Sénégal: Dakar, une région aux « poumons » en détresse

+150 jeunes répondant à l'appel #JEADER ont planté des arbres le samedi 24 septembre 2016 à Forêt Classée De Mbao, Dakar (Sénégal)
28 Septembre 2016

La région de Dakar est sous la menace de sérieux problèmes de santé. Le danger qui guette cette capitale abritant presque le tiers de la population sénégalaise se matérialise par les multiples attaques que subit la forêt classée de Mbao communément appelée « les poumons de Dakar ». Des alertes ont été lancées à moult reprises. La dernière est celle de l’association Lead Sénégal qui, lors d’une journée de reboisement organisée le samedi 24 septembre 2016, a pu faire planter près de 1500 plants. Ce qui participe aux actions pour la régénération de cette forêt aux enjeux socio-économiques et écologiques incommensurables.

Dakar court-elle le risque d’une « infection pulmonaire ». La question s’impose après une matinée passée dans la forêt classée de Mbao. Communément appelée « poumons de Dakar » cet espace verdoyant fendu par l’autoroute à péage croule sous le poids d’une menace rampante, devenue perpétuelle au fil des ans.

Immatriculée au nom de l’Etat en 1908, érigée en station de pompage des eaux d’inondation de Dakar en 1917, la forêt de Mbao accueillait sa première plantation en 1918 et qui portait essentiellement sur du filao pour la fixation et la restauration de son sol.

Avec la forte urbanisation de la capitale sénégalaise ponctuée par un appétit démesuré des promoteurs immobiliers, la surface qu’occupe la forêt se rétrécit comme une peau de chagrin. Le lieutenant-colonel Moussa Fall, chef de secteur des Eaux et Forêts de Pikine, confie que « de 815 hectares en 1908, la forêt de Mbao fait actuellement 710 hectares ». Ce rétrécissement  dévastateur avait d’ailleurs conduit à son classement en 1940.

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Face à cette gangrène, un doigt accusateur est également pointé en direction des populations qui s’adonnent parfois à des pratiques prohibées comme la coupe du bois, l’enlèvement du sable à des fins commerciales, le dépôt d’ordure...

M. Pape Baka Diop, expert de la Banque Mondiale en aménagement de forêts classées rappelle que cette forêt qui se situe à quelques kilomètres de Rufisque est délimitée par huit villages et quartiers dont Darou Nissette, Médina Khel, Fass Mbao, Petit Mbao, Grand Mbao, Boun, Keur Mbaye Fall et Kamb. Ces villages et quartiers sont dans quatre communes que sont Keur Massar, Mbao, Sicap Mbao et Diamagueun.

La forêt polarise également les communes de Yeumbeul Nord et Yeumbeul Sud qui, malgré le fait qu’elles ne soient pas limitrophes, sont fortement influencées par ce lieu classé.

Une situation géographique globale qui renseigne sur les enjeux sociaux que renferment la forêt classée de Mbao.

Par ailleurs, cette proximité a un effet négatif certain avec la propension des riverains à faire de quelques parties de la forêt un dépotoir d’ordure.

Le colonel Diop pense que cette situation est propre à toutes les forêts du monde.  Mbao ne pouvait pas faire exception à la règle du fait que Dakar qui n’occupe que 0,2% de la superficie du Sénégal recèle le tiers de la population globale.

Le Sergent Abdoulaye Bodian, agent technique des services eaux et forêt renseigne que les services compétentes essayent de réintroduire des espèces en voie de disparition au Sénégal. Ce sont en partie des plantes ou essences exotiques importées tels que l’anacardier.

Actuellement, cette forêt classée de Mbao regorge de 300 hectares de plantation d’Anacarde avec des variétés comme le Bénin, le Costa-Rica, le Brésil.

Des variétés locales y poussent également telles que le Balanites Aegyptiaca (Soump en wolof), des AphaniaSenegalensis (Khewar en wolof).

Par ailleurs, il se désole du fait que des variétés très rares telles que l’arbre à saucisses Kigelia Africana, très recherchée par la médecine traditionnelle à cause de ses vertus aphrodisiaques, sont presque en voie de disparition.

