Afrique Centrale: Livre de Enoh Meyomesse - Le Cameroun, la République Amnésique, Le pays qui efface son passé

Le 13 septembre 1974, Tonton Sébé Njoh, animateur radio bien connu par son émission matinale " Bonne fête " diffusée par Radio-Cameroun, avait rappelé à ses auditeurs que ce jour-là, seize années auparavant, Ruben Um Nyobè avait été assassiné en plein maquis en Sanaga-Maritime.

Avant la fin de l'émission, Jean Fochivé, le tristement célèbre patron de la police politique, avait dépêché à Radio-Cameroun une escouade de ses agents. Ceux-ci avaient fait irruption dans le studio où se trouvait le présentateur de l'émission, et l'avait arrêté sur le champ non sans lui avoir infligé une bastonnade en bonne et due forme. Puis ils l'avaient traîné dans les geôles de la BMM à Yaoundé - officine où se pratiquait la torture - où il avait été enfermé des mois durant, pendant que son salaire avait été suspendu. Son péché ? Il avait commis l'imprudence de prononcer ce nom que le régime avait décidé de bannir et d'effacer de la tête des Camerounais. Et si d'aventure on était amené à le prononcer, il fallait prendre la précaution de qualifier la personne qui le portait de dangereux individu qui avait fait couler beaucoup de sang innocent au Cameroun.

Quatorze années auparavant, à savoir au mois de janvier 1960, soit tout juste quelques jours après la proclamation de l'indépendance, Ahmadou Ahidjo, encore Premier ministre du Cameroun - il ne deviendra Président de la République que le 5 mai 1960 - avait autorisé la vente d'un livre intitulé " Histoire du Cameroun ". Aux environs de onze heures, à peine le public avait-il commencé à le découvrir dans les librairies de la capitale, que la police nationale secondée par la gendarmerie, avait procédé manu-militari à la saisie de tous les exemplaires de cet ouvrage mis en vente à travers la ville.

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Gare à quiconque était surpris en possession de l'un d'eux. La raison ? Dans le livre, deux pages étaient consacrées à Ruben Um Nyobè et au combat qu'il avait mené pour l'indépendance du pays. Cela était totalement inacceptable pour le gouvernement camerounais. Un seul homme avait mené le combat pour l'indépendance, c'était " Son Excellence " Ahmadou Ahidjo, et personne d'autre. Comment oser évoquer quelque autre nom, qui plus est, celui d'un bandit de grands chemins tel que l'avait été Ruben Um Nyobè selon le régime, dans un livre d'histoire qui se voulait " sérieux " et " intoxiquer " ainsi la population ? Ce n'était que par simple magnanimité que les auteurs de l'ouvrage n'avaient pas connu le même sort que Tonton Sébé Njoh.

En tout cas, les oreilles leur avaient été bien tirées, afin que nul ne se hasarde plus jamais à commettre pareille bêtise.

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