Afrique: Amine LAGHIDI, Directeur de la Société Nationale de Transport et Logistique (SNTL) - « Le continent a besoin de bâtir son propre modèle de développement »

18 Novembre 2015
interview

Lutter contre l'afro-pessimisme, promouvoir un modèle de développement propre à l'Afrique, ce sont entre autres concepts que défend le Pr Amine Laghidi, expert International en Stratégies du Développement, vice-président de l'Association Marocaine des exportateurs (ASMEX). Rencontré dans les coulisses des MEDays 2015, tenus du 11 au 14 Novembre 2015 à Tanger, ce conseiller stratégique de plusieurs groupes multinationaux et africains déroule la voix à suivre pour que le continent puisse tirer le maximum de profit de sa situation économique qui projette les plus fortes croissances dans le monde.

Qui est Amine Laghidi?

Je suis un simple citoyen marocain, qui aime son pays et essaye de contribuer à son développement. J'ai un amour très profond à cette Afrique à laquelle nous appartenons. Il y a quelques années de cela, trois grands pays du monde m'ont proposé un poste de directeur général et j'avais choisi de m'installer en Afrique de l'Ouest. Tout le monde s'est posé la question à l'époque parce que l'Afrique n'était pas encore à la mode. Moi je disais que ce n'était pas un phénomène de mode mais une question de foi. J'avais foi en notre continent parce que nous sommes marocains, nous sommes Africains. J'avais cru à sa jeunesse, à son futur, ses ressources. Alkhamdoulilah, Dieu m'a donné raison dans ce choix.

Je suis vice-président, secrétaire général de l'ASMEX (Association Marocaine d'Exportateurs). Je suis président de la Commission nationale du capital immatériel d'économie cognitive. J'ai eu le plaisir d'être directeur général de quelques unes des plus grandes entreprises dans le monde dans le domaine du maritime, de la logistique, de l'ingénierie… Si ces multinationales nous ont fait confiance, il faut faire confiance en nous même et aux ressources africaines que ce soit du Nord, du Sud, de l'Ouest ou de l'Est. Nous sommes une Afrique qui est unie.

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Aujourd'hui, j'ai l'honneur de rejoindre l'administration en tant que directeur national de la Société International de Transport et Logistique (SNTL). C'est une grande fierté de prendre part à ces MEDays 2015. Cette rencontre est devenue le Forum du Sud.

Quelle démarche, le marché africain doit adopter aujourd'hui, pour faire face à la concurrence sur le plan mondial ?

Sa Majesté le Roi Mohamed VI en a parlé clairement lors d'une de ses visites en Côte d'Ivoire, dans un discours historique qu'il a adressé au Parlement ivoirien, il a dit que l'Afrique doit compter sur elle-même et sur les Africains. Un message qui était très fort parce que pour se développer on doit arrêter de suivre un modèle existant. On a besoin de bâtir notre propre modèle. Suivre déjà veut dire qu'on n'est pas leader, suivre déjà veut dire qu'on n'est pas développé. Avoir son propre modèle veut dire qu'on veut qu'on soit sur la voie du développement et que les autres sont là pour nous suivre. L'Afrique se doit de se doter son propre modèle. Et qu'est ce qu'un modèle in fine ?

Depuis plus de 50 ans, après la deuxième guerre mondiale, tout le monde courait derrière un prisme de suis-je un pays développé ou pays sous développé. On a créé la zone tampon qui était entre les deux. En vérité, le modèle ce n'est pas le plus important. Il faut savoir le A et B et savoir où est ce qu'on en est aujourd'hui, ce qui est la situation de nos ressources, de nos points forts, nos points faibles, notre acquis culturel parce qu'on ne vient pas de rien. Alors que les autres ont tout fait pour dénigrer notre culture, notre passé, notre savoir. Donc il faut clairement, après avoir fait l'état des lieux, définir où est ce qu'on veut aller. Entre les deux, il faut se doter d'un ensemble de mécanismes de gestion, de ressources, pour atteindre cet objectif-là. Quand ce passage entre le A et B est réussi, on a déjà notre modèle. Ça veut dire qu'on a déjà un modèle partageable et influent. Il faut démystifier les grands termes.

