Afrique: Mamadou Biteye - 'Pour ses 100 ans, Rockefeller cible les nouvelles villes africaines en pleine croissance'

Economiste agricole de formation, Mamadou BITEYE est le directeur général pour l'Afrique de la Fondation Rockefeller
5 Novembre 2014
interview

Économiste agricole de formation, Mamadou BITEYE a travaillé dans plusieurs régions du continent africain pour des organisations aussi diverses que la Fondation africaine pour le développement, Oxfam et l'Union mondiale pour la nature. Il est titulaire de deux diplômes de master et d'une licence ès sciences et parle cinq langues.

En sa qualité de directeur général pour l'Afrique de la Fondation Rockefeller, il supervise les initiatives à l'échelle continentale à partir du bureau régional de la fondation à Nairobi, au Kenya. Il s'est adressé à AllAfrica au sujet de la fondation pour ses 100 ans.

La Fondation Rockefeller est en train de vivre son centenaire. En quelques mots, qu'est-ce que l'objectif «de promouvoir le bien-être de l'humanité» signifie pour une institution vieille d'un siècle?

En 1913, John D. Rockefeller a défini la mission de ce qui allait devenir la Fondation Rockefeller. Cette mission, qui est en fait une mission intemporelle, est une question sur laquelle la fondation travaille dur pour la mettre en œuvre, mais aussi quelque chose que la fondation réexamine régulièrement parce que le monde dans lequel nous vivons est un monde dynamique. La signification de «promouvoir le bien-être de l'humanité» d'il y a 100 ans est différente de celle de nos jours.

Dans la perspective de l'année du centenaire, la fondation a revisité ou réexaminé cette mission afin de comprendre sa signification dans le monde du 21ème siècle. Parmi les nombreuses tendances mondiales que nous avons examinées, nous avons constaté que deux étaient vraiment primordiales.

L'une de ces tendances est l'inégalité croissante, inégalité entre les individus, entre les pays, entre les communautés, ce qui laisse une partie de la communauté internationale vulnérable à l'exclusion de l'économie mondiale. Cela a conduit la fondation à se fixer deux objectifs.
L'un d'eux est la construction d'économies d'inclusives pour voir comment nous pouvons nous assurer que les avantages de la mondialisation sont partagés. Comment pouvons-nous multiplier les opportunités économiques qui permettraient aux populations les plus pauvres et les plus vulnérables d'accéder à des ressources, des informations, des compétences et les partenariats nécessaires pour mieux se rendre compte de leurs potentialités?

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Le deuxième changement fondamental que nous avons vu est la vulnérabilité croissante des populations face aux chocs et aux contraintes. S'il y a un élément qui a été vraiment constant au cours des dernières années, c'est la multiplicité des chocs et des contraintes. Se préparer face à ces chocs est vraiment important pour augmenter le bien-être de la population.
Un deuxième objectif est le renforcement de la résilience. Nous la définissons comme le renforcement des capacités des personnes, des communautés et des systèmes afin d'anticiper et de résister aux chocs mais également d'être en mesure de venir à bout de ces chocs de plus en plus intenses.

Ce sont ces deux objectifs que la fondation poursuit à travers ses quatre domaines d'action: le développement de la santé, la revalorisation des écosystèmes, la sécurisation des moyens de subsistance et la transformation des villes. Ces objectifs découlent de la réévaluation de notre mission face aux changements et au dynamisme du 21ème siècle.

Y a t-il des difficultés particulières pour la réalisation de ces objectifs en Afrique?

Je pense que l'Afrique est dans une position unique, bien que la question de la construction d'économies inclusives soit vraiment un défi mondial. Pour ce qui est des ressources, presque partout dans le monde, une petite partie de la population se taille la part du lion.
Partout dans le monde, les pays ont été mis au défi de se remettre de la crise économique et financière mondiale de 2007 à 2008. L'Afrique ne fait pas exception.

De façon générale, le défi particulier pour l'Afrique est que le continent continue d'enregistrer des taux de croissance élevés. L'histoire de la croissance de l'Afrique est partout. Pourtant, une grande partie de la population africaine ne voit pas les avantages de cette croissance. Elle ne se traduit pas directement dans leurs poches ou sur leurs tables à manger. Il est très important de résoudre ce problème.
Si vous regardez également la question des contraintes et des chocs, nous constatons que la plupart des pays africains sont mal préparés pour faire face à ces contraintes en raison du manque de planification globale et dans une optique de résilience.

