Afrique: Entretien avec le Dr René Kouassi - « L'Afrique doit s'intégrer ou bien être marginalisée à jamais »

Dr René Kouassi, Directeur Des Affaires Economiques A La Commission Des Affaires Economiques De L’Union Africaine
16 Avril 2018
interview

Au sortir de la 2ème réunion des experts du Comité technique spécialisé sur les finances, les affaires monétaires, la planification économique et l’intégration, le Dr René Kouassi nous a accordé cet entretien dans lequel, il aborde plusieurs sujets. Notamment le financement du développement, l’intégration, la participation du secteur privé local au processus de développement.  

Problème de financement et d’alimentation

L’Afrique fait face à un problème de financement. On doit tout mettre en œuvre pour que l’Afrique retrouve son autosuffisance financière. Autant que l’on recherche l’autosuffisance alimentaire, il faut aussi rechercher l’autosuffisance financière. Il y a le problème de l’alimentation. L’Afrique ne peut pas toujours consacrer plus de 35 milliards de dollars à l’importation de vivres alors qu’elle recèle plus de 60% des terres cultivables dans le monde.

C‘est un paradoxe énorme. Il faut faire en sorte que les africains puissent être nourris à travers l’agriculture africaine. C’est ce qu’on appelle l’autosuffisance alimentaire et non pas la sécurité alimentaire. Parce qu’on doit nourrir les africains à travers l’agriculture africaine. Il faudra développer l’agriculture dans tous ses aspects. Pour résoudre même le problème du chômage, il faudra recourir à l’agriculture.

Intégration africaine avec plusieurs organisations régionales

La mission de l’Union africaine, c’est de coordonner la mise en œuvre de l’intégration. Nous faisons le bilan annuellement pour voir à quelle stade se trouve chaque région, en relation avec le traité d’Abuja, voir quels sont les problèmes qui se posent, pour voir comment on peut trouver des solutions à ces problèmes spécifiques. On a parlé aussi de programme minimum d’intégration. Ce programme permet à chaque communauté de passer d’une étape à une autre. Nous pensons que c’est de cette façon que nous pouvons aider les différentes communautés à atteindre l’étape finale qui est la communauté économique africaine, avec la création de la monnaie unique, le parlement panafricain élu au suffrage universel, avec des institutions fortes comme la banque d’investissement, le fonds monétaire africain, la banque centrale etc.

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L’Afrique n’a donc pas le choix. Il faut s’intégrer ou bien être marginalisé à jamais. Nous avons parlé des outils d’intégration. Il y a par exemple la zone de libre-échange, la banque africaine d’investissement, le fonds monétaire africain, la banque centrale. Les outils ont été développés pour être adoptés à l’échelle des gouvernements. Le problème, c’est la mise en œuvre. L’Afrique est caractérisée par un déficit énorme de mise en œuvre. Donc, si on parvient à traduire dans la réalité les décisions qui sont prises par rapport aux outils d’intégration, nous pensons que nous pouvons intégrer économiquement et politiquement notre continent.

Nous avons insisté sur la banque d’investissement. Il faut mettre à la disposition des entreprises, des opérateurs économiques des financements substantiels et accessibles et moins couteux. Il faut donc que l’on transforme les signatures en ratifications pour permettre aux outils d’intégration de voir le jour, pour mettre les financements adéquats à la disposition des opérateurs économiques et  contribuer ainsi à trouver du travail à la jeunesse africaine. Nous pensons que l’intégration n’a pas encore d’alternative. Il faut s’intégrer.

Mise en place d’instruments pour la gestion des statistiques

Chaque pays produit ses statistiques à travers ses propres normes. C’est pour cela que les chefs d’Etats et de gouvernements ont décidé de la création de l’institut qui va opérer à l’instar d’Eurostat en Europe. Il sera basé en Tunisie. La mission de l’institut sera de réunir les statistiques africaines pour qu’il y ait un consensus autour des définitions, des concepts, des nomenclatures, de toutes les préoccupations pour permettre la production de statistiques fiables. Donc lorsque ce consensus est trouvé, chaque pays produira ses statistiques selon ce consensus. Maintenant l’institut aura pour tâche de collecter toutes ces données et de convoquer son comité de validation, pour les valider ensuite les disséminer. Donc, si cette procédure est suivie, on pourrait alors comparer les statistiques d’un pays à un autre dans le temps comme dans l’espace.

On aura une statistique en temps réel, des statistiques pertinentes qui pourront permettre à l’Afrique de concevoir son propre développement, de suivre la mise en œuvre de ses projets et de les évaluer. C’est pourquoi, nous avons dit que les statistiques sont au début du processus de développement, pendant le développement et à la fin du développement. Au début, parce qu’il faut concevoir les projets, pendant parce qu’il faut faire le suivi et à la fin, il faut les évaluer. Toutes ces opérations sont faites aujourd’hui à travers des données secondaires  produites par les institutions extérieures. Il y a une dure réalité en statistique, qui dit que   celui qui les produit véhicule un message, son message.

Implication du secteur privé africain dans les projets de développement.

Le secteur privé a sa place. Nous disons aujourd’hui que l’Afrique ne peut pas se développer sans pour autant s’appuyer sur son secteur privé. L’Etat ne peut pas tout faire. Il faut que l’Etat et le secteur privé s’associe. L’Etat doit jouer son rôle régalien, mettre en place les conditions appropriées pour que le secteur privé puisse opérer dans des conditions qui puissent lui permettre de rentabiliser son investissement. Mais le problème en Afrique, c’est qu’on a un secteur privé qui a peur de courir des risques.

Le secteur privé doit courir des risques. Le secteur privé africain s’installe dans ce que l’on appelle la périphérie du développement : la boulangerie, la blanchisserie, là où on ne court pas de risque.  Alors qu’il pourrait par exemple s’investir dans l’agro-industrie et la transformation de nos matières premières agricoles. Donc nous invitons le secteur privé africain à courir des risques.  Nous avons besoin en Afrique de capitaines d’industries. Des gens qui ont une relation fusionnelle avec l’industrie, qui courent des risques. L’Afrique doit s’industrialiser. Ce n’est plus un luxe. Et le secteur privé a son rôle à jouer dedans.

 

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