Mauritanie: Ould TAYA : le mandat de la dernière chance

18 Novembre 2003

Réélu le 7 novembre dernier, le Président mauritanien est condamné à réformer son pays. Les putschistes, les islamistes et même les opposants attendent au tournant ce Président qui paraît bien seul dans son pouvoir.

Depuis le début, en 1990, de son processus de démocratisation, pas moins de dix-sept scrutins électoraux ont eu lieu en Mauritanie. Des élections législatives, des municipales, des sénatoriales et des présidentielles dont la dernière s'est tenue le 7 novembre dernier. Et tous les partis de l'actuel échiquier politique mauritanien ont participé à plusieurs de ces consultations. Ceci aurait pu faire croire que le jeu politique dans ce pays a un semblant de vie saine où les citoyens expriment librement leur adhésion à tel ou tel projet politique, à tel ou tel candidat. Cela aurait pu donner le sentiment que les citoyens mauritaniens retrouvent dans les partis politiques du pays la réflexion de leurs aspirations. Il n'en est rien ! Bien au contraire, le fossé se creuse de plus en plus entre une classe politique et une population en manque de repères. Pour celle-ci, l'absence d'une réelle prise en considération de ses vraies attentes conjuguée à la suspicion mutuelle entre l'opposition et le pouvoir ne sont pas rassurants. En Mauritanie, opposition et pouvoir sont en train de travailler pour un parti tiers dont je tracerai plus loin les contours.

Au registre de la suspicion d'abord, il faut savoir que pour les partis d'opposition, le jeu politique en Mauritanie est tronqué par un pouvoir omnipotent qui détournerait et maquillerait les résultats des scrutins à son seul profit. Pour le pouvoir, il n'est guère de fraudes en Mauritanie. Selon lui, l'instauration d'une carte d'identité nationale infalsifiable, la mise à disposition de quiconque voudrait de la liste des électeurs et l'association de l'opposition dans l'organisation des scrutins sont autant de mesures qui garantissent des élections transparentes.

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Dénoncer les conditions dans lesquelles se tiennent les élections, réfuter ces accusations est devenu un rituel en Mauritanie. Mais ce jeu a atteint des sommets lors de l'élection présidentielle du 7 novembre dernier. L'opposition avait dénoncé, avant même le jour du vote, le scrutin. Le pouvoir n'a reculé devant aucun argument pour discréditer ses rivaux. Il les a même accusés de vouloir prendre le pouvoir par un coup de force.

La bataille politique est plus que rude en Mauritanie. L'affrontement tourne autour d'un seul homme : le Président de la République, Maouaya Ould Sid'Ahmed Taya au pouvoir depuis 19 ans. Le pouvoir, c'est lui. Il n'y a pas vraiment de contre-pouvoir au sein de son camp. Il fait et défait les hommes. Il règne sans en donner l'impression. Pourtant, y compris dans son cercle proche, rares sont ceux qui osent prendre des initiatives. Ould Taya est entouré d'exécutants, pas de conseillers qui donnent une impulsion à une stratégie politique et ce quel que soit le domaine.

A 63 ans, cet ancien militaire, homme cultivé et rompu à la vie politique occidentale, donne l'impression d'être seul. La dernière tentative de coup d'Etat qu'il déjoua n'a fait que renforcer ce sentiment. Le 8 juin dernier, plusieurs dizaines de soldats avaient tenté de le renverser. Son pouvoir avait vacillé pendant 48 heures. A l'issue de cette tentative, il se sépara du carré d'hommes qui lui était le plus proche parmi lesquels son directeur de cabinet près de quinze ans et un premier ministre. Le 7 novembre dernier, Ould Taya fut réélu dès le premier tour, avec plus de 66 % des voix.

Face au pouvoir, se structure dès le début des années 1990 une opposition emmenée par Ahmed Ould Daddah, le frère du premier Président mauritanien, Moktar Ould Daddah. L'objectif premier de celui-ci était de bouter hors du pouvoir l'actuel Président. Longtemps persuadés que la voie des urnes est inadéquate tant le jeu démocratique est faussé, Ahmed Ould Daddah et ses amis miseront sur les pressions internationales pour avoir raison du régime d'Ould Taya. Ils axeront alors leur stratégie à dénigrer l'image du " colonel Ould Taya et son pouvoir autoritaire ". Cette stratégie n'a pas eu les résultats escomptés car Ould Taya est toujours là et bénéficie même du soutien des principales capitales occidentales.

Aux dernières élections présidentielles, Ahmed Ould Daddah, lui, est arrivé troisième avec 7% des voix. Dans ce même scrutin, Ould Daddah avait contre lui deux autres candidats de son propre camp.

Un Président esseulé, des partis politiques discrédités et entre un pouvoir et une opposition un échange des plus vindicatifs, la vie politique désarçonne le mauritanien moyen. Le score mirobolant du Président Ould Taya n'est pas un blanc-seing à son entreprise en Mauritanie. Ould Taya est condamné à faire des réformes dans le pays. Les mauritaniens ont voté pour lui à défaut d'un opposant incarnant une possibilité de vrai changement. Il est incontestable que la Mauritanie a accompli des progrès dans bien des domaines. L'électricité, le téléphone et l'infrastructure routière, pour ne citer que ces domaines, sont à présent partout. Il est vrai aussi que les écarts se creusent entre les gens. La majorité silencieuse de ceux qui triment ne va pas continuer à voir indéfiniment une minorité qui s'enrichit de plus en plus. Pour s'imprégner de ces disparités, il suffit de faire un tour dans les quartiers périphériques de Nouakchott ou d'aller à l'intérieur du pays. Le rôle du premier Gouvernement du troisième mandat d'Ould Taya devrait être de lutter contre la pauvreté en sévissant contre les détournements des biens publics.

Signe que la pauvreté augmente en Mauritanie, la multiplication des centres caritatifs dans la capitale. Ces établissements se créent à la demande de religieux musulmans dont les fonds proviennent des pays du Golfe. Ces centres sont de plus en plus sollicités. Plusieurs ont été fermés par les autorités car leur activité avait été jugée politique. C'est vrai, devant la déception que suscitent les partis traditionnels, le discours religieux est de plus en plus entendu. Et tout cela, pendant que les partis traditionnels continuent à s'invectiver. .

Le 8 juin dernier avait donc eu lieu en Mauritanie la plus sanglante tentative de coup d'Etat de l'histoire du pays. Le militarisme s'était réveillé là-bas. Il s'agissait alors de nationalistes arabes déterminés à faire tomber le régime du Président Taya tout entier. Ces putschistes avaient échoué parce qu'ils avaient été massivement " ignorés " par la population et n'avaient pas eu son soutien. Les putschistes n'avaient pas le soutien de cette majorité silencieuse que j'évoquais plus haut. Car cette masse populaire garde ses forces pour réclamer de vrais changements pacifiques. Sa force : rien ne détournera son regard de ce souhait.

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