Sénégal: Sall :« La situation au Mali est une préoccupation de la sous-région et du monde»

Le Président Macky Sall
28 Septembre 2012
interview

Quand Macky Sall est arrivé au pouvoir en avril, il avait promis d'adopter une démarche de rupture en changeant de ligne politique par rapport à son prédécesseur Abdoulaye Wade dont il était le   premier ministre d'avril 2004 jusqu'en juin 2007.

En marge de sa visite à New York où il participait à l'Assemblée Générale des Nations-Unies, il a accordé une interview à l'équipe d'AllAfrica. M. Sall a revisité son ambitieux agenda domestique avant de livrer son appréciation sur l'aggravation de la crise au Sahel, notamment au Mali, pays qui partage une large frontière avec le Sénégal à l'Est. Entretien.

Quelles sont vos priorités depuis votre accession au pouvoir?

L'une des priorités pour moi était d'améliorer la gouvernance démocratique et pour cela il fallait d'abord régler la grande crise qui a opposé l'ancien président au Sénégal avec la volonté de briguer un troisième mandat alors que la bataille citoyenne et politique voudrait qu'une démocratie moderne soit une démocratie où l'accès au pouvoir est réglementé, régulé de manière à ce que le pays respecte les standards démocratiques.

Donc pour éliminer toute velléité ultérieure pour un président élu de rester au-delà de la période normale, j'ai décidé de soumettre une proposition ou un projet de loi constitutionnel soit par la voie parlementaire ou par référendum pour la réduction d'abord du mandat de sept ans à cinq ans que je m'applique moi-même. J'ai été élu pour sept ans mais j'ai décidé de ne faire que cinq ans et de retourner devant les électeurs. Ca été une décision majeure. Ensuite les mandats seront limités à deux. Plus personne ne pourra faire plus de deux mandats de cinq ans.

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La deuxième mesure c'est que si l'on voit le budget de nos états en Afrique, l'essentiel des ressources sert à l'entretien de la super structure de l'Etat, c'est-à-dire le train de vie de l'Etat. Pour lutter contre cela, j'ai mis en place un gouvernement restreint qui est de vingt-cinq membres contre trente-huit pour le gouvernement précédent, parfois même quarante-cinq. Nous avons réduit également à ma demande le nombre de directions, d'agences, d'ambassades à travers le monde pour que l'essentiel des ressources aille vers les citoyens, la demande sociale. Répondre aux sollicitations des populations que ce soit sur le volet sanitaire, la prise en charge des malades parce que nous avons très peu de salariés ce qui explique que la majorité de la population n'a pas de couverture maladie, donc pas de système d'assurance maladie. C'est ainsi que l'une des priorités que j'ai assignée à mon gouvernement c'est de travailler pour qu'à partir de 2013 ou vers la fin 2013 la couverture maladie universelle soit une réalité. C'est une réforme majeure que je suis en train de mettre en œuvre tout comme le volet éducation qu'il faudrait moderniser sous l'angle de l'offre éducative mais aussi de la qualité de l'enseignement. J'ai également comme priorité la modernisation de l'agriculture puisque pour nous développer, il nous faut produire et l'agriculture reste le secteur le plus important. Mais il faut réformer notre agriculture, il faut la rendre plus moderne, plus productive de façon à donner davantage de revenus aux paysans et davantage de revenus tout simplement au monde rural.

Voilà des questions sur lesquelles je me suis engagé, y compris l'emploi des jeunes, qui passe par un système de formation. Il est vrai, l'enseignement supérieur est un moyen important mais il faut également mettre l'accent sur la formation professionnelle des jeunes apprentis. Une formation professionnelle qui donne une vocation à la jeunesse, ce qui est aussi une réponse aux besoins des entreprises. Sur ces questions majeures, nous nous sommes engagés d'ici très peu de temps, à créer à la tête de chaque région administrative un centre de formation professionnelle qui pourrait former jusqu'à 2000 apprentis voire 2500 apprentis dans chaque pôle régional.

Il faut aussi créer des infrastructures, donc des routes, des pistes de productions servant de soutien à l'agriculture, à sa modernisation. Il nous faut également insister sur l'énergie qui est un des facteurs qui bloquent le développement du Sénégal. Mais tout cela ne peut être viable si nous n'avons pas d'investissement étranger. Vous savez pour capter l'investissement étranger, il nous faut un Etat de droit. Un Etat de droit suppose une justice qui fonctionne normalement. Il nous faut lutter contre la corruption et à ce niveau, nous avons posé des actes majeurs. Il nous faut promouvoir la bonne gouvernance.