Les gagnants de l'édition 2014 du défi des 100 villes résilientes, seront annoncés le 3 Décembre - en quoi cela correspond avec les priorités et les préoccupations de la Fondation?

L'Afrique a connu l'urbanisation la plus rapide, avec les défis de la congestion, des infrastructures, des prestations de services et de la croissance des bidonvilles. Le concept des 100 villes résilientes est une opportunité pour les Africains de repenser la ville, et pas seulement en termes de développement urbain mais dans le but de développer des villes avec la capacité de résilience. Lorsque nous parlons de résilience, ce n'est pas seulement face à des catastrophes naturelles. Il est important que les Africains envisagent les différentes dimensions, que ce soit la résilience sociale, la résilience économique ou les infrastructures en vue de la gestion des catastrophes naturelles.

Seul deux sur les 33 villes sélectionnées lors du premier tour étaient africaines.

Au cours de la première année du challenge en 2013, nous avons reçu un nombre respectable de demandes émanant de villes africaines. Ces demandes étaient différentes des celles des autres villes du monde, car en Afrique, quand on parle de villes, on raisonne toujours en termes de planification et de développement urbain plutôt que d'apporter vraiment l'optique de la «résilience face aux chocs».
Cependant, je dois dire qu'il y avait des demandes très intéressantes et pertinentes. Dans le premier lot de 33 villes, deux villes africaines ont soumis des demandes d'une très grande qualité et ont été sélectionnées. Ces villes sont Durban en Afrique du Sud et Dakar au Sénégal.
En tant que fondation, nous avons beaucoup appris en analysant toutes les demandes que nous avons reçues. Naturellement, l'équipe a travaillé pour intégrer les enseignements acquis dans le challenge 2014. Les questions étaient différentes, les domaines auxquels les villes devaient se préparer étaient plus précis. Nous avons essayé de mobiliser les partenaires du monde entier pour sensibiliser les villes africaines mais aussi les mettre en relation avec les ressources appropriées pour les aider à préparer leurs demandes.

Pour le deuxième tour, qu'est-ce que vous avez fait pour encourager des demandes plus nombreuses et solides de la part des villes africaines?

L'effort de résilience est vraiment un effort de collaboration. Ce n'est pas seulement la responsabilité des autorités municipales. Bien sûr, elles doivent être au premier plan, mais cela implique également d'autres entités gouvernementales, quand on sait que les municipalités ne disposent que de très peu de responsabilités décentralisées. La plupart des responsabilités ou des secteurs requis dans le renforcement des compétences de résilience sont concentrés dans les administrations centrales.

Aussi, cela requiert la contribution au quotidien des populations qui font face aux défis. Le secteur privé, les organisations de la société civile et les autres doivent apporter la diversité et la multiplicité des points de vue afin de rendre ces plans de résilience beaucoup plus compréhensifs. Tout cela a été fait pour améliorer la qualité des demandes des villes africaines.
Nous avons beaucoup appris et nous allons continuer à apprendre dans ce processus. Il se poursuivra pendant trois ans, de sorte que chaque année, nous puissions améliorer le processus du challenge et le rendre beaucoup plus collaboratif et plus ciblé.

Les villes sélectionnées sont financées pour recruter un «responsable de la résilience» ainsi que pour disposer d'une assistance et des outils en vue d'aider à mettre en œuvre leurs stratégies de résilience. La collaboration avec les villes pour mettre en place une plus grande résilience constitue-t-elle en quelque sorte une forme d'investissement d'impact?

Pas vraiment. L'investissement d'impact cherche à remédier aux défaillances du marché et aux problèmes spécifiques liés à nos domaines d'intervention. Il aide les entreprises et les investisseurs individuels à bien réfléchir à «l'objectif double » qui est de maximiser les bénéfices des actionnaires tout en ayant en même temps un impact social. Ce travail se poursuit à travers la plate-forme que nous avons soutenue, qui est le Global Impact Investing Network (Réseau Mondial de l'Investissement d'Impact). Il favorise l'adoption de l'investissement d'impact par de plus en plus d'entreprises à l'échelle mondiale.

