Afrique: Babatunde Osotimehin, Directeur Exécutif de l'UNFPA - "Se servir du planning familial comme force libératrice"

15 Novembre 2012
interview

Washington, DC — Il y a près de 20 ans, 179 pays avaient pris l'engagement de fournir à leur population les soins de santé sexuelle et reproductive, dont le planning familial. C'est pour cela que le consensus atteint lors de la conférence internationale sur la population et le développement reste le principe directeur du Fond des Nations unies pour la population (Unfpa).

A travers son dernier rapport intitulé "Par choix, non au hasard", publié le mercredi 14 novembre 2012, l'Unfpa a mis en exergue une approche basée sur les droits assurant à toutes les femmes et à toutes les filles l'accès au planning familial. Dans un entretien qu'il nous a accordé, le directeur exécutif de l'Unfpa, M. Babatunde Osotimehin, décrypte les conclusions du rapport et présente l'accès au planning familial comme une "force libératrice" pour les femmes et les filles.

Quels sont les conclusions et les enseignements que l'on peut tirer de ce dernier rapport de l'Unfpa?

A travers ce rapport, nous avons montré que si le planning familial est fait selon une approche basée sur les droits, il impacte positivement la vie des femmes et des filles. Cela ne concerne pas seulement l'espacement des naissances. Il y va aussi du développement holistique de leur vie.

A titre illustratif, les jeunes femmes qui ont une éducation sexuelle appropriée sont en mesure de faire des choix dans leur vie parce qu'elles ont accès aux services et pourraient mener leur scolarité à terme. Elles pourraient aussi être à l'abri de grossesses non-désirées, d' infections ou le VIH. Dans ce sens, ces filles pourraient s'épanouir et atteindre leur pleine potentialité. Ce qui les permettra ainsi de participer activement au développement de leur communauté et de leur pays. Cette force libératrice est des plus importantes.

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Concernant les femmes mariées, elles peuvent faire un choix sur le nombre d'enfants qu'elles désirent avoir. Elles auront la latitude de gérer l'espacement des naissances et avoir le temps d'entretenir les enfants, les loger, les nourrir, les habiller et les éduquer. Une telle option est très bénéfique parce qu'elle assure un bien-être à toute la famille.

Ces femmes auront également la possibilité de mener leurs propres activités génératrices de revenus. Devant cet état de fait, elles ne seront pas dans l'obligation de s'enfermer à la maison pour s'occuper de leurs enfants dont les naissances n'ont pas été bien espacées. Je pense que cela aidera beaucoup à faire face à la pauvreté. Tout ce cheminement démontre qu'une bonne planification familiale peut placer les filles comme les femmes, au cœur du système de décision dans la communauté. Il s'agit d'être capable d'exercer le droit de choisir.Il y a aussi une question économique.

Qu'est-ce qu'il y a lieu de faire alors pour que les femmes soient préparées à faire ces choix ? Quels sont les principaux obstacles ?

Je pense que la première, c'est l'accès au planning familial. Aujourd'hui, deux cent vingt-deux millions (222 millions) de femmes des pays en développement veulent du planning familial, sans y avoir accès. C'est énorme.  La question de l'accès ne se résume pas seulement aux services mais aussi à la disponibilité physique et l'accès à l'information. Beaucoup de femmes n'ont pas la capacité de faire des choix car n'ayant pas accès à la bonne information.

Ce qui soulève la question de la disponibilité des ressources. D'un côté il y a l'offre, de l'autre il y a la demande. Nous nous sommes rendu compte que les potentialités sont énormes. Quand on offre des services de santé de la reproduction dans les pays en développement, les gens viennent pour en bénéficier. C'est quelque chose que nous devons continuer à encourager en fournissant l'accès, l'éducation et l'information pour s'assurer que les filles ou les femmes peuvent s'offrir les services de planning familial.

La seconde concerne les relations de pouvoir hommes-femmes dans certaines communautés. Surtout la capacité des femmes à faire des choix sans être contraintes par les normes sociales ou communautaires ou par ce qui se passe dans leur micro-environnement familial. Aujourd'hui, c'est un obstacle que nous avons pu surmonter dans plusieurs parties du monde.