Donc sur tous ces aspects, des actes ont été posés. Des actes très forts qui font que l'impunité a été combattue. Aujourd'hui, les gens rendent compte et les dossiers qui doivent aller en justice sont effectivement entre les mains de la justice qui se prononcera sans aucune contrainte ou entrave de l'exécutif.

Après sa récente visite au Sénégal, Mme Melinda Gates affirmait que le Sénégal devait agir sérieusement pour diminuer le taux de mortalité maternelle et infantile. Est que vous envisagez de prendre des mesures pour réduire, voire éradiquer les mariages précoces, fournir des moyens contraceptifs et assurer que les bébés reçoivent une bonne nutrition ?

Absolument, je crois que Madame Melinda Gates a vu les efforts que le Sénégal fait en matière de la santé de la mère et de l'enfant. La mère et l'enfant, c'est un couple qui est inséparable. Il faut s'occuper de l'enfant depuis le ventre de sa maman. Cela veut dire qu'il faut que les femmes enceintes soient déjà suivies médicalement, ce qu'on appelle le suivi prénatal, qu'elles aient accès aux médecins, aux gynécologues, qu'elles aient des visites régulières, de façon à créer les conditions d'une naissance sans difficulté. Et pour cela nous avons décidé de rendre gratuit, l'ensemble des frais liés à l'accouchement que ce soit par césarienne ou bien l'accouchement normal. Puisque en milieu rural et même en milieu urbain, c'est encore un problème et ça la communauté nationale doit soutenir les femmes dans ce cadre là. Nous avons aussi fait de gros efforts depuis le mois de juillet pour lutter contre certaines maladies chroniques qui touchent aussi les femmes. Ces maladies chroniques sont notamment l'insuffisance rénale. Il y a les dialysés, malheureusement nous n'avions pas assez d'appareils de dialyse dans les hôpitaux et le coût de la prise en charge est tellement élevé dans le secteur privé que les personnes qui souffraient de cette affection pratiquement disparaissaient. Il y a eu de véritables efforts qui ont été faits depuis le mois de juillet dernier pour rendre gratuit la prise en charge des insuffisants rénaux dans le dispositif du secteur public, des hôpitaux publics. Et aussi grâce au soutien des Organisations non-gouvernementales, de certains partenaires, nous recevons de plus en plus d'appareils de dialyse de façon à élargir l'offre par rapport aux malades.

Les femmes tout comme les enfants, pour lesquels nous avons une politique, pour améliorer leur nutrition à travers un ciblage, pour lutter contre la malnutrition, fait que nous allons de plus en plus améliorer les conditions de vie et diminuer la mortalité infantile avec aussi tous les programmes de vaccination qui vont avec. J'ai demandé de mettre en place ce que j'ai appelé la bourse de sécurité familiale qui va être donnée aux femmes très pauvres mais qui ont des enfants afin que ces enfants suivent le programme de vaccination, que ces enfants aillent à l'école. Donc on créera ainsi les conditions d'amélioration du niveau de vie des populations les plus démunies.

Maintenant pour ce qui concerne les grossesses précoces, les grossesses non désirées, il faut une éducation, évidemment c'est ce que nous sommes en train de faire. Ce n'est pas facile mais c'est toujours une pédagogie à donner aux femmes qui sont surtout en milieu rural et dans la zone péri-urbaine. Sensibiliser sur la contraception de façon à améliorer la santé de la femme, de la mère et de l'enfant. Mais ça c'est un processus continu dans lequel le gouvernement va évidemment jouer son rôle mais aussi la société civile pourra y participer.

Certains ont critiqué votre décision de supprimer le Sénat, ce qui permettrait, à votre avis, d'épargner de l'argent pour lutter contre les inondations   qui causent beaucoup de souffrance dans le pays. Comment justifiez-vous la pertinence de votre choix et qu'est-ce que vous comptez faire pour résoudre le problème des inondations?

