Ile Maurice: Éclairage - Quand Padayachy joue son va-tout

D'ici la semaine prochaine, le pays vivra au rythme du Budget Day, le troisième de Renganaden Padayachy, avec la population, comme les années précédentes, suspendue à ses principales annonces.

Contrairement aux autres États, qui voient cet événement comme le cours normal de la vie économique d'un pays, frisant même l'indifférence, ici c'est loin d'être un non-event ; chacun cherchera la mesure qui lui redonnera le sourire dans cet environnement souvent délétère.

Certes, il ne faut pas se voiler la face. Le ministre des Finances ne se voit pas devant un boulevard où il aura le champ libre pour jouer sur plusieurs claviers et faire entendre la petite musique que le peuple veut écouter. Ces derniers jours, à travers les nombreux mémoires prébudgétaires soumis par des institutions du privé, des organisations socioprofessionnelles, des forces vives du pays comme représentants de la société civile, le ministre Padayachy a dû se rendre compte de leurs attentes, trop souvent disproportionnées par rapport aux réalités économiques et sociales du pays.

Comme à l'accoutumée, il s'agit carrément des intérêts corporatistes et le besoin pour chacun de protéger sa paroisse, sans pouvoir comprendre que le Budget n'est pas une opération de distribution de confettis, comme les différents locataires du Trésor nous ont habitués dans le passé.

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Maurice n'est pas coupé du reste du monde, confronté aujourd'hui à d'énormes défis tant économiques et géopolitiques qu'alimentaires. La crise pandémique et énergétique découlant de la guerre sans fin russo-ukrainienne a mis en évidence l'urgence d'assurer un niveau de sécurité alimentaire et énergétique à l'échelle nationale.

Mais au-delà de ces deux enjeux planétaires pour les économies émergentes et celles des pays nouvellement développés, des questions se posent sur la globalisation économique mise à l'index dans le sillage de la crise sanitaire. Aujourd'hui, avec un ordre économique redéfini, renforcé par les ambitions de la Russie dans sa quête impériale et l'axe Poutine/Xi Jinping, certains, à l'instar de Larry Fink, le patron de BlackRock, fonds d'investissement mondial, s'interrogent sur la fin de la globalisation économique telle qu'elle a été vécue depuis 30 ans.

Des problématiques qui ne doivent pas laisser insensible le ministre des Finances dans la définition de la nouvelle vision économique du gouvernement et le positionnement du pays dans la sphère régionale et internationale. Plus que jamais, il doit savoir que le sort, voire la survie d'un pays ne se décide malheureusement pas sur son territoire mais bien souvent à l'étranger, où la nouvelle configuration du commerce international peut dresser des obstacles au libre-échange des marchandises. On a vu d'ailleurs comment l'attaque de l'Ukraine par la Russie est venue bouleverser les échanges agricoles et compromettre la sécurité alimentaire de nombreux pays en Europe et ailleurs.

Autant le ministre doit savoir que les institutions internationales, comme le FMI, la Banque mondiale et Moody's, le surveillent comme le lait sur le feu pour tout dérapage économique, autant il est conscient qu'il est attendu au tournant sur le front social. Les manifestations de rue, sur toile de fond d'une dégradation du pouvoir d'achat des économiquement faibles, qui sombrent dans la pauvreté, doivent certainement interpeller le ministre, qui est condamné à envoyer des signaux forts dans ses annonces budgétaires. Le Country Senior Partner de PwC, Anthony Leung Shing, a sans doute raison de souligner, dans l'interview qu'il accorde à l'express en page 12, que le prochain exercice sera à forte connotation sociale.

Et que le meilleur moyen d'assister cette frange de la population est forcément le ciblage des prestations sociales. La cheffe de la récente mission du FMI à Maurice, Cemile Sancak, avait raison de souligner que les subsides bénéficient plus aux familles aisées qu'à celles véritablement dans le besoin. Triste réalité aujourd'hui quand on voit que le directeur d'une banque paie sa bonbonne de gaz au même prix que le cordonnier du coin !

En même temps, le social a un coût. Le ministre devra réconcilier les exigences sociales avec les impératifs économiques. Quelles options s'offrent à lui ? Réduire les dépenses publiques, augmenter les impôts, puiser des dividendes des investissements de l'État dans les entreprises publiques, utiliser des dons de pays amis ou s'approprier ce qui reste encore des milliards de la Banque de Maurice... Ue marge de manoeuvre qui n'est pas si étroite. Encore faut-il un bon dosage entre politiques fiscale et monétaire, en attendant le balancing act du Premier ministre.

Pour autant, les économistes se posent toujours des questions sur le type de budget que le ministre Padayachy présentera le 7 juin. Est-ce qu'il s'inscrira dans la continuité ou prônera une rupture d'un modèle économique, compte tenu de la nouvelle architecture économique mondiale ?

L'économiste Pierre Dinan plaide pour un budget de remise à niveau, ce dont le pays a besoin dans la conjoncture actuelle. "Avant la pandémie, en 2019, le gâteau national valait Rs 498,3 milliards. En 2020, il était chiffré à Rs 429,7 milliards, soit 13,8 % de moins qu'en 2019. En 2021, il y a eu une amélioration, il s'élevait à Rs 461,9 milliards, soit 7,7 % de plus qu'en 2020, mais toujours inférieur à celui de 2019 par 7,0 %.

Si l'on fait abstraction de la dépréciation de la roupie durant ces années-là et que l'on établit une comparaison à valeur constante de la roupie, on constate que le gâteau national s'est rapetissé de 14,7 % en 2020 et qu'il n'a rattrapé que 4,8 % en 2021." Il propose que, pour viser un PIB pré-Covid, toutes les ressources du pays y soient engagées et, surtout, qu'on repousse d'un revers de main "cette attitude d'attentisme qui se traduit par ce que le gouvernement kapav fer pou nou." Certes, oui.

En attendant, Renganaden Padayachy n'a certainement pas droit à l'erreur. Il ne peut manifestement pas plaire tout le monde. Il a sa feuille de route où il doit projeter l'économie à partir d'une île Maurice à la croisée des chemins. Une dégradation des paramètres économiques l'éloignera de ses objectifs budgétaires, dont un déficit budgétaire de 5 % du PIB au terme de la présente année fiscale.

Qu'est-ce qu'il peut donc sortir de son chapeau le jour J pour qu'on se rappelle de lui ? Une mesure phare comme la hausse de la TVA sur les produits grand luxe, comme le suggère d'ailleurs le patron de PwC. Cette taxe, qu'aucun ministre des Finances ne souhaite revisiter, et considérée comme une véritable vache à lait pour le gouvernement, rapportant un tiers des revenus fiscaux, peut être davantage exploitée. L'idée est simple : ceux qui peuvent acheter une voiture de grande classe ou des bijoux luxueux doivent pouvoir casquer plus en réglant un taux élevé de TVA. Une autre forme de ciblage...

Le ministre des Finances aborde la dernière ligne droite de son Budget. Il joue en même temps son vatout en sachant bien que s'il rate son exercice, il sera le seul à encaisser les coups...

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