Aujourd'hui, ce qui compte pour l'Afrique c'est qu'on a un continent dont la population dépasse le milliard. C'est un continent qui va bientôt contenir la plus grande population de jeunes dans le monde. Cette jeunesse avant tout a besoin d'un ensemble d'éléments. Elle a besoin d'avoir un rêve. Elle a besoin d'avoir quelque chose à laquelle croire. Il faut apprendre ou réapprendre aux Africains à avoir le droit au rêve car pendant longtemps on est enfoui dans des réalités au quotidien, des réalités de guerre, des réalités cauchemardesques…

L'être humain quand il rêve, il se donne les moyens d'atteindre son rêve et bâtit des choses. Après, il faut concrétiser ce rêve car on a besoin d'une vision qui est commune, une vision qui est synergique quelque part. Pour ce faire, il faut savoir ce que l'on veut car on a une croissance démographique énorme. Les autres voient en nous ce continent qui est un réservoir mondial de matière première, de consommateurs de deuxième zone. Tant qu'on ne sera pas exigeant, on sera toujours sous-traité. Le jour où on est exigeant, on sera traité d'égal à égal. Aussi simple que ça ! Il faut arrêter les tabous et les fausses répliques.

De quoi a besoin l'Afrique pour arriver à cela ?

Le continent a besoin d'agriculture et d'agro-alimentaire. C'est des choses de base et surtout quand on voit les taux de sédentarisation. Non seulement on a un besoin énorme en termes alimentaire mais ceux qui produisent dans le rural sont en train de déserter pour une panoplie de raisons, pour aller dans les villes. Ils sont à la recherche d'un meilleur statut social ou un meilleur destin et il faut gérer ce phénomène.

L'Afrique a besoin d'avoir sa propre production alimentaire et ça se travaille de plusieurs manières avec une bonne gouvernance, des plans de production agricole, des logiques de mutualisation entre grands entrepreneurs et petits producteurs ou entreprises, logique de mutualisation dans l'accès à la matière, aux machines, aux stocks… Une bonne partie de la production agricole est perdue parce qu'il n'y a pas de stock, parce qu'elle dépend de la saisonnalité, parce qu'il n'y a pas les infrastructures nécessaires pour la transporter.
Il faut une bonne gouvernance pour accompagner tout cela. C'est-à-dire de l'ingénierie agricole, de l'utilisation des fertilisants, des moyens d'augmentation de la production, l'accès à la terre, la bonne gestion…

Le deuxième élément fondamental c'est l'infrastructure. On ne peut pas parler d'intégration s'il n'y a pas d'infrastructures. On ne peut pas dire qu'on est frère d'un même continent si on n'a pas les infrastructures qui nous lient. Alors qu'en ait-il quand on parle de région, de sous-région ou d'un continent entier. Aujourd'hui, le principal moyen d'échange entre pays africains se fait par voie de mer. Qu'en est-il des pays qui n'ont pas un accès à la mer ? Et même par voie maritime, entre pays africains une distance qui prend 15 à 20 minutes par avion, équivaut à des jours par la route encore qu'il faut que la route existe déjà ou est inondée ou endommagée. Donc l'investissement en infrastructure est essentiel.

Mais il faut aussi un travail d'une manière intelligente. Pendant longtemps, on a importé le savoir faire de l'étranger. Le cognitif, aujourd'hui c'est le propre du capitalisme. Celui qui a le savoir détient le pouvoir. Il tient le lead quelque part. Pendant longtemps, on a importé les mêmes choses en mauvaise gouvernance. Le Togo a importé de l'expertise pour réaliser un port. Le Bénin a fait pareil mais il n'y avait pas de mutualisation. C'est la même chose pour l'eau, l'électricité, les routes… Aujourd'hui, on a besoin d'avoir un hub cognitif, un hub de savoir qui prend l'ingénierie en tête. Si on fait des études africaines, ce sera notre objectif et ça va profiter à tout le continent. C'est pour cela qu'on a la BAD qui est en train de développer son fonds Africa 50 qui est basé ici au Maroc. Donc il faut avoir cette dimension cognitive de prime abord.

Il faut aussi développer l'ingénierie africaine. Ce qui va nous permettre de jouer sur trois catégories stratégiques. La première c'est l'élément humain, apporteur d'une valeur ajoutée réelle. Par la même occasion, on devient exportateur de savoir pour d'autres pays du Sud en partage. Par exemple, le Maroc a un savoir faire qu'il a accompli depuis des années en termes d'infrastructure. C'est l'occasion de le faire avec nos frères africains. C'est un savoir faire qui est moindre et mieux adapté aux besoins africains car on a les mêmes problèmes de manque de ressources, de durabilité…

L'ingénierie nous procure aussi la capacité d'exporter des solutions. Il faut faire comprendre ce besoin aux pays africains qui est lié à un problème de congestion de ville, à un problème portuaire. Il faut offrir une solution intégrée qui inclut l'aspect financement, la recherche de fonds, la dimension ingénierie, la dimension gestion de l'infrastructure…Une solution globale qui soit adaptée aux besoins africains. En offrant cela à un pays africain, on lui transfère aussi un savoir, donc il devient indépendant. On investit dans la durabilité. On travaille avec les gens sur place et on bâtit un vrai cluster.

