Afrique: Professeur Abdoulaye Sakho, Universitaire Sénégalais, Agrégé des Facultés de Droit, Chef du Département de Droit du CRES, Responsable Scientifique et Fondateur du Master Droit et Economie du Sport. Institut EDGE/CRES – Dakar - « Le football africain est « pillé » sans contrepartie et de manière éhonté via des transferts… »

23 Avril 2018
interview

La FIFA pourrait, lors de son prochain congrès au mois d'octobre, mette en œuvre l'interdiction ou en tout cas la régulation du prêt de joueurs entre clubs. Une pratique souvent prisée en Europe et qui portent préjudice aux jeunes footballeurs notamment ceux en provenance d'Afrique. Interpellé sur cette question, le Pr Abdoulaye Sakho, Fondateur du Master Droit et Économie du Sport, décortique pour nos lecteurs, les contours de cette mesure en vue. Une option que certains observateurs jugent salutaires pour les footballeurs africains mais aussi pour les clubs du continent.

La FIFA envisage d'interdire les prêts de joueurs entre clubs. Une mesure qui pourrait selon certains, bouleverser le football moderne. Quels impacts sur le football en Afrique ?

Le prêt de joueurs de football entre clubs est une constante dans le monde du foot professionnel. C'est en principe légal. Il recèle d'énormes avantages pour le joueur qui peut retrouver un temps de jeu intéressant dans le club emprunteur. Il y a aussi un avantage pour les finances du club préteur qui ne paiera pas un salaire à un joueur qui n'est même pas dans son groupe de performance. Malheureusement, cette pratique est aujourd'hui détournée dans le foot business.

En effet, les clubs les plus riches arrivent à se doter d'effectifs pléthoriques et comptent sur une sorte de retour sur investissement au moment de la vente de cet effectif. Mais avant la vente le joueur est dans l'effectif du club acheteur. Pour ne pas le perdre et donc l'avoir toujours à l'œil, quoi de plus simple que de le prêter à un autre club.

On donne un exemple très connu des Sénégalais avec l'international Papy Djilobodji. Selon votre confrère « 24H » que vous me permettrez de citer : « Le défenseur central sénégalais Papy Djilobodji évoluait à Nantes lorsque Chelsea s'est intéressé à lui. Quand Chelsea pose 3,5 millions d'euros sur la table pour recruter le joueur, les observateurs sont surpris. A raison, puisque Djilobodji n'apparaîtra que deux fois dans l'effectif des Blues pour trois minutes de jeu en tout et pour tout. Chelsea le prête au bout de six mois au Werder Brême, avant de le vendre pour 9,5 millions d'euros à Southhampton. Chelsea a donc acheté un joueur, visiblement sans aucune intention de l'intégrer à son effectif, mais uniquement pour réaliser une plus-value de six millions d'euros. C'est du football? Non, on appelle ça du business ». Lors de ce transfert, les observateurs sénégalais surtout étaient fiers de voir leurs joueurs sous les ordres de José Mourinho. Or ce dernier a vite fait comprendre à tous que le joueur n'entrait pas dans ses plans. Donc c'était tout sauf un transfert sportif !

%

La Fifa s'élève donc contre cette pratique de « sur stockage » des jeunes joueurs dans un but uniquement spéculatif et il se pourrait que lors de son prochain congrès au mois d'octobre elle va mette en œuvre l'interdiction ou en tout cas la régulation du prêt de joueurs.

Si l'on parcourt la presse internationale, il semble que le projet de la Fifa n'est pas accueilli avec unanimité ?

Oui. Mais pour moi, cette mesure que certains grands clubs des grands championnats européens fustigent, me parait salutaire pour le football africain qui est « pillé » sans contrepartie et de manière éhonté via des transferts avec la complicité de certains « agents » de joueurs véreux, sous l'œil bienveillant de supposés « centre de formation » plus proches de « zones de transit » pour joueurs mineurs que de véritables structures de formation.

Que peuvent attendre les africains de cette mesure ?

En s'essayant à cette forme de régulation, la Fifa cherche à éviter le « sur-stockage » de jeunes joueurs de talents dans certains clubs. Ce qui généralement influence négativement sur les compétitions et les matchs car les autres clubs ne pourront pas avoir ces joueurs de talents pour être compétitifs dans leurs championnats.

Une telle mesure est totalement favorable aux structures de formation. Certes elles vendront moins de joueurs car ce seront les « vrais pépites » qui partiront. La structure de formation pourra donc utiliser ses joueurs plus longtemps au lieu de s'en débarrasser assez rapidement au profit de grands clubs qui ne feront que les stocker ou les prêter au détriment de la structure de formation.

Avec cette mesure, les clubs de foot en Afrique gagneront. Ils vendront beaucoup plus chers leurs pépites et auront les moyens d'entretenir une équipe compétitive au plan africain. Ce qui leur permettra d'avoir des compétitions et un championnat professionnel qui pourra faire vivre les joueurs locaux de manière décente parce qu'attractive avec de bons joueurs. Ainsi les droits de TV seront un peu plus intéressants et serviront au financement du football local.

Que doivent faire les dirigeants du football africain ?

Il leur faut anticiper s'ils sont soucieux du développement du football sur le continent, s'ils veulent trouver une alternative à la « dictature »  du football européen et sa ligue des champions sur le football mondial, s'ils veulent que les Africains produisent un beau spectacle chez eux. En tout cas, un nouveau modèle économique est en train de se mettre en place pour le sport et j'en appelle à M. Ahmed Ahmad et à la CAF.

Une anticipation sur l'impact de cette mesure serait salutaire et permettrait de donner au football de chez nous des arguments pour éviter que tous les joueurs africains bons comme moyens aillent en déperdition en Europe alors qu'ils pouvaient servir à faire le spectacle ici et maintenant sur le continent. Ce talent peut être à la base d'une véritable économie du sport ici avec une énorme attractivité pour les chaines africaines de TV. A défaut, nous allons encore subir comme nous subissons actuellement la justice sportive par le biais du TAS qui a tout l'air d'un tribunal pour « riches »!

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.