L'expérience intime du rapport à l'autre faussé par le poids des préjugés, du mépris et de la haine est au coeur du racisme. Franz Fanon l'a très bien décrit et analysé en 1952 dans un livre fondamental intitulé Peau noire masques blancs. Par exemple, «dans le train, il ne s'agissait plus d'une connaissance de mon corps en troisième personne, mais en triple personne. Dans le train, au lieu d'une, on me laissait deux, trois places (...) J'existais en triple : j'occupais de la place. J'allais à l'autre... et l'autre évanescent, hostile mais non opaque, transparent, absent, disparaissait. La nausée...».
Quelques lignes plus loin, le psychiatre-écrivain qui deviendra un maître à penser pour beaucoup d'intellectuels du Tiers-monde, ajoute : «D'un homme, on exigeait une conduite d'homme. De moi, une conduite d'homme noir, ou du moins une conduite de nègre.» Amputé, confiné, rétréci dans son humanité, l'individu pris au piège du racisme est emporté dans un vaste jeu de miroirs, système complexe de représentations, où se jouent les catégories de sujet/objet, d'inférieur/supérieur, de maître/esclave, d'actif/réactif... Toutefois, ces schémas binaires portés et entretenus par le système colonial, institutionnalisés par le système d'apartheid en Afrique du Sud, sont-ils encore d'actualité après la chute de ces régimes ? A l'époque de la mondialisation, alors que les frontières locales, régionales et nationales sont censées s'estomper au profit de grands ensembles flous tels que l'Europe, les Etats Unis, l'Occident, le marché, Internet, la société-monde, est-il approprié de désigner le racisme comme un des fléaux de notre début de XXIe siècle ?
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