Gabon: La prise de conscience écologique du pays

Lac Bleu
13 Octobre 2011

« Ici vivait un groupe de neuf nains. Un jour, un nain jeta sa hache dans l'eau, » raconte Ladislas Désiré Ndembet, debout sur la rive du Lac Bleu, dans la province de Ngounié, dans le sud du Gabon. Selon la légende du lac qu'il me raconte, les eaux étaient si claires que le nain pensa qu'elles n'étaient pas assez profondes pour qu'il ne puisse pas atteindre sa hache et la récupérer. Ainsi, il se jeta à l'eau comme le fera chacun des autres nains pour venir à l'aide.  « Les nains et la hache restèrent immergés à jamais ».

Le littoral vert du Lac Bleu est longé d'offrandes aux esprits des nains : des tasses en plastiques remplies de Fanta orange, de Coca, de tranches d'orange et de fleurs sauvages. M. Ndembet m'a amené dans la banlieue de Mouila, la capitale de la province, pour voir l'une des merveilles écologiques du Gabon et les menaces qui pèsent sur elles. Dans la lumière diffuse apparaît la couleur turquoise des eaux, mais les bulldozers ont rasé un endroit à la lisière du lac pour un centre inachevé pour visiteurs, une cicatrice saisissante provoquant l'érosion qui va éventuellement altérer la couleur de ces eaux légendaires.

M. Ndembet est le président-fondateur de Muyissi Environnement, une petite organisation provinciale qui représenterait l'avenir de la conservation de la nature au Gabon. Ancien journaliste de 42 ans, M. Ndembet a créé Muyissi en 2008 pour répondre aux énormes changements intervenus dans le paysage environnemental au Gabon.
En 2002, le président d'alors, Omar Bongo Ondimba, avait créé 13 parcs nationaux et déclaré 11 pour cent de la superficie du pays comme des réserves naturelles. La communauté internationale de protection de la nature accueillit avec enthousiasme l'annonce du président. Le Gabon devient un point focal pour les efforts internationaux pour conserver intactes certaines des plus grandes forêts tropicales du monde pour la capture du carbone et la protection d'espèces menaces de disparition.

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Dans le même temps, le Gabon, qui est à cheval sur l'Equateur au niveau de la côte ouest-africaine, est rapidement devenu la figure emblématique de la mondialisation en terme d'accès rapide aux ressources. Bien que le Gabon a été un grand producteur de pétrole en Afrique pendant des décennies, une affluence de sociétés chinoises, néerlandaises, espagnoles, malaisiennes, singapouriennes, américaines et françaises a accéléré l'exploitation du pétrole, du bois de construction et des minéraux du pays. Avec une population de 1,5 million d'habitants, le Gabon est  aussi grand que le Royaume-Uni qui a  61 millions d'habitant de plus que lui.

Actuellement, les parcs nationaux existent plus sur le papier, avec peu de protection contre le braconnage, sans infrastructures réelles pour l'écotourisme et des conflits entre des groupes ethniques qui utilisent les terres des parcs pour la chasse, la pêche, la collecte de plantes médicinales et la coupe de bois. L'actuel président, Ali Bongo Ondimba, a fermement promis d'augmenter le soutien aux parcs et a institué une politique qui empêche l'exportation de bois de construction brut – même s'il soutient «les zones de libres échanges» qui offrent des perspectives pour des projets tels que les plantations d'huile de palme qui requièrent la déforestation de grandes surfaces.
Voyant ces forces tourbillonnantes, M. Ndembet décida qu'il devait fournir une voix locale plus forte pour encourage un développement économique qui n'entrainait pas la disparition des forêts, des espèces et polluer l'eau. Il est important d'avoir des voix locales qui véhiculent des messages de protection de la nature dans des endroits comme le Gabon qui endurent des plaies causées par la colonisation française et sa récente histoire propre de la corruption.

Les messages provenant des Occidentaux concernant "la sauvegarde des forêts gabonaises» apparaissent aux yeux de M. Ndembet comme une nouvelle forme de colonisation. Depuis qu'il a grandi, en posant des pièges et en évitant les vipères dans la forêt proche, il comprend les croyances locales et les respecte. Le nom de l'organisation, Muyissy, vient du mot de l'ethnie Punu qui signifie génie, comme génie dans une bouteille. Le mot renferme également les esprits animistes qui abondent dans le monde naturel – dans les cours d'eau comme le Lac Bleu, les chimpanzés, les gorilles, les éléphants et les hippopotames de la forêt qui partagent la terre gabonaise avec les humains qui y vivent.

