Egypte: . Un groupe de défense des droits humains et son directeur menacés et diffamés

communiqué de presse

Des représailles font suite à ses rapports sur les activités à la frontière avec Gaza

(Washington, 26 février 2024) - Les autorités égyptiennes et des groupes affiliés ont répondu aux récents rapports de la Fondation Sinaï pour les droits humains, une organisation égyptienne de défense des droits humains qui mène des recherches sur le nord du Sinaï, région militarisée de l'Égypte, par une campagne de diffamation et des menaces contre le groupe et son directeur, Ahmed Salem, ont dénoncé 13 organisations de la société civile lundi 26 février.

Depuis la mi-février 2024, plusieurs personnalités et entités gouvernementales et pro-gouvernementales se sont lancées dans une campagne de diffamation agressive contre la Fondation Sinaï et Ahmed Salem à la télévision, dans les journaux et sur les réseaux sociaux. Ahmed Salem, militant égyptien en faveur des droits humains, qui vit au Royaume-Uni, a déclaré avoir reçu, par l'intermédiaire d'individus proches des autorités égyptiennes, des menaces selon lesquelles il serait « ramené en Égypte » s'il n'abandonnait pas son travail. Un chef local du nord du Sinaï nommé par le gouvernement, a ainsi transmis le message qu'Ahmed Salem « n'est pas trop loin pour être atteint, même à l'étranger ».

« Les autorités égyptiennes doivent immédiatement mettre fin aux menaces qui pèsent sur la Fondation Sinaï pour les droits humains et sur son directeur Ahmed Salem », a déclaré Seth Binder, directeur des activités de plaidoyer du Middle East Democracy Center. « Les autorités égyptiennes doivent assurer la sécurité de sa famille en Égypte et mettre fin à leurs campagnes de diffamation et à la répression incessante, qui dure depuis des années, contre les groupes de défense des droits humains et les organisations indépendantes. »

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Le 14 février 2024, la Fondation Sinaï a publié un rapport s'appuyant sur des témoignages, des photographies et des vidéos relatifs à la construction précipitée par les autorités égyptiennes d'une zone fortifiée à la frontière avec Gaza et Israël, dans la région égyptienne du nord du Sinaï ; selon l'organisation, le « but serait d'y recevoir des réfugié·e·s de Gaza en cas de déplacement collectif » lié au conflit armé en cours à Gaza. Ce rapport a fait l'objet d'une large couverture par les grandes agences de presse et les principaux journaux internationaux.

Ahmed Salem a déclaré que depuis le 15 février 2024, selon deux sources dans le nord du Sinaï, l'armée égyptienne multiplie les patrouilles et les points de contrôle dans la région, interceptant résident·e·s et ouvriers de la construction, et examinant le contenu de leurs téléphones portables, dans le but d'intimider les résident·e·s locaux et d'empêcher les reportages sur les travaux de construction de la zone fortifiée.

Le 17 février 2024, un présentateur d'une chaîne télévisée pro-gouvernementale et membre du Conseil suprême de régulation des médias, qui joue un rôle moteur dans la censure et la répression gouvernementale de l'information indépendante, a décrit Ahmed Salem sur la chaîne pro-gouvernementale TEN comme un agent lié à des groupes terroristes et au Mossad israélien, parmi d'autres allégations présentées sans preuve.

Le 16 février, le compte officiel X (anciennement Twitter) de l'Union tribale du Sinaï, la principale milice pro-armée du nord du Sinaï égyptien, a décrit la Fondation Sinaï sans la nommer, ainsi que des rapports indépendants, comme des efforts déployés par des conspirateurs pour « répandre du poison contre l'État égyptien ». Plusieurs pages pro-gouvernementales sur X et Facebook ont publié des photographies d'Ahmed Salem accompagnées d'allégations similaires.

Des images satellites de la zone frontalière prises entre le 5 et le 19 février et analysées par le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d'Amnesty International donnent à voir le défrichage et la construction d'un nouveau mur.

Pendant ce temps, le gouvernement égyptien a lancé une opération de relations publiques dans le but de réfuter les informations relatives à la construction de camps pour les Palestinien·ne·s dans le Sinaï. Le 16 février 2024, le service d'information de l'État égyptien a nié dans une déclaration officielle que le gouvernement se préparait à accueillir des Palestinien·ne·s dans le Sinaï et a déclaré que de telles informations « donnent une fausse impression, propagée à tort par certains, selon laquelle l'Égypte participe au crime d'expulsion (forcée) que certaines parties en Israël ont préconisé ».

