Soudan: Un "Lost Boy" rentre à la maison pour faire la différence

Wol Akujang
13 Février 2011

Wol Akujang faisait partie des plus de 20.000 "lost boys" qui étaient déplacés ou rendus orphelins pendant la guerre civile au Soudan. Il avait quitté son village, Pap, à l'âge de six ans et passé du temps dans des camps de réfugiés en Ethiopie et au Kenya avant d'être réinstallé au Etats-Unis. Il s'installe dans l'Etat d'Arizona où obtient un diplôme de premier cycle en santé publique à l'université d'Arizona.

Cette semaine il va rentrer après avoir voté, en Arizona, lors du referendum historique sur l'indépendance du Sud-Soudan. En 2005, le Nord et le Sud-Soudan avaient signé un accord de paix qui avait prévu le referendum. Akujang était retourné au Sud-Soudan cette année, trouvant que son père était décédé du choléra, mais que sa mère, son grand-frère et sa petite sœur se portaient bien. Il soutient financièrement un autre frère qui étudie au Kenya. Cindy Shiner de AllAfrica a interviewé Akujan avant son départ pour le Sud-Soudan où il travaillera dans le secteur de la santé publique. Ses réponses ont été rédigées dans un style narratif. AllAfrica va suivre son histoire.

Départ de la maison

Le village était isolé de Khartoum. Il n'y avait ni électricité ni accès à la technologie. C'est tout ce que nous savions. Je ne dirais pas «bien», mais pour moi c'était normal. C'était très passionnant pour nous.

Je voulais être comme les adultes du village. La vie tournait essentiellement autour de l'agriculture. Nous nous occupions du bétail dès le bas âge, aidions mon père dans les travaux champêtres, allions cultiver pour assurer la poussée des semences quand arrive la saison des pluies.

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En 1989, après six ans de guerre, beaucoup de parents étaient inquiets, particulièrement ceux qui n'avaient pas la possibilité de fuir aussi vite s'il y avait une situation d'urgence. Nous ne fuyions devant aucun coup de feu. Certains villages étaient attaqués, pas le nôtre. Il n'y avait plus de crainte qu'ils (les soldats soudanais du Nord) allaient venir.

Ils allaient vraiment venir

Mon grand-frère était assez âgé pour fuir si nécessaire et ma petite sœur était vraiment trop jeune. Je me situais entre eux. Mes parents ne voulaient pas séparer la famille, mais ils n'avaient pas le choix. En cas d'urgence, je n'étais pas capable de fuir ou de fuir pour long temps. Ce serait un fardeau supplémentaire pour ma famille. Je pense qu'ils allaient m'envoyer ailleurs pour me protéger.

Je ne me souviens pas de la date exacte, mais je peux décrire à quoi ressemblait ce jour précis. Il y avait au moins 300 jeunes enfants plus quelque 20 adultes qui allaient nous montrer comment nous rendre en Ethiopie où les parents savaient qu'il y avait un camp de réfugiés.

C'était chaotique, mais cela me paraissait normal du fait qu'il y avait d'autres enfants de mon âge. Il y en avait deux enfants – nous avons grandi ensemble. Beaucoup de parents étaient venus et s'étaient les adieux. Beaucoup d'enfants pleuraient. Ils ne voulaient pas partir. Mais en même temps mes parents savaient que c'était la meilleure décision pour moi et pour toute la famille. Nous avions quitté dans la soirée vers cinq heures.

J'étais tout seul

C'était dur, vraiment dur. La première nuit quand nous avons quitté, ma maman me manquait vraiment parce qu'habituellement j'entendais mes parents parler et quand je les appelais, ils venaient me couvrir et je dormais. Il n'y avait rien de tout cela. Nous avons marché toute la nuit et la famille me manquait beaucoup, beaucoup le premier jour. Et ainsi, le jour suivant on comprend dans quelle histoire on est embarqué.

Les camps de réfugiés

Nous étions en Ethiopie de 1989 à 1991. C'était quand le gouvernement d'Ethiopie était défait et que le nouveau ne voulait aucun Sud-Soudanais dans le pays et avait dit à tout le monde de retourner au Sud-Soudan. Nous n'avions aucun choix. Je pense que c'était vers fin avril ou mai que nous étions rentrés au Sud-Soudan et nous devions traverser le désert à la frontière entre le Kenya et le Soudan. D'avril à la fin de 1991, nous avons passé tout ce temps-là au Sud-Soudan. Pour traverser le désert nous étions transportés par ces grands camions fournis par la Croix Rouge. Ce n'était pas du tout très mauvais. Il y avait de la nourriture, il y avait de l'eau. Les très jeunes devaient prendre les camions alors que les adultes marchaient.