La seconde jeunesse des femmes productrices

Malgré ce tableau peu reluisant généralement dressé par les acteurs sensibles à la préservation des espèces végétales et amis de la nature, la forêt classée de Mbao cache son coté « mine d’or ». Elle a tout le nécessaire pour jouer les fonctions écologiques, économiques et sociales dévolues à toute forêt digne de ce nom.

Lors de la présentation faite devant la centaine de jeunes mobilisés par l’association Lead Sénégal au Club équestre de Dakar, situé à Mbao, Pape Baka Diop renseigne que cette forêt regorge de potentialités forestières notamment avec un peuplement de 350 hectares d’eucalyptus et 300 hectares d’anacardiers.

Selon lui, des activités de pêche sont menées au sein de la forêt notamment au niveau du marigot de Mbao.

L’exploitation de fruits forestiers ainsi que la collecte de « bois mort » y est autorisée aux populations mais encadrée dans une grande réglementation.

A cela, s’ajoutent des activités maraîchères horticoles en général avec 700 acteurs locaux qui exploitent des terres de la forêt. S’y développe aussi la culture hivernale avec la production de niébé, d’arachide, de sorgho, de mil.

La visite de Lead Sénégal guidée par le colonel Diop a permis de s’enquérir de l’état d’avancement des surfaces exploitées par le GIE FEKKE FATH, constitué de 22 femmes dont la moyenne d’âge est de 50 ans. Leur présidente, Mme Binta Wane cache mal la satisfaction de ses consœurs, vu les niveaux de rendement réalisés. A l’en croire, de 500 mètres carrés au début de leurs activités dans la forêt, les dames parviennent à exploiter trois hectares.

Un document remis à la presse souligne qu’en 2015, le chiffre d’affaire cumulé pour la campagne maraîchère dudit groupement est estimé à 2.400.000 F Cfa soit un taux de progression de 4,14% en valeur relative, passant de 30% en 2014 à 34,14% en 2015. Selon la même source, ce chiffre d’affaire prend seulement en compte, la part de production vendue sur le marché. « Une part non négligeable a été consommée contribuant ainsi à l’amélioration des conditions de vie des populations ».

Ces résultats sont obtenus grâce à la pugnacité des femmes très engagées qui, selon leur présidente, par moment, restent dans les champs de 6h à 19 h.

Ces réalisations ont également été possible grâce à l’appui d’organisations comme Lead Afrique qui a permis à ces femmes de se doter de système goutte-à-goutte allégeant les charges de travail mais permet aussi aux femmes de vaquer à d’autres occupations.

Quand l’apiculture et la pisciculture prennent leurs marques

L’apiculture pratiquée dans la forêt de Mbao a de beaux jours devant elle. Le lieutenant-colonel Moussa Fall qui a conduit la délégation de Lead Sénégal auprès des ruchers soigneusement nichés dans les parties semi-marécageuses de la forêt a fait part de la montée en puissance de la production de miel biologique très prisé dans le monde.

Le rucher est composé de 15 ruches modèle kenyan. Ils sont présentés comme étant des ruches performantes avec une production moyenne de 20 kilogrammes de miel par ruche et par récolte.

A quelques encablures, le marigot de la forêt classée. Un lieu paradisiaque dont rêvent les acteurs du tourisme haut de gamme. Son cadre somptueux offre également toutes les conditions pour la réussite d’activités piscicoles qui y sont actuellement à l’essai.

Etant un bassin versant, la forêt de Mbao regorge d’importantes quantités d’eau surtout en période hivernale. Les services Eaux et forêts y projettent de forts rendements en élevage de poisson. Le lieutenant-colonel Diop confie qu’un plan directeur attendu dans ce sens prévoit des projections de 45 millions de F Cfa de recette par an.

La forêt classée de Mbao accueille également des activités pastorales avec la fréquentation de bovins appartenant à des éleveurs dont les villages jouxtent ce lieu classé.