Depuis plus de 10 ans, le gouvernement du président Abdel Fattah al Sisi mène des campagnes de diffamation dans les médias dans le but d'intimider les militant·e·s en faveur des droits humains et de discréditer leur travail dans le cadre d'une action à multiples facettes visant à anéantir l'espace civique autrefois dynamique de l'Égypte. Ces campagnes sont souvent menées par des présentateurs de télévision proches du gouvernement et des cercles de sécurité ou occupant des fonctions officielles, et ont parfois inclus des formes agressives de désinformation et des déclarations qui, dans certains cas, comportaient des incitations à la violence et des menaces de violence.

Ces campagnes donnent souvent lieu à une répression transnationale, prenant pour cible des défenseur·e·s des droits humains basés en dehors de l'Égypte, notamment par le biais de manoeuvres de harcèlement, d'arrestations arbitraires, de détentions prolongées et de poursuites visant des membres de la famille de personnes qui vivent en exil. Bien qu'il habite au Royaume-Uni avec sa femme et ses enfants, Ahmed Salem a exprimé la crainte que les autorités ne s'en prennent aux membres de sa famille en Égypte. La rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les défenseur·e·s des droits humains, Mary Lawlor, a déclaré le 22 février qu'elle « exhorte le gouvernement égyptien à assurer [l]a sécurité [d'Ahmed Salem] et celle de sa famille ». Le gouvernement égyptien doit prendre cet appel au sérieux et empêcher toutes les représailles contre les membres de la famille d'Ahmed Salem, ont déclaré les organisations.

La Fondation Sinaï a été l'une des principales sources d'information indépendantes et crédibles sur l'évolution de la situation dans le nord du Sinaï, où les forces gouvernementales égyptiennes, principalement l'armée, ont affronté des extrémistes armés de Wilayat Sina [province du Sinaï], un groupe armé ayant prêté allégeance à l'État islamique en 2014. L'armée et les membres de l'EI ont commis de graves violations, dont certaines s'apparentent à des crimes de guerre selon Human Rights Watch, mais les affrontements armés sont restés largement cachés, du fait des restrictions imposées par l'armée égyptienne au journalisme.

Sous le prétexte de combattre ce groupe armé, les forces de sécurité égyptiennes ont déplacé des dizaines de milliers d'habitant·e·s du nord du-Sinaï, et imposé des restrictions à la circulation des personnes et des biens, ce qui a presque entièrement interrompu les activités commerciales et économiques pendant plusieurs années. Selon les recherches effectuées par Human Rights Watch, des milliers d'habitant·e·s du nord du Sinaï ont été victimes d'arrestations arbitraires de masse, de disparitions forcées, d'enlèvements, d'actes de torture et d'exécutions extrajudiciaires. Le nord du Sinaï s'est depuis lors transformé en une zone militaire fermée, soumise à des restrictions draconiennes imposées aux médias par le gouvernement, afin d'empêcher la circulation de l'information et de restreindre l'accès aux journalistes et aux observateurs indépendants.

Bien que l'armée ait apparemment réussi à éradiquer Wilayt Sina et que ses attaques aient presque cessé depuis 2022, la région reste dans les faits une zone militaire fermée où l'information indépendante a été fortement restreinte. Les démolitions massives de maisons, la destruction de terres agricoles et les expulsions forcées par l'armée dans les zones frontalières et non frontalières figurent parmi les principales violations subies par la population locale. La zone fortifiée construite actuellement par le gouvernement égyptien comprend certaines des zones d'où la population locale a été expulsée de force.

Les autorités égyptiennes devraient immédiatement mettre un terme aux représailles contre les personnes exprimant des critiques vivant à l'étranger et cesser leur politique de tolérance zéro à l'égard des reportages indépendants, qui criminalise de fait la liberté d'association et d'expression ainsi que le travail en faveur des droits humains. Les autorités égyptiennes devraient également autoriser immédiatement les journalistes indépendants et la société civile indépendante à travailler librement dans le Sinaï et à rendre compte des griefs des habitants après une décennie d'opérations militaires soustraites à l'attention du public, ainsi que de l'impact éventuel des événements transfrontaliers sur le conflit armé en cours à Gaza.

« Au lieu d'intensifier ses efforts pour étouffer les reportages sur le Sinaï, le gouvernement devrait veiller à ce que les violations des droits humains commises au cours d'une décennie d'opérations militaires dans cette région fassent l'objet d'enquêtes indépendantes, y compris celles courageusement documentées par la Fondation Sinaï pour les droits humains », a déclaré Adam Coogle, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Signataires :

Amnesty International

Institut du Caire pour l'étude des droits de l'homme (CIHRS)

Democracy for the Arab World Now (DAWN)

DIGNITY - Institut danois contre la torture

Front égyptien des droits de l'homme (EFHR)

Forum égyptien des droits humains (EHRF)

EgyptWide for Human Rights

EuroMed Droits

FairSquare

Human Rights Watch

Service international pour les droits de l'homme

Middle East Democracy Center (MEDC)

Committee for Justice

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