D'abord il faut préciser que le Sénat qu'il y avait au Sénégal était une institution où les membres, les sénateurs n'ont pas été tous élus. Il y avait entre 33 et 35% seulement qui étaient élus. Tous les autres étaient nommés par le président de la République, donc ce Sénat, n'est pas vraiment un Sénat légitime du point de vue législatif pour pouvoir légiférer au nom du peuple sénégalais. Dans la démocratie nous avons des institutions qui ont chacune une mission particulière, un pouvoir que la Constitution lui confère. Le pouvoir législatif dans le cadre du bicaméralisme comme aux Etats-Unis et en France est constitué d'une part par la Chambre des représentants et ou l'assemblée nationale où les membres sont élus au suffrage universel direct. Ils légifèrent, ils contrôlent l'action du gouvernement. Ensuite il y a une chambre haute qui est le Sénat et qui est constitué par des élus qui ont été déjà des élus locaux et ils sont élus par leurs pairs au second degré. Au Sénégal, notre sénat a été mis en place sans que cette particularité ne soit respectée. Et il y eu beaucoup de discussion autour du Sénat, autour de sa pertinence et de son maintien. J'ai considéré que le Sénégal pourrait se contenter d'une seule chambre, l'Assemblée nationale qui pouvait examiner les lois, les voter et contrôler l'action du gouvernement de façon tout à fait optimal. J'ai considéré aussi que le budget conféré au Sénat qui était autour de sept milliards CFA annuel pour l'année 2012/2013 sur une durée quinquennal ou décennal pouvait constituer des ressources importantes. Parce que sur dix ans c'était à peu près 70 milliards c'est-à-dire 140 millions de dollars. Or j'ai un programme décennal de lutte contre les inondations où il faut créer des habitats nouveaux, où il faut bâtir des systèmes de drainage des eaux, sortir les populations des inondations.

Alors, l'Etat doit donner l'exemple en faisant des économies. J'ai réduit la taille du gouvernement. Je suis en train de réduire la carte diplomatique du Sénégal, donc le nombre d'ambassades. Le Sénat même s'il est utile, on peut en faire l'économie, dans une situation où nous cherchons à faire face à la détresse des populations qui vivent les pieds dans l'eau. Au lieu de mettre des ressources pour encore acheter des véhicules pour les sénateurs parce qu'on doit le faire, je préfère donner ses missions à l'Assemblée nationale et mettre ses ressources dans le dispositif que je suis en train de bâtir avec les partenaires du Sénégal pour régler une bonne fois pour toute les problèmes d'inondation. Bien entendu la question n'est pas totalement vidée puisque j'ai engagé aussi une réflexion nationale, un dialogue national sur les institutions.

Nous verrons bien, à l'avenir, si les conditions économiques du Sénégal s'améliorent suffisamment. En ce moment-là, peut être que le Sénégal pourrait revenir vers un Sénat où cette fois-ci les membres seront élus dans le cadre d'une chambre vraiment législative. Nous n'en sommes pas là pour le moment. Il y a d'autres priorités : mettre l'accent sur la lutte contre les inondations, donner des logements et de l'habitat social aux populations, donner de l'emploi à la jeunesse. C'est pour toutes ces raisons qu'on pouvait faire l'économie du Sénat. J'ai apprécié d'ailleurs, le soutien de l'Assemblée nationale et du sénat dans la proposition que j'ai faite et qui a été adoptée.

Quelles sont les actions qui s'imposent face à la crise au Mali ? A votre avis comment la CEDEAO doit réagir face à cette situation et qu'est-ce que vous attendez de la communauté internationale?

Le Mali est dans une situation qui préoccupe non seulement la sous-région Afrique de l'Ouest, la zone CEDEAO mais c'est aussi un problème qui intéresse le monde entier puisque pour la première fois le mouvement « jihadiste »international dispose d'un territoire national à sa guise avec des aéroports et peut recevoir énormément de soutien et énormément de moyens. C'est une zone de non-droit où la drogue, les trafics d'armes, trafics de tout genre prospèrent. Donc si on ne fait rien pour d'abord reconquérir l'unité territoriale du Mali, le mouvement terroriste international   pourrait avoir un espace favorable où il pourrait développer le terrorisme à partir du Nord Mali. Nous ne devons pas l'accepter et nous ne devons pas laisser faire. La CEDEAO a dès le début de ce problème, fait des efforts énormes pour apporter des solutions. Mais aujourd'hui force est de constater que le problème dépasse la CEDEAO de par sa complexité et de par les implications d'autres pays qui sont pas membres de notre communauté mais qui sont des pays du champ comme on dit, donc frontaliers au Mali comme l'Algérie, la Mauritanie. Vous avez également le Tchad de l'autre côté. Donc il faut un espace plus large et c'est pourquoi nous avions dès le départ pensé impliquer l'Union africaine. L'Union africaine s'est impliquée pour soutenir la CEDEAO dans ses efforts et pour aussi à son tour, demander la mise en place d'une force africaine sous mandat des Nations unis donc du Conseil de sécurité. Je pense que pendant cette session, nous allons obtenir du Conseil de sécurité une résolution précise et claire qui permette   l'usage de la force armée à travers le chapitre 7 avec la mise en place d'une force africaine qui serait soutenue, sous mandat onusien, par tous les pays amis qui sont pour la restauration de l'intégrité territoriale du Mali et pour la lutte contre le terrorisme. Nous travaillons pour que cette résolution soit prise et qu'il y ait une force d'intervention au Mali.

L'interview en anglais.

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