Les 100 villes résilientes chercheront à trouver un bon plan, un plan qui est compréhensif, un plan qui examine le développement mais aussi qui se penche sur la résilience de façon à réduire les risques des villes et ceux associés aux emprunts, car elles présentent moins de risques liés aux crédits. Ce plan va aider les villes à lever des fonds de milliards de dollars dont elles auront besoin pour investir dans les infrastructures, qu'il s'agisse d'infrastructures physiques, économiques ou d'infrastructures sociales. Nous travaillons en collaboration avec la Banque mondiale pour construire la solvabilité des villes. Ce projet est aussi destiné à mettre en relation des villes avec de potentiels investisseurs afin que les villes puissent réunir ces ressources.

La création d'emplois, l'économie numérique, le changement climatique – ce sont également des thèmes que Rockefeller aborde pour son deuxième siècle d'existence?

Absolument! Quand vous pensez à la résilience sociale, il s'agit en fait de s'assurer que tous les groupes de la population ou de la société sont inclus.

Aujourd'hui, nous avons un gros problème avec les jeunes et les femmes qui sont pour la plupart exclus de l'économie.
C'est la raison pour laquelle nous avons lancé l'année dernière «Digital Jobs Africa» dans le but d'avoir un impact sur la vie d'un million de personnes dans six pays africains. Cela signifie la création d'environ 250.000 emplois dans ces pays. Nous avons différentes passerelles pour la création d'emplois: l'une est en collaboration avec le secteur privé; l'autre avec les gouvernements.

Nous recherchons surtout des emplois dans le secteur des prestations de services, l'externalisation des services et d'autres types de services. Donc, nous travaillons avec des entreprises afin que nous puissions avoir un impact sur l'approvisionnement. L'impact sur l'approvisionnement est quelque chose que nous définissons comme un bras socialement responsable du secteur privé en vue d'offrir des opportunités d'emploi aux jeunes qui, autrement, seraient incapables d'accéder au marché du travail. C'est vraiment cela l'impact social.
Ceci est à l'image de l'investissement d'impact qui justifie la rentabilité des affaires pour les entreprises en termes de réduction des coûts tout en conservant la qualité de la performance. Dans le même temps, ces entreprises seraient en mesure d'avoir un impact social beaucoup plus puissant qu'une simple responsabilité sociale des entreprises.

Le second flux de travail est d'être en partenariat avec des institutions de formation pour fournir les compétences requises à des jeunes qui sont très talentueux, mais qui sont socialement et économiquement défavorisés ce qui les exclut du marché. Il s'agit essentiellement de ce que nous appelons les compétences personnelles. Nous essayons de travailler avec ces institutions de formation pour créer les programmes d'études qui leur permettront d'offrir une formation axée sur la demande, une formation de ces jeunes gens aux spécifications et aux besoins du secteur privé.

Le troisième thème est de travailler avec les gouvernements et les autres institutions en vue de créer un environnement propice à l'accroissement des investissements dans le secteur numérique, dans le secteur des TIC pour la création de ces emplois et, en même temps, d'intégrer cette formation dans les systèmes éducatifs nationaux.
Un des plus grands problèmes que tout le monde soulève en Afrique est que le système éducatif ne produit pas toujours le profil de compétences que les entreprises et autres employeurs ont besoin. Cette approche vise à combler le fossé.

Face à tous ces défis que vous avez mentionnés et beaucoup d'autres que nous n'avons pas soulevé ici, y compris la santé et la sécurité alimentaire. Etes-vous toujours optimiste quant à l'avenir de l'Afrique?

Oui, absolument. Je fais partie des Afro-optimistes, parce que je pense que l'Afrique s'est engagée sur la voie du développement. Nous avons des ressources, des ressources naturelles mais aussi des ressources humaines. Nous constatons que la démocratie s'accroît de plus en plus. Nous sommes toujours mis au défi en termes de bonne gouvernance réelle et des problèmes de corruption et d'intégration. Aujourd'hui, le niveau de scolarité des populations est plus élevé, ce qui fait qu'elles sont en mesure de demander des comptes à leurs gouvernements. Nous avons la vision, nous sommes confiants et nous avons les ressources pour y arriver. Oui, je suis tout à fait optimiste.

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