Cameroun: Prédication du jeudi 26 MAI 2022 fête de l'Ascension par le Rev. JOël Herve Boudja

Textes : Actes 1, 1-11 ; Hébreux 9, 24-28 ; Luc 24, 46-53

Un collègue prêchait l'année passée à l'occasion de cette fête de l'Ascension en disant que le Père du Ciel n'avait plus le choix. Il ne pouvait que reprendre son " gamin " auprès de Lui, car le fait qu'il soit ressuscité posait déjà assez de questions comme cela. Retourner auprès du Père était le cours normal des choses. Un peu facile comme explication me semble-t-il.

S'il est vrai que la résurrection est avant tout un acte de foi, je crois pouvoir dire qu'il en va de même pour l'Ascension. Nous sommes en droit de nous questionner sur le sens d'un tel événement. La prédication de mon collègue ne m'ayant pas tout à fait convaincu, je suis allé voir du côté de nos frères catholiques, au summum : les jésuites. Et je dois bien admettre, à regret il va sans dire, que le père François Varillon, membre de la Société de Jésus peut sans doute nous éclairer dans la compréhension de ce mystère.

Jésus se devait de monter au " ciel ", écrit-il, non pas le " ciel " au-dessus des nuages, mais ce ciel qui est la rencontre intime de Dieu et de l'homme, le contact de l'être de l'homme avec l'être de Dieu. Ou pour être plus précis encore, le ciel, vécu comme avenir de l'homme, avenir de l'humanité. Et l'Ascension en est le signe visible. Elle est la fête qui inaugure cet instant, qui fait exister ce Ciel. Et ce, à partir d'un départ. Or bien souvent les départs, surtout quand on aime, sont douloureux. C'est ce que les apôtres ont dû vivre. Pourtant, constate un des auteurs favoris de mon adolescence, " lorsque vous vous séparez de votre ami, vous ne vous affligez pas ; car ce que vous aimez le plus en lui peut être clair en son absence, de même que pour l'ascensionniste la montagne est plus nette vue de la plaine ".

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Le départ de Jésus vers les cieux ne signifie pas la fin d'une histoire mais plutôt le début de l'éternité, de notre éternité. Si Jésus n'était pas " monté " au ciel, il serait encore parmi nous, au milieu de nous, pire, extérieur à nous, comme je vous suis extérieur et comme vous m'êtes extérieurs. Son départ symbolise dès lors un nouveau mode de présence, non plus une présence proche, visible et à nos côtés mais plutôt une présence à la fois tout intérieure, universelle, hors frontière et hors du temps. Une vraie présence, vécue sur le mode de l'absence, un peu comme lorsque nous vivons un deuil, ce temps nécessaire pour que l'être disparu vive à jamais en nous.

Dieu, Père, avait sans doute compris que s'il laissait son Fils sur terre, nous autres, humains, nous nous serions sans doute infantilisés, nous aurions régresser puisqu'à chaque décision à prendre nous aurions pu l'interroger pour qu'il nous dise la bonne voie à prendre. Il n'aurait pas pu se tromper puisqu'il est Dieu... Notre vie sur terre serait plus facile à vivre mais à l'inverse, nous n'aurions plus été responsables de nos destinées.

J'espère que Dieu refusera toujours d'écrire lui-même notre histoire. Je ne crois pas que Dieu ait véritablement un projet sur l'homme, par contre je suis convaincu que l'homme est le projet de Dieu. Voilà toute la différence. Dieu nous veut hommes et femmes, adultes responsables, construisant nous-mêmes notre histoire. Nous sommes des êtres reçus et en devenir. Le départ du Christ, son Ascension, est donc essentiellement de sa part le respect de notre liberté. Une liberté qui nous permet de construire notre avenir. Jésus nous a laissé un message, une tâche à accomplir.

Nous avons un cœur et une intelligence, à nous de les utiliser dorénavant au service de notre humanité. C'est à nous qu'il appartient, en pleine responsabilité, de prendre les décisions qui conviennent pour l'avènement d'un monde plus humain, plus juste. Nous n'avons pas d'inquiétude à avoir, le Christ reste bien présent dans chacune de ces décisions humanisantes pour leur donner une dimension divine. En d'autres termes, nous pouvons dire, avec Varillon, que le Christ divinise ce que nous humanisons. Nous sommes liés à lui de la sorte dans cette intimité de Dieu que nous appelons Ciel.

Par son Ascension, le Christ s'en est allé et pourtant, c'est ainsi qu'il nous est le plus profondément présent. Comme le dit si bien Claudel, " il faut que je vous soustraie mon visage, pour que vous ayez mon âme ". Dorénavant nous vivons dans cette intimité divine, réconforté par la présence de l'Homme-Dieu. Que cet acte de foi, nous permette de vivre et d'agir en conséquence pour que la terre que nous laisserons aux générations futures soit plus humaine.

