« Aucun pays ne peut évoluer sur la base d'une langue empruntée »

23 Mai 2013
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eLearning Africa (Berlin)
communiqué de presse

Professeur Kwesi Kwaa Prah était interviewé par Alicia Mitchell

Le professeur Kwesi Kwaa Prah est le fondateur du Centre d'études appliquées pour la société africaine (CASAS), une société civile et organisation panafricaine axée sur le développement de l'Afrique à partir de recherches menées dans les domaines culturel, social, historique, politique et économique. Actuellement, à travers le projet d'harmonisation et de standardisation des langues africaines piloté par le CASAS, le professeur Prah et le CASAS œuvrent dans le but d'améliorer le taux d'alphabétisation. En formant des regroupements standardisés de dialectes africains mutuellement compréhensibles, Prah espère non seulement surmonter les obstacles linguistiques locaux forgés par la diversité des dialectes africains mais aussi éliminer définitivement les frontières bien plus conflictuelles qui sont entretenues par l'emprise omniprésente des langues postcoloniales sur tout le continent. Cet entretien avec le professeur fait partie d'un ensemble d'interviews qui figureront dans le Rapport eLearning Africa 2013, notre vaste enquête sur le développement des TIC en Afrique qui sera lancée lors de la prochaine Conférence eLearning Africa.

Me parlant depuis la ville du Cap de ses travaux autour des langues et de l'éducation, Prah affirme que les questions autour de l'intérêt de parler des langues locales en Afrique sont elles-mêmes hors sujet. « Chaque langue est importante. L'islandais est important. L'italien est important. Le grec est important. Pourriez-vous vraiment demander à quelqu'un originaire de l'un de ces pays si la langue qu'il parle est importante ? Dans le même esprit, les langues africaines devraient pouvoir s'épanouir. Nous ne parlons pas des « langues autochtones » de France, de Slovaquie ou de République tchèque, alors pourquoi insistons-nous pour parler en ces termes lorsqu'il s'agit de l'Afrique ? »

Malgré l'objectif national et aussi international visant l'alphabétisation et l'éducation en Afrique, en partie motivé par l'échéance prochaine fixée pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement, tous les programmes et politiques en résultant sont trop souvent déclinés dans les langues des anciennes puissances coloniales – notamment en anglais, en français et en portugais – excluant par voie de conséquence la majorité et ceux se trouvant dans le besoin. « Aucun pays ne peut évoluer sur la base d'une langue empruntée et comprise uniquement par une minorité », déclare Prah. Seuls dix pour cent des Africains peuvent parler le français, le portugais ou l'anglais couramment. Ces langues ne peuvent être les seules langues dans le développement de l'Afrique.

Le problème ne consiste pas simplement à se défaire des vestiges du passé mais à convaincre les personnes, à chaque niveau de la société africaine, que discréditer le statut des langues africaines ne sert les intérêts de personne. « Ce n'est pas uniquement une question d'arrogance occidentale », explique Prah, « mais aussi de complicité africaine. La puissance culturelle de l'élite africaine repose sur le fait qu'ils sont des adeptes expérimentés des langues postcoloniales. Ils inculquent un nouvel ordre colonial qui exclut la majorité des structures du pouvoir. » Prah a reçu le soutien de certains gouvernements dans son travail avec le CASAS, mais d'une manière générale, il y a eu peu de reconnaissance officielle.

Néanmoins, il suggère que même ceux occupants des postes au sein du pouvoir se laissent imposer des limites par les mêmes hiérarchies coloniales du passé. « Il y a des adeptes de seconde main de ces cultures. Par conséquent, ils se positionnent en fait eux-mêmes à l'échelon de subalternes. Ceci peut mener à surplus de tension qui peut exploser. »

En tant qu'exemple à suivre de pays africains suscitant l'inspiration, Prah désigne le Vietnam et ses voisins d'Asie du sud-est, la Malaisie et l'Indonésie. « Le Vietnam est l'une des économies les plus florissantes du monde. Ils ont cessé d'utiliser la langue de leurs colons français : c'est précisément la raison pour laquelle ils prospèrent. »