En dehors de ces activités agrosylvo-pastorale, la forêt accueille également des installations comme le centre de dispatshing de la Senelec (société nationale d’électricité) installé du coté de Fass Mbao. « Toute l’électricité distribuée au niveau de Dakar, passe par la forêt », dira Pape Baka Diop.

Face à ces multiples opportunités, les responsables en charge des forêts du Sénégal travaillent à aligner la forêt de Mbao sur la Convention de Paris au sortir de la Conférence Internationale sur le climat, la Cop 21. Un dossier qui sera certainement une des priorités sénégalaises à la Cop 22 prévue le mois de novembre prochain au Maroc.

La démarche pour sauver Dakar d’une maladie pulmonaire

Avec les travaux d’aménagement initiés par les autorités sénégalaises qui ambitionnent de passer d'une stratégie de conservation à une stratégie de valorisation du potentiel forestier de Mbao, à travers la mise en place d'un plan d'aménagement participatif, les objectifs assignés à cet espace ont changé. Ils tournent actuellement autour de la conservation des fonctions écologiques et de la diversité biologique de la forêt comme un modèle reproductible partout au Sénégal.

Mbao est la première forêt péri-urbaine en phase d’aménagement au Sénégal. Elle est ainsi appelée à davantage contribuer à l’approvisionnement durable des riverains en produits agrosylvo-pastorale. Mais également à l’éducation, la recréation et au développement sportif et culturel du Sénégal.

Face à la forte demande en surface habitable, il est heureux de constater que sur les 710 hectares qui restent à sauver, la Banque mondiale  et l’APIX (Agence de Promotion des Investissements et des Grands Travaux) ont apporté leur contribution pour refaire le mur de clôture afin de limiter les empiètements.

Actuellement, la méthode participative a été mise à contribution par l’implication des populations des huit villages environnantes qui ceinturent la forêt. Elles ont été regroupées en comité de surveillance et comité fédérale. Un code de conduite consensuel a été validé par tous les acteurs concernés pour parler le même langage et être les avant-gardistes de la gestion de cette forêt.

Les coupes de bois y sont strictement interdites. A la place, les autorités ont permis le ramassage de bois mort ou bois d’usage.

Le dépôt de gravats ou d’ordures dans la forêt est un délit passible d’une amende allant de 250 mille à 5 millions.

Sur cette même lancée, M. Diop fait savoir que la Forêt de Mbao dispose d’un centre de transfert des ordures qui n’est pas encore fonctionnel. A l’en croire, ce centre qui s’étend sur deux hectares est loin d’être une décharge car les ordures qui y sont traitées ne durent pas 24 h. Le temps de les transférer au centre d’enfouissement de Diass (la commune qui abrite l’aéroport Blaise Diagne).

Face aux multiples agressions, l’État sénégalais a doté la direction des eaux et forêt d’agents et du matériel mobile pour limiter les dégâts.

Des actions citoyennes plus que sollicitées

La situation de la forêt classée de Mbao est une affaire de tous. En tout cas, elle ne laisse pas indifférente l’association Lead Sénégal qui y a organisée une journée de reboisement. Plus d’une centaine de jeunes de tout âge ont bravé le soleil de plomb de cette matinée de samedi 24 septembre pour consacrer de leur temps à la préservation de ce bijou environnemental.

Le président de la Commission communication de Lead Sénégal, M. Malick Guèye indique que « la forêt classée de Mbao est le seul joyau vert de Dakar qui est très menacé par des promoteurs immobiliers mais aussi des riverains qui n’ont pas un comportement adéquat à l’endroit de l’environnement ».

Raison pour laquelle, ajoute-t-il, « Lead Sénégal a mobilisé aujourd’hui une centaine de jeunes pour planter au minimum 1500 plants et contribuer à la préservation de cette forêt ».

A l’en croire, cette action cadre avec les objectifs de cette association qui s’intéresse aux questions de leadership, à l’environnement et au développement durable.

Les responsables de Lead Sénégal souhaitent que cette première collaboration avec les services Eaux et forêt marque le début d’un partenariat.

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