Le troisième élément est relatif aux minerais et l'énergie. Arrêtons d'exporter des produits bruts, industrialisons-les. Si on a les moyens de le faire sur place tant mieux. On a les capacités d'augmenter de la valeur en travaillant de la bonne intelligence. Si on a, par exemple, un minerai de bauxite, de fer dans un pays africain, si on n'a pas les capacités d'investir dans l'industrie sur place, aujourd'hui, on peut le remettre à demain. Commencer d'abord à bâtir des clusters en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Maroc… Ils seront des clusters d'industrialisation permettant à l'exportateur de base d'avoir plus de valeur ajoutée que ce qu'il avait avant.

Pour le raffinage du pétrole africain, un exemple qui m'a toujours choqué, le pourcentage est minime. La part exportée vers l'Europe ou ailleurs nous revient plus chère en incluant le coup de la logistique, du transport… Pourquoi on ne bâtirait pas un cluster ou hub de raffinage sur le continent. A côté de cela, c'est le coût des hydrocarbures qui va chuter de manière drastique. On aura également de la matière brute présente et ainsi la nécessité de disposer d'une industrie pour modéliser l'approche africaine.

Aujourd'hui, il faut arrêter de voir l'Afrique comme le continent qui ne se développera jamais. Il faut se doter de vrais rêves, il faut influencer nos populations en interne positivement. Il faut avoir ce branding africain dans le sens moderne, avoir confiance en nous-mêmes, avoir confiance en nos produits. Ce que je ne sais pas faire, je peux le prendre du pays à côté. Mais le principal c'est d'investir dans l'humain, dans le cognitif, dans le savoir et de faire parler urbi et orbi à la cité et au monde, lui dire que l'Afrique est là, elle est en train de venir. Ça ne peut se faire qu'à travers des modèles africains réels. Ceci pour satisfaire les besoins du marché africain domestique. Quand on travaille en bonne intelligence, on peut travailler sur un marché d'un milliard.

Est-ce que l'Afrique a les moyens de cette politique ?

On vient de sortir d'un panel où il est clairement démontré que le problème n'est pas lié à l'argent. Aujourd'hui, il y a un sur-cash dans le monde. Il faut se doter d'un rêve de mettre la barre très haute et nous coacher entre nous-mêmes en tant qu'Africains, se doter des mécanismes de négociation. Il faut sortir du misérabilisme. Après des années d'appel à l'investissement, on a compris que personne ne venait pour nos beaux yeux. Tout le monde venait pour une logique sur le court terme. Je suis choqué d'aller dans des pays frères du sud et d'y voir des entreprises étrangères qui sont établies depuis presque 100 ans et qui n'ont fait aucun transfert de savoir et de compétence. C'est choquant et insultant pour nos ressources locales. Elles développent des modèles d'infrastructure parfois qui sont sur le court terme. Ces entreprises ne commencent à investir dans le long terme que lorsqu'elles ont la concurrence d'autres pays notamment asiatiques qui s'installent. Ce qui est du vol.

Aujourd'hui, la durabilité passe par travailler en bonne intelligence entre nous. On a l'ingénierie nécessaire. Arrêtons de voir uniquement ce qui se passe dans le nord et faisons-nous confiance mutuellement en s'appuyant sur l'humain qui est notre principale richesse et doit être notre principal objectif. Tous les pays, dans l'histoire de l'humanité, qui ont fait ce choix, considérant leurs citoyens comme principal input ou le principal output, ont réussi. Faisons ce choix et travaillons par pilote, sinon on mettra des années pour changer de mentalité. Commençons à marketer les bonnes personnes et les bonnes pratiques, des bons pays qui sont en train de réussir ainsi que les entrepreneurs, des gens qui sont en train de nous tendre la main. Il ne faut surtout pas oublier les femmes. L'Afrique a besoin de son leadership féminin.

Aujourd'hui, ce n'est pas une question de quota car la femme est souvent plus compétente. Il faut mettre en exergue ces femmes africaines qui ont réussi et les donner en exemple à la jeune génération. Et on s'y retrouve via les secteurs de compétence, la culture, les origines... Croyons en nous-mêmes africains et développons une culture d'influence positive, un branding africain destiné à influencer les Africains positivement mais aussi à faire rayonner le continent à l'extérieur.

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