J'étais enthousiasmé par le fait que nous n'avions pas à avoir peur d'être bombardés par le gouvernement du Nord Soudan près de la frontière du Kenya. Deux jours auparavant, des soldats du Nord Soudan étaient à deux heures de nous, essayant de venir vers nous parce qu'ils savaient qu'il y avait un grand nombre de réfugiés là où nous étions. Nous devions partir immédiatement.

Au Kenya, j'étais enthousiaste parce que c'était un pays différent et je voulais le connaître. J'étais très curieux de savoir à quoi ressemblait ce pays et quel genre de personnes y habitaient. Avant, je ne savais même pas ce que s'était l'Afrique ni un tout autre continent.

La vie était dure (dans le camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya). Il n'y avait pas beaucoup de sécurité. Parfois, il y avait des attaques venant des tribus locales, des attaques individuelles, mais pas contre tout le village. Si quelqu'un allait seul quelque part, il pouvait se faire attaquer et tué par des tribus locales, mais en groupe on était en sécurité.

A certaines périodes il n'y avait pas de nourriture. Il y avait une distribution de nourriture qui vous permettait d'avoir une ration et un certain montant pour deux semaines. Souvent, il n'y en avait pas assez et nous devions gérer cette situation pendant cinq jour ou une semaine, en fait nous dévions étaler cette nourriture sur la période. La plupart du temps nous mangions une fois par jour. Il fallait beaucoup se battre, il n'y avait pas assez de soins médicaux, ainsi nous nous battions beaucoup contre des maladies nutritionnelles. Je me souviens que j'étais très faible.

Une éducation

C'était dur, mais c'était un plaisir d'aller à l'école. Par deux fois à Kakuma j'étais le numéro un de ma classe du CE2, CM1 au CM2, ce qui m'a donné la motivation de travailler vraiment dur à l'école. C'était vraiment bien et quand nous avions fait l'examen de fin du cycle primaire, qui est un examen national au Kenya, je m'en étais bien sorti. J'avais obtenu quelque chose comme 93. J'étais très content, ce qui m'avait beaucoup motivé de continuer les études.

C'est essentiellement à partir de là que j'ai pris conscience de ce que doit être mon avenir sur le plan académique. J'ai grandi tout seul. Je n'avais pas de modèle comme des médecins, des ingénieurs et autres. Quand l'école a commencé, nous avons débuté par apprendre tout de ces professions et ce que je pouvais devenir. Sachant ce que je pouvais faire dans l'avenir, je pouvais me définir. Aujourd'hui, je ne sais pas ce que ma vie aurait pu être si je n'avais pas quitté mon village. Me définissant par le biais de l'école signifie que je peux vraiment trouver quelque chose que je peux faire pour avoir un impact sur ma société et qui peut m'aider à l'avenir.

Le Vote

Il signifie beaucoup de chose. Il signifiait que, pour la première fois, j'avais l'impression que j'avais quelque chose à dire sur mon avenir. J'avais quelque chose à dire sur ce que devrait ressembler l'avenir du Sud-Soudan ou du Soudan. Dans le passé, les décisions étaient prises par les Soudanais du Nord et les Soudanais du Sud étaient simplement là sans être de vrais citoyens du pays. La séparation n'était pas mon premier choix, mais nous étions forcés de le faire parce que le Nord n'avait pas la volonté de changer.

Je suis enthousiaste parce que nous allons devenir indépendants et l'indépendance signifie que nous pouvons penser librement. Je peux penser à mon avenir et savoir que je peux avoir un plan sur 10 ans sans craindre que le processus politique soit interrompu par le gouvernement du Nord et toutes les autres forces qui empêchaient les Sud-Soudanais de penser à leur avenir et de rêver. (Le vote) était excitant. C'était la première fois que je voyais vu beaucoup de Soudanais très enthousiastes. Vraiment. Beaucoup de personnes s'étaient manifestées. C'était au-delà de l'espoir que nous pouvions atteindre ce niveau parce que le Nord compte beaucoup sur nous pour les ressources et le pétrole. Ce jour est arrivé parce que tant de choses se sont bien passées pour nous – la lutte, l'attention que nous a accordé la communauté internationale. Et je pense que le Nord ne sera pas aussi agressif qu'il l'aurait été si la communauté internationale ne faisait vraiment pas attention à ce qui se passe là-bas

Retour au Sud-Soudan

Je n'avais jamais pensé que j'allais vivre ce moment, surtout quand j'étais dans un camp de réfugiés. Nous savions que c'était une rude bataille – beaucoup de gens avaient sacrifié leur vie, beaucoup de jeunes gens. Nous étions si jeunes qu'ils ne pouvaient même pas penser nous amener combattre l'armée du Nord. Si j'étais assez grand, je serais certainement allé dans l'armée. Nous nous souvenons de jeunes gens qui étaient allés à la guerre et qui chantaient des chansons sur l'avenir du Sud-Soudan et qui exprimaient leur détermination à se sacrifier pour leur liberté. Maintenant, j'ai le sentiment qu'ils chantaient pour ce moment-là et combien ils voulaient que je réalise des rêves pour mon avenir et devenir une personne libre dans mon propre pays.