Comment avez-vous pu réussir cela ?

Je suis convaincu que l'Unfpa a des hommes engagés, des hommes comme partenaires qui sont dans différentes situations qui leur permettent de comprendre les bienfaits du planning familial et sa signification pour la vie de leurs épouses, de leurs filles. Non seulement dans les domaines de la santé, mais aussi de l'économie, ainsi que l'effet libérateur pour pouvoir exercer le droit de choisir.

L'UNFPA dit mener une approche qui tient compte de la sensibilité culturelle.Comment établissez-vous l'équilibre entre les droits de la reproduction et la liberté religieuse?

Nous travaillons dans environ 150 pays à travers le monde. Ainsi, nous cherchons d'abord à établir le dialogue avec la communauté, à comprendre les problèmes et utiliser cela pour informer, éduquer et corriger certaines fausses informations. Il s'agit simplement d'une compréhension des sensibilités culturelles de ces communautés. Mais au finish, ce qui est plus important pour nous, c'est la possibilité de donner aux femmes le pouvoir de choisir librement et sans contrainte. Je pense que c'est le principal objectif que nous allons poursuivre.

Le planning familial est souvent abordé  dans le contexte du mariage ou de l'espacement des naissances alors que le rapport indique qu'un accent devrait être mis sur les jeunes et les personnes non-mariées. Comment changer cet axe ?

Là encore, je crois qu'il s'agit de la participation communautaire. Nous encourageons particulièrement les jeunes filles à rester à l'école jusqu'à l'âge de 18 ans, et pourquoi pas 20 ans et plus. La réalité à laquelle on est confronté tout le temps c'est le fait qu'elles aient des relations sexuelles pendant cette période. Notre capacité à sensibiliser chacun sur cette situation et à dire à la communauté que nous pouvons renforcer le pouvoir des jeunes par une éducation sexuelle complète, les amener à comprendre les risques encourus et leur permettre de faire les bons choix dans la vie. Cette démarche représente pour moi le vrai point de départ. Il s'agit ensuite de leur fournir les services adéquats en guise d'accompagnement.

Je pense que le plus important est de renforcer leur pouvoir par l'éducation et de s'assurer qu'elles comprennent les risques auxquels elles sont exposées.

Pouvez-vous nous parler des perspectives de financement pour augmenter l'accès aux services destinés au planning familial ?

Nous allons essayer de renforcer la sensibilisation auprès des gouvernements pour les amener à consacrer des fonds aux politiques de contraception et de planning familial de façon continue. C'est essentiel pour la fourniture de services aux femmes et aux filles. Je pense qu'il y a de l'espoir parce que lors du sommet de Londres sur le planning familial, nous avions des pays qui se sont vraiment engagés à hauteur de deux milliards de dollars pour de nouveaux investissements dans le domaine du planning familial.  C'est énorme et cela témoigne du fait qu'ils aient compris que c'est quelque chose qu'ils doivent prendre en charge.
Nous avons mené le plaidoyer auprès de différents gouvernements et nous avons réussi à les amener à inscrire le planning familial dans le budget de leurs pays.

Je pense que nous devons continuer à le faire parce que, après tout, l'aide au développement fournit seulement environ 10 % des ressources destinées à la santé des pays bénéficiaires. La plupart de ces fonds proviennent encore des ressources nationales. A mon avis, le seul autre plaidoyer que nous devons mener est d'inverser la tendance. Quand nous parlons de ressources nationales dans les pays en développement, une bonne partie (70 % dans  plusieurs régions de l'Afrique) est constituée de dépenses engagées. Ce qui n'est pas viable.

La population ne devrait pas être amenée à payer d'elle-même pour ces choses-là. Nous devons continuer à plaider pour un budget dont le plus grand volet porte sur une protection sociale minimale afin que chacun puisse accéder à un minimum de soins, y compris le planning familial.

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