Afrique de l'Ouest: Lutte contre la manipulation des prix de transfert - Une approche régionale

analyse

Chaque année, la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) perd des milliards de dollars du fait que des filiales de certaines multinationales implantées dans la zone paient moins que leur juste part d'impôts.

Cette perte de recettes fiscales sur les exportations de pétrole brut du Nigeria ou les ventes de bois d'œuvre du Libéria, par exemple, représente un manque à gagner de ressources primordiales de financement pour atteindre les objectifs de croissance économique et de développement humain de l'Afrique de l'Ouest.

Manipulation des prix de transfert en chiffres

Une récente étude de Dalberg commanditée par Open Society Initiative for West Africa (OSIWA) révèle que les Etats Ouest Africains ont perdu environ trois milliards de dollars en recettes fiscales en 2011 en raison de manipulation des prix de transfert. Selon les projections de Dalberg, ces pertes atteindront 14 milliards de dollars en 2018 si la tendance actuelle se maintient.

Qu'est-ce que la manipulation des prix de transfert ? Environ 60 pour cent des échanges commerciaux entre l'Afrique de l'Ouest et le reste du monde s'effectuent entre succursales ou filiales d'une même entreprise. Dans de telles transactions, certaines multinationales peuvent artificiellement réduire ou augmenter leurs prix ce qui leur permet de transférer une partie du bénéfice imposable des États d'Afrique de l'Ouest vers d'autres pays dont les taux d'imposition sont plus faibles. Ce mécanisme leur permet de conserver une plus grande partie de leurs benefices.

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La manipulation des prix de transfert est préoccupante car elle prive l'Afrique de l'Ouest de ressources intérieures très utiles qui pourraient être mises à contribution pour la réalisation de projets à fort potentiel d'impact socioéconomique. Sans manipulation des prix de transfert, les États d'Afrique de l'Ouest auraient, par exemple, perçu 15 milliards de dollars supplémentaires de recettes fiscales entre 2012 et 2014. Ces fonds sont nettement suffisants pour couvrir le déficit de 11,3 milliards de dollars pour financer la Stratégie de Réduction de la Pauvreté de la CEDEAO, qui vise à accélérer la croissance et réduire la pauvreté dans la sous-region.

Aborder la problématique dans un contexte régional

Les pays de l'Afrique de l'Ouest sont à des niveaux différents en matière de prise en charge de la manipulation des prix de transfert dans leurs réglementations fiscales respectives. Des pays comme le Niger, le Togo, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert n'ont aucune disposition légale ou réglementaire régissant cette question, tandis que les autres pays de la CEDEAO ont adopté des politiques à ce sujet, avec quelques différences dans le niveau de perfectionnement et dans la mise en œuvre de ces politiques.

L'étude de Dalberg recommande d'harmoniser les politiques de prix de transfert pour éviter le risque de compromettre l'efficacité des mesures mises en place au plan national. Comme le montre l'illustration ci-dessous, une multinationale disposant de filiales dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest peut profiter de la réglementation régionale qui favorise le commerce et l'investissement au sein de la CEDEAO pour utiliser une filiale implantée dans un pays avec une politique de prix de transfert inexistante ou faible, comme le Niger ou le Togo. Ce faisant, la société évite de payer des impôts et de supporter les coûts de conformité imposés par les pays dont les politiques sur le sujet sont plus strictes.

Il convient de noter que tous les pays de l'Afrique de l'Ouest ont les mêmes besoins de renforcement des capacités institutionnelles des administrations fiscales afin de lutter efficacement contre la manipulation des prix de transfert.

Au-delà de l'adoption d'une nouvelle législation fiscale, ces États ont besoin de nouveaux processus et procédures reposant à la fois sur un système d'information et une connaissance du marché accompagnés d'une assistance technique pour l'utilisation de ces outils.

Il est également important pour chaque État d'avoir accès aux plateformes d'échanges de renseignements fiscaux qui fournissent, de manière automatique ou à la demande, des informations sur des questions fiscales spécifiques.

Une autre ressource nécessaire est le renforcement des capacités sur les techniques de vérification et d'enquête en matière de prix de transfert.

Malheureusement, ces exigences sont souvent limitées ou inexistantes même dans les pays qui disposent des politiques de prix de transfert les plus avancées comme le Nigeria et le Ghana.

Mettre en commun les efforts et les ressources

La mise en commun des efforts et des ressources régionales pour atteindre les objectifs ci-dessus est cruciale. La Commission de la CEDEAO pourrait, par exemple, créer un organe consultatif qui réunirait des représentants des administrations fiscales, des experts comptables, des conseillers en fiscalité et des multinationales. Ainsi, toutes les parties disposeraient d'un cadre de concertation, de partage d'expériences et de discussion sur les questions de prix de transfert permettant, in fine, de renforcer la capacité des administrations fiscales en Afrique de l'Ouest.

Avec un cadre institutionnel et des politiques réglementaires adaptés au contexte de l'Afrique de l'Ouest, il sera possible de veiller à ce que les ressources nationales soient pleinement mises à profit pour répondre aux urgents défis économiques et sociaux auxquels les pays Ouest Africains sont confrontés.

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