Nous avons pris un taxi pour le  modeste bureau de Muyissy. Les seules décorations du bureau sont des posters provenant d'organisations internationales de défense de la nature et quelques vieux ordinateurs. Le secrétaire général de  l'organisation, Jean-Christophe Mbinna, m'a confié qu'ils n'ont pas de salaires ni de source de revenue régulière. «Au Gabon, nous n'avons pas la culture du bénévolat, particulièrement dans le secteur de l'environnement», déclare M. Mbinna. Muyissy fonctionne grâce à la contribution de son principal acteur – Ndembet – tirée de son salaire modeste gagné de ses activités économiques propres.

Bien que située à près de 483 kilomètres de Libreville, la capitale, Muyissy est en partenariat avec des organisations internationales sur des questions majeures : la Société pour la conservation de la faune (WCS) sur les pratiques durables des forêts, l'Institut Jane Goodall pour apprendre aux écoliers comment vivre avec les primates tels que les gorilles et les chimpanzés, et avec l'Institut international des ressources sur un Atlas et l'évaluation des forêts. «Ils ont une expertise que nous ne possédons pas», déclare Romain Calaque, le directeur du programme pour le Gabon de la WCS, à Libreville. «Ladislas est un passionné, mais aussi un bon technicien quand il s'agit du travail écologique. De plus en plus nous établissons un partenariat avec eux plutôt que d'une autre manière», ajoute-t-il.

Etant donné la faible densité de la population du Gabon, l'existence de la chasse et de l'agriculture pose peu de problèmes pour les créatures de la forêt. Mais, selon Ndembet, le nouvel accès aux zones rurales pour les ressources extractives entraîne de  plus grandes pressions. Les travailleurs chinois de la route, qui chassent à leurs heures perdues, ou les autres travailleurs étrangers qui pratiquent l'abattage illégal des arbres sont devenus un problème croissant comme l'est le braconnage des défenses des éléphants de la forêt pour le commerce international clandestin d'ivoire.

"Nos grands-parents nous ont laissé quelque chose d'extrêmement précieux. C'est notre travail de continuer à la préserver afin que nos petits-enfants bénéficient de cet héritage», dit M. Ndembet. Ce genre de message, dit-il, résonne avec les chasseurs et les villageois qui savent déjà comment choisir la bonne période pour chasser ou se rassembler dans un endroit particulier de la forêt. «Mais les vieilles habitudes ont la vie dure », déclare M. Ndembet. Il n'est pas facile de dire aux villageois «vous ne pouvez plus manger votre crocodile». Mais quand les enfants s'opposent à la consommation de la viande de gibier parce qu'ils ont appris qu'il y va de la survie des espèces, alors les parents écoutent. «Les enfants deviennent nos porte-parole», déclare Ndembet.

Dans la soirée, M. Ndembet m'amène au Carrefour des Jeunes, un endroit animé de Mouila. La musique résonnait des haut-parleurs au coin de la rue, la fumée de brûlis emplissait l'atmosphère, des gens vendent des légumes, de la viande de gibier et des fruits empilés en haut de sacs en toile. M. Ndembet réfléchit à ma question sur la signification de la noyade des nains. «C'est une leçon sur la protection et le préservation. Nos grands-parents ont protégé le lac en racontant ce mythe. Pour nous, les esprits – Muyissy – sont encore là et ont leurs façons de parler aux humains. La perte de la hache est peut-être un signe provenant des esprits disant : Faites attention à ce que vous faites. Il y a des limites à la destruction que vous pouvez faire à la forêt», dit-il.

A long terme, la protection de l'héritage naturel du Gabon demandera aussi bien le soutien international et l'effort local pour transformer le rêve de faire des parcs de véritables zones protégées. «L'avenir du mouvement de conservation dans ce pays repose sur des personnes comme Lasislas», déclare Eric Chehoski, un américain naturalisé gabonais qui travaillait pour la WCS, maintenant employé de l'ambassade des Etats-Unis à Libreville. «Nous avons besoin d'une autre centaine de personnes comme lui. Si nous arrivions à en avoir dix, ce serait merveilleux», dit-il.

Voyez la version Anglais ici.

Daniel Glick est un co-fondateur de The Story Group, une entreprise de journalisme multimédia indépendent. Il est l'auteur de "Monkey Dancing: A Father, Two Kids, and a Journey to the Ends of the Earth."

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