nombre croissant de brebis galeuses dans le système, sans compter les manquements éthiques dans le traitement des dossiers, l'ethnicisation et la politisation dans choix des magistrats ». Par exemple, les institutions judiciaires gabonaises sont pour beaucoup héritées de la colonisation. Or si en France, le système a été plusieurs fois revu, ça n'a pas été le cas au Gabon. « Notre dernière grande réforme date de 1994 », pointe Juldas Levassath.

L'un des sujets majeurs sera de revoir le fonctionnement du parquet et notamment le travail du juge d'instruction. « Il est juge et partie. Il enquête, mais il prend aussi la décision de mettre sous mandat dépôt. Donc il n'a pas assez de recul, puisque c'est lui qui instruit. Un texte est déjà en chantier pour créer un juge des libertés et de la détention qui devra prendre la décision de l'incarcération à la demande du juge ou du procureur. Il s'agira en fait d'un collège de trois juges », a détaillé le magistrat.

Par ailleurs, le juge d'instruction gère parfois 500 à 600 dossiers par an. L'une des pistes pour faciliter son travail consisterait à numériser et digitaliser les procédures. Un projet qui s'étendrait à tout le secteur judiciaire. « La plupart des procédures se font à la main. Dans le passé, le tribunal de première instance de Libreville concernait 150 justiciables. Aujourd'hui, le chiffre a été multiplié par 10 ou 15. Avec l'explosion du nombre de dossiers, les structures ne peuvent pas répondre, elles n'ont pas de mécanisme de gestion fiable, pas de système de traitement numérique », déclare Juldas Levassath.

Influence politique

Autre écueil majeur, pointé régulièrement dans l'actualité gabonaise, c'est l'influence du politique sur le judiciaire. L'expression « une justice aux ordres, inféodée au pouvoir » a été prononcé à de multiples reprises par les acteurs politiques ou de la société civile. « La constitution consacre déjà l'indépendance du pouvoir judiciaire », précise Juldas Levassath. « Mais cela dépend parfois des personnes, de leur indépendance psychologique. Un magistrat peut ne pas être libre dans sa tête, libre de prendre une décision indépendante malgré la pression politique. Il faut parfois une personnalité forte, et le courage nécessaire pour dire non. Et quelquefois cela va à l'encontre de votre carrière », estime le magistrat.

La réforme propose ainsi des garde-fou pour rendre plus difficile l'immixtion du politique. « Nous proposons une réforme de la gouvernance de la carrière des magistrats. Mais aussi dans leurs affectations, sans compter qu'il faut repenser la présence des députés au sein du Conseil supérieur de la magistrature », indique Juldas Levassath, avant d'insister sur la discipline. « Dans toutes les corporations, il y a des errements et des brebis galeuses. Mais le plus important, c'est la présence d'un cadre disciplinaire pour sanctionner ou rappeler à l'ordre les magistrats, mais aussi les professions auxiliaires, greffiers, notaires, etc. », ajoute le magistrat.

Pour ce dernier type de métier, là encore le rapport préconise du changement, et ce, dès le départ. Ainsi, le document recommande un accès plus sélectif à ce type de professions, ainsi qu'un renforcement des formations.

Prisons vétustes

Un pan de la justice en particulier avait été pointé du doigt en mars dernier : le secteur pénitentiaire. En mars, une mission du sous-comité de l'ONU pour la prévention de la torture avait réalisé une mission d'évaluation à Libreville. Ses conclusions étaient sans appel. Après avoir visité centres de détention, commissariats, gendarmeries, etc, les observateurs onusiens avaient dénoncé des « conditions de détention horribles ». Leur chef, le Marocain Abdallah Ounnir, avait pointé « le recours systématique à la détention provisoire et sa durée excessivement longue. Les droits fondamentaux des personnes présumées innocentes sont ainsi bafoués, notamment par la lenteur de la justice », avait indiqué l'envoyé onusien.

Sur la gestion des détentions et des peines, la grâce présidentielle déclarée par le président de la transition avait permis un désengorgement sans régler les problèmes de fond. « Nos prisons ont besoin d'être réformées, avec de nouvelles structures. Quelle que soit la nature du crime, tout le monde est envoyé au même endroit. Or, il faut des lieux de détention catégorisés, des prisons pour mineurs par exemple, qui aujourd'hui sont détenus avec les majeurs », rappelle Juldas Levassath.

Par ailleurs, une refonte du Code de procédure pénale a été présentée en Conseil des ministres. « Le Code pénal est aujourd'hui à l'étude. Il y a une commission sur tous les prévenus qui sont au-delà de la durée légale de détention et qui doivent être libérés. Je pense que nous sommes en train de faire des efforts importants pour faire baisser la surpopulation carcérale qui devient insoutenable et dégradante », avait à l'époque réagi Paul-Marie Gondjout. Quant aux prisons, le ministre de la Justice rappelle que le rapport d'expert recommande « la construction de prisons modernes, adaptées aux exigences internationales et aux droits humains des prisonniers. Comme les citoyens lambda, ils ont droit à un certain respect. »

Au final, les experts espèrent que le nouveau pouvoir, que ce soit durant la transition, ou après les élections prévues pour l'instant en août 2025, appliquera les recommandations du rapport. Pour Juldas Levassath, il s'agit d'une « réforme indispensable, car la justice doit être au service des citoyens, protéger leurs intérêts. D'un autre côté, elle garantit le développement économique et social. Quand une justice est fiable, crédible, c'est un garant des investissements, un gage pour attirer des investisseurs internationaux. Les autorités l'ont compris. » Le magistrat a donc espoir que les changements qu'il a préconisés avec ses collègues verront bientôt le jour et que son rapport ne finira pas au fond d'un tiroir.

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