Je suis très enthousiaste pour ce moment-là. Je l'attends avec impatience. J'espère que quand je serai là-bas l'enthousiasme ne sera estompé par aucune sorte d'agitation venant du Nord, aucune sorte de retour de la guerre ou quelque chose de ce genre. J'étais rentré en 2005 et maintenant je pense que le gouvernement du Sud a apporté beaucoup d'améliorations. Il a travaillé et il y a beaucoup d'améliorations. J'espère que cela va continuer et qu'il n'y aura pas de retour à la guerre.

Au Soudan il y a une grande opportunité pour moi parce que j'ai une formation en biologie générale avec la chimie comme matière secondaire. J'aimerais un jour faire quelque chose dans le domaine de la santé publique et de la médecine. Je vais rentrer au Sud-Soudan parce qu'il y a là-bas une opportunité de travailler au ministère de la Santé où je travaillerai avec une équipe d'évaluation. Ce qu'ils vont faire c'est de voir ce qui doit être fait et comment les choses peuvent être améliorées. C'est vraiment ce que je veux faire.

En ce moment, je pense que le plus grand défi est d'améliorer les infrastructures dans le Sud parce que les infrastructures mèneront au développement. Les infrastructures et la sécurité sont vraiment les deux grands défis qui vont permettre le développement ou l'entraver. Il y a beaucoup d'organisations qui sont prêtes à aider, mais si les infrastructures n'existent pas rien ne pourra être fait.

Un défi personnel

Personnellement je pense que mon défi sera vraiment de découvrir le système, mais en même temps ne pas le voir comme quelqu'un qui a vécu hors du Soudan – le comprendre vraiment dans la perspective du Sud-Soudan et de ce que nous avons besoin de faire. Souvent je pense que suis Sud-Soudanais et tout connaître, mais pas vraiment parce que j'ai vécu hors du pays pendant 10 ans ou plus. J'ai vraiment besoin d'apprendre différentes façons de regarder les choses et de m'assurer que je comprends ce qui se passe sans aucun préjugé provenant de ce que j'ai appris à l'école, des médias, des lectures ou quelque chose de ce genre. Ainsi, je pense que le défi est d'être capable d'éviter tout préjugé de ma part, de voir les choses comme elles sont et d'essayer de donner un sens à ce que je vois.

Je pense que je suis naturellement patient. Ainsi, je regarderai les choses, je vais voir et je serai patient. Souvent je suis aussi frustré si je ne vois pas que le résultat de ce que je fais a immédiatement un impact. Je dois apprendre à savoir que les résultats peuvent prendre du temps et que beaucoup d'autres choses prennent du temps.

Je vais retourner au Soudan parce que j'ai ce désir de vraiment contribuer à l'avenir du pays et de profiter de l'opportunité qui m'est offerte en étant ici aux Etats-Unis, d'avoir la chance d'aller à l'école et d'accomplir un rêve. Ils ne sont pas nombreux les Sud-Soudanais qui ont eu cette chance. Je veux rentrer, connaître exactement les besoins, la manière dont les gens essaient de relever tous ces défis, quelles sortes de questions ils posent et quelles sont les questions qui seront soulevées pendant que je suis là-bas. J'ai l'impression de ne pas pouvoir connaître cela en restant ici. Je ne le saurai pas par la lecture, mais en y allant et en le vivant moi-même je sais que je peux avoir leur vraie signification et peut-être quand je reviens pour faire le deuxième cycle je pourrai chercher ces réponses après avoir eu une vraie expérience de terrain. Je n'avais pas beaucoup d'expérience avant mon diplôme de premier cycle, mais cette fois en faisant le deuxième cycle je veux vraiment savoir ce je que doit exactement faire pour atteindre le niveau suivant. Ce prochain niveau déterminerait ce que je peux faire pour vraiment améliorer la vie des gens au Sud-Soudan.

En fait, il s'agit simplement de montrer ma gratitude aux gens qui m'ont aidé tout au long de mon chemin, dont le gouvernement américain et le peuple américain qui m'ont donné la chance de venir ici. C'est la seule façon de pouvoir leur dire «merci» parce que si je peux rentrer et aider les gens du Sud-Soudan, ce sera pour moi l'occasion de montrer aux gens que mon séjour ici n'a pas été une occasion gâchée

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