Bien-aimés dans le seigneur,

Il m'arrive parfois d'entendre la question suivante posée par certaines personnes vraisemblablement passionnées de statistiques. Je me permets de vous la livrer en ce jour de la fête de l'Ascension : " dites-nous, pasteur, quel est votre taux de divorce parmi les mariages que vous avez célébrés à ce jour ? ".

Je m'étonne toujours de ce type d'interpellation. En effet, en tant qu'officiant, je suis attentif à ce que le couple de fiancés prenne le temps de se préparer. Je les rencontre et je les accompagne. Je me permets alors de rappeler à ces personnes qui me questionnent sur " mon taux de divorce parmi les mariages célébrés " qu'en tant que pasteur, je ne suis pas acteur du mariage que c'est une bénédiction nuptiale que les époux se confèrent.

Mon rôle s'arrête donc bien le jour de la célébration. Je reste bien évidemment disponible après s'ils souhaitent. Mais en aucune manière, je ne me suis engagé à téléphoner tous les mois à tous les couples dont j'ai accompagné la célébration pour voir si tout se passe bien entre eux. Je me refuse d'être la caricature de la belle-mère envahissante qui s'autorise à interférer dans des matières qui ne la regardent pas.

A la fameuse question, je réponds donc que je n'en sais rien et que ce n'est pas " mon taux " mais la réalité de ce que les couples vivent. C'était leur décision de se marier, c'est encore et toujours la leur de chercher à poursuivre l'aventure ensemble lorsque des difficultés surgissent. Telle est leur liberté et ils n'ont certainement pas besoin d'une belle-mère de plus. Sur base de ce constat, je me demande si la fête que nous célébrons aujourd'hui n'est pas également un peu de cet ordre-là.

Dieu le Fils semble ne pas souhaiter devenir une sorte de belle-mère envahissante et insupportable qui interviendrait à tort et à travers dans le cours de nos existences. En agissant ainsi, il reproduit l'attitude de son propre Père qui, après avoir créé l'être humain, a également choisi de se retirer, de se reposer. Il achève sa Création en nous ayant donné un mandat : celui de conduire la Création entière et ses créatures à l'accomplissement. Un peu comme si nous étions des êtres inachevés dans un monde tout aussi inachevé qui sommes devenus, par le mandat reçu, lieutenants de Dieu sur terre, c'est-à-dire tenant lieu de Dieu sur terre (A. Gesché).

Lourde responsabilité puisque Dieu se révèle à nous par nous. Mais également, quel cadeau de nous offrir ainsi la liberté de nous réaliser. Quelques millénaires plus tard, le Christ s'incarne pour nous proposer un chemin de vérité de vie. Tout est là, en substance, dans les pages de nos évangiles. Si nous voulons mettre nos pas dans les traces du Christ, il nous suffit de vivre de ce qu'il a habité lors de son passage parmi nous.

En bon Fils unique, il reproduit l'attitude du Père et choisit à son tour, après avoir convaincu ses disciples de l'événement de la Résurrection, de quitter ses proches pour les laisser plus libres encore d'accomplir leur propre destinée. En agissant de la sorte, il refuse lui aussi d'être cette présence divine envahissante vers laquelle nous nous tournerions systématiquement dès qu'un problème surgirait. Il ne veut pas être catalogué de " belle-mère infernale ".

Dieu tient trop, en effet, à l'exercice de notre liberté mais également il nous demande de devenir des êtres pleinement responsables face à notre propre vie. Il est alors clair que le prix de la liberté peut nous sembler parfois un lourd tribut à payer surtout lorsque nous sommes confrontés à l'insupportable de l'injustice de la maladie ou de la mort qui arrive souvent trop tôt.

Nous avons le sentiment que le cadre à partir duquel notre liberté peut s'exercer diminue fortement et nous pouvons être saisi d'un vertige d'un sentiment d'absence totale de liberté. Toutefois, le Fils ne nous laisse pas seuls, en désarroi. Il nous promet qu'à l'événement de la Pentecôte, il nous enverra " ce que mon Père a promis ", c'est-à-dire l'Esprit Saint qui nous accompagnera sur le chemin de vérité de nos vies.

Avec l'Esprit de Dieu en notre monde, il ne s'agit plus de cette " belle-mère insupportable " mais plutôt d'une " belle-maman " attentive et bienveillante qui se révèle à nous, lorsque nous choisissons de nous laisser guider par Lui, dans la manière dont tous ceux et celles qui se font proches de nous, nous accompagnent dans la traversée de l'épreuve.

Le Fils, comme le Père, s'en est allé mais nous vivons avec la promesse que nous ne sommes plus jamais seuls. L'Esprit de Dieu éclaire nos routes intérieures. Il est en nous et agit par chacune et chacun de nous. Puissions-nous alors rendre grâce à Dieu de nous offrir une telle liberté et une telle responsabilité pour sa création et ses créatures. Bonne fête de l'Ascension et bonne fête à toutes les " belles-mamans " attentives et bienveillantes qui par leur être et leurs actes rendent Dieu plus présent en notre monde.

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