Afrique de l'Ouest: Tiémoko Meyliet Koné, Gouverneur de la Banque Centrale - « Le franc CFA est géré par les Africains »

14 Novembre 2016

L’avenir du franc CFA et la gestion actuelle de cette monnaie fait couler beaucoup d’encre et de salive dans la sphère économique ces derniers temps. Des panels de haut niveau, aux débats dans les milieux universitaires en France ou en Afrique francophone, ont rejailli des divergences de vue qui prêtent, parfois, à confusion au niveau des populations. Une situation qui oblige le Gouverneur de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) à sortir de sa réserve pour recadrer le débat en reprécisant certaines choses et éclairer la lanterne des consommateurs.

Le Gouverneur de la Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (Bceao) dans une interview accordée au magazine «Jeune Afrique », sort de son silence face aux critiques sur le F Cfa, pour défendre la monnaie de la CEMAC et l'UEMOA. Tiémoko Meyliet Koné déplore le fait que les critiques ne soient pas toujours « appuyées par des études scientifiques crédibles ».

Selon lui, il faut avant tout « déconstruire les préjugés qui entourent »  les critiques contre le F CFA relève de la méconnaissance des textes qui régissent cette communauté économique et monétaire, et surtout celle du rôle de la France et du Trésor français dans le système monétaire en vigueur dans cet espace. Il souligne que, contrairement à ce qui est véhiculé, ce n'est pas l'ancienne puissance colonisatrice qui gère le franc CFA.

Le Gouverneur de la Bceao rappelle, à cet effet, que cette monnaie aujourd'hui tant décriée a permis à l'Union de traverser des crises et permet aux États membres de réaliser de bonnes performances économiques. Ainsi, le taux de croissance du PIB de la zone Uemoa qui est à hauteur de 7% constitue la plus forte progression de tout le continent africain. Il rappelle, par ailleurs, qu'entre 2012 et 2015, le taux croissance a été de 6,5%.

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Quant à la question de savoir s'il ne fallait pas faire évoluer le dispositif monétaire actuel, M. Koné indique que ce sont les besoins des économies qui dictent la politique monétaire à adopter. Il souligne l'importance de bien comprendre que l'objectif principal des pères fondateurs de ce dispositif visait à créer une zone de solidarité monétaire en vue de garantir une « monnaie stable et convertible, indispensable à une croissance durable ».

Le gouverneur de la Bceao de préciser que les accords de coopération monétaire ont été signés avec la France à cette fin. « Cet attelage a permis aux économies de l'Union de résister à toutes les crises sociopolitiques et économiques ». A son avis, « Le franc CFA est une monnaie africaine, gérée par des Africains ». Et d’avancer « Il faut arrêter de voir les relations entre la France et les pays de l'Uemoa comme celles d'un colonisateur avec ses colonisés. Les Africains ne devraient plus nourrir ce genre de complexe. De même, il ne faut pas confondre la gestion de la monnaie et celle des accords de coopération entre notre zone et l'Hexagone».

Par ailleurs, confie-t-il, «La France assure la convertibilité illimitée du franc CFA. En contrepartie, une partie [50 %] des réserves de change des banques centrales de la zone franc est déposée sur un compte auprès du Trésor français. Il est évident que la France cherchera à s'assurer que les mécanismes mis en place dans ce cadre sont respectés. Dans le même temps, les Africains doivent gérer leur monnaie de manière qu'elle permette à leurs économies de prospérer. Nous sommes, et cela est clair pour tout le monde, dans une relation de partenariat, où chacun veille à défendre ses intérêts tout en honorant ses engagements ».

M. Koné lance avec fermeté : « Nous ne demandons ni l'avis ni l'onction de la France quand nous décidons de mener des réformes. Et, lorsque nous estimons qu'il faut revoir les termes de la coopération, nous en discutons avec nos partenaires. Par exemple, aujourd'hui, alors que le yuan fait son entrée dans le panier de devises constituant le DTS [droit de tirage spécial, actif de réserve international du FMI pour compléter les réserves de change de ses pays membres], nous sommes en discussion avec la partie française pour en estimer les répercussions sur la gestion du compte d'opérations. Les accords qui nous lient à la France sont très évolutifs, contrairement à ce que prétendent certains détracteurs ».

Sur le sujet récurrent concernant la mise à disposition des économies africaines des fonds déposés sur le compte d'opérations auprès du Trésor français à Paris, le Gouverneur clarifie et recadre : « D 'abord, il faut savoir que les réserves de change sont obligatoirement conservées à l'extérieur des pays afin de permettre le financement de leurs transactions extérieures par la Banque centrale. Nos accords avec la France servent à garantir la convertibilité illimitée du franc CFA, en échange du dépôt d'une partie de nos réserves sur le compte d'opérations logé à Paris ».

Par ailleurs, il précise que ces devises représentent de l'argent dont la contrepartie en monnaie nationale a déjà été mise à la disposition des économies par la Bceao. Ce serait donc un non-sens économique que de réinjecter une seconde fois la contrepartie de ces fonds (objet de convoitise des pourfendeurs du franc CFA) dans l'économie.

A la question de savoir, s'il ne serait pas temps d'apporter une dose de flexibilité à la politique de change du franc CFA, tout en arrimant la monnaie à un panier de devises, le Gouverneur rappelle que les Etats de la zone franc ne sont pas les seuls au monde à avoir des régimes de change fixe. « Selon le rapport annuel du Fmi sur les régimes et les restrictions de change, publié en octobre 2015, 69 pays l'ont aussi adopté, tandis que 65 États ont opté pour un régime de change flexible ». Chaque pays choisit donc le modèle qui lui convient le mieux en fonction de ses caractéristiques économiques et de ses contraintes.

Dans cette même veine, le Gouverneur de la Bceao explique l'objectif d'une inflation à 2% (jugé trop restrictif pour des économies en développement et pénalisant pour le développement du crédit...) par une décision consensuelle sur le maintien d'un taux d'inflation faible et stable qui contribue à créer un environnement macroéconomique favorable à l'investissement et à la croissance. « Il permet d'attirer plus facilement les capitaux extérieurs et préserve la compétitivité ainsi que le pouvoir d'achat des populations. Les agents économiques sont donc incités à investir et à consommer davantage. Par conséquent, la demande de crédit se développe ».

Car, mentionne t-il, l'histoire des faits économiques nous enseigne également qu'il est illusoire de penser que l'on peut laisser l'inflation se développer et l'arrêter à un seuil jugé approprié. « L'inflation est un processus cumulatif. Et n'oublions jamais que c'est un impôt qui frappe surtout les plus pauvres ».

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