La langue, l'éducation et, avec l'essor permanent de l'apprentissage soutenu par les TIC, les technologies sont des co-agents du changement dotés d'un potentiel énorme. Cependant, le professeur Prah constate que l'absence actuelle de langues postcoloniales dans la majorité des « solutions » en matière d'éducation apportées sur le continent, les TIC et l'éducation demeurent inaccessibles à l'écrasante majorité : « L'éducation reste un privilège pour l'élite occidentalisée. Nous parlons de développement à travers l'éducation et la formation, mais en quelle langue ? »

Le réflexe instinctif face à de tels arguments est souvent de répondre que l'investissement et la technologie pour ces produits issus des TIC viennent de l'étranger – des États-Unis, d'Europe ou d'Asie – et utiliser des langues « internationales », telles que l'anglais ou le français, sont les seules options économiquement viables, mais Prah n'est pas d'accord. « Quelques langues africaines sont parlées par cinquante ou soixante millions de personnes. Il serait judicieux d'un point de vue économique de développer des produits pour ce marché. » D'après Prah, « si nous persistons à prétendre que les langues africaines ne sont pas importantes en vue d'aboutir à « l'éducation pour tous », nous passerons notre vie à attendre que 90 % des Africains deviennent Anglais ! ».

Malgré le travail enthousiaste des organisations telles que le CASAS, Prah admet que le mouvement en faveur du soutien des langues africaines en tant que voie vers le progrès en est encore « à des balbutiements sans grande conviction ; il ne verra pas le jour maintenant ». Néanmoins, il évoque avec confiance le précédent historique qui prouve que la démocratisation de la langue est un précurseur nécessaire à la démocratisation d'une société. « Aussi longtemps que l'Europe a utilisé le latin comme langue du pouvoir et du monde universitaire, les connaissances sont restées entre les mains des moines, des aristocrates et des intellectuels. Seules les langues communes – les langues de la rue – peuvent aboutir à une avancée démocratique. De la même manière, aussi longtemps que les TIC en Afrique reposeront uniquement sur l'anglais, le français et le portugais, nous n'aboutirons à rien. » Le savoir est le pouvoir et la langue est l'élément fondamental dans l'acquisition et la dissémination des connaissances.

Le message essentiel que le professeur Prah est déterminé à partager avec les gouvernements, investisseurs, organisations de développement et le monde en général est simple : aussi longtemps que les Africains seront sensés utiliser des langues qui ne sont pas les leurs, aucune avancée ne sera faite. « Les TIC sont extrêmement importantes – elles font avancer le monde et sont d'un grand intérêt intellectuel – mais sans les langues africaines, nous ne pouvons pas faire de différence entre les Africains. Nous ne pouvons pas faire avancer l'Afrique sans langues africaines. »

Le professeur Kwesi Kwaa Prah a fondé le Centre d'études appliquées pour la société africaine (CASAS, casas.co.za) en 1997. Le CASAS œuvre en tant que réseau de chercheurs au sein de l'Afrique et parmi la diaspora africaine. L'organisation se concentre sur les « questions culturelles et leur rapport au développement ainsi que la recherche de base en matière de structure de la société africaine ». Ces dernières années, le CASAS s'est focalisé sur les langues africaines, ce qui a conduit à la production de diverses publications, dont des dictionnaires et documents de recherche axés sur diverses langues africaines.

Outre les statistiques les plus récentes qui éclairent sur l'impact des TIC et de l'eLearning en Afrique, le Rapport eLearning Africa dévoile les expériences, les sincères croyances et les aspirations des personnes sondées. Le Rapport contient par ailleurs onze entretiens d'experts en eLearning de premier plan – et dont vous avez pu lire un extrait. Les données brutes, en dépit de leur importance, ne donnent qu'un aperçu limité ; c'est pourquoi ces entretiens visent à approfondir et élargir la portée du Rapport tout en reflétant l'actuelle complexité des TIC en Afrique. Plusieurs des personnes interrogées, dont le Professeur Prah, seront présentes à la conférence eLearning Africa pour le lancement du Rapport qui sera, dans la foulée, mis à diposition gratuitement sur notre site Internet.

 

 

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