Ile Maurice: Allégations de torture - Le jour où la vie de trois frères a basculé...

La série noire continue. Après la pluie de dépositions pour brutalité mercredi dernier, plusieurs autres victimes continuent à venir de l'avant pour briser le silence et dénoncer les pratiques humiliantes de certains policiers. Trois frères ont vu leur vie basculer suite aux mauvais traitements reçus lors d'une arrestation...

Les autorités auront beau affirmer qu'elles n'étaient pas au courant des pratiques dans la police, mais force est de constater que la force policière est gangrenée jusqu'aux os. Depuis l'apparition des vidéos de torture, plusieurs autres victimes sont venues de l'avant pour dénoncer les actes barbares de la police contre elles. Parmi figurent Kelly Février, Aljojah Isou et Beni Irana, trois frères qui habitent à Petite-Rivière...

Leur regard est vide, leur visage marqué par ce traumatisme qui les tourmente quotidiennement depuis cinq ans déjà. C'était le 14 août 2017. Un impressionnant dispositif policier fait irruption dans leur mai- son, à Petite-Rivière, vers quatre heures du matin. À ce moment-là, ni eux, ni leur épouse, et encore moins les enfants présents, ne comprennent ce qui se passe. "Je dormais lorsque j'ai entendu le tapage", explique Kelly Février. Il se lève et se retrouve nez à nez avec une trentaine de policiers. Certains sont du Groupement d'intervention de la police mauricienne et d'autres en civil.

C'est là, au milieu de la confusion et des gros mots, qu'il apprend qu'un couple a porté plainte pour vol de bijoux. "Mo pa finn mem gagn letan dir mo pa konn nanye, zot finn fini defons laport pou rantre", avance l'homme. Il est tout de suite traîné hors de la maison et tabassé. Puis, il est transporté, à bord d'un véhicule de la police, à Chebel, et les agressions sur sa personne se poursuivent. "Mo ti menote. Mo pe dir zot mo pa finn fer nanye, zot inn bat mwa ziska mo lipie kase. Zot ti pe zour mwa" se remémore-t-il.

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Mais les mots sortent avec difficulté, sa voix tremble en repensant à cette scène d'horreur. Après la torture, il a passé huit jours en cellule. Ce n'est qu'à sa sortie qu'il a reçu des soins médicaux pour son pied. Puis, il y a eu les menaces. Les policiers ont dit, en termes clairs, que sa famille serait brutalisée s'il dénonce. "Ant frer, nou ser koud. Me li enn tromatism. Mo nepli dormi bien."

Mis à genoux avec un fusil

Kenny Février n'est pas la seule victime. Son frère, Benny Irana, âgé de 30 ans, est passé par la même chose. Lorsqu'il a entendu les bruits, il est descendu du premier étage. Dès qu'il arrive au pied des escaliers, il a à peine le temps de dire qu'il y a des femmes et des enfants dans la maison qu'il est tiré, mis à genoux avec un fusil sur la tempe. Il était uniquement en sous-vêtements à ce moment. Sans prendre en considération la présence des enfants, les coups commencent à pleu- voir. Matraques, coups de poing, claques, coups de pied... "Zot ti pe demann mwa kot exhibit, kot bann bizou la. Mo pa ti pe kompran nanye", confie Benny Irana.

Les voisins, en entendant du bruit, se réveillent. Les policiers remarquent les lumières allumées des maisons. "Ils m'ont sommé de rester tranquille. Zot inn dir manz to kou." Il est conduit à Chebel aussi, où une fois à terre, les policiers lui coupent les cheveux. Entre les coups, Benny Irana est aspergé de gaz lacrymogène et aspergé d'eau. Ce n'est qu'après qu'il est transféré au poste de Coromandel. Depuis, comme son frère, il dort mal. Même sa relation avec ses enfants, qui ont assisté à la scène, a changé. "Mo per kan mo get la polis. Mo nepli kapav koz ek mo zanfan", pleure-t-il.

Aljojah Issou, le troisième frère, était sous traitement pour troubles psychiatriques, et les policiers le savaient. Ce n'est pas pour autant qu'il sera épargné. Bien au contraire. "To suiv tretman mental twa. Atan to pou re al laba ankor." lui balancent les policiers, sans détour. Cela devient même une blague. "Zot inn dir mwa zot pou fer mwa vinn pli fou ankor."

Comme ses frères, il est projeté au sol et frappé. Les questions sont similaires.

La Criminal Investigation Division s'est chargée de l'enquête. Les trois frères sont représentés par Me JeanClaude Bibi. Depuis, la situation des frères ne s'est pas améliorée. Les traitements d'Aljojah Issou sont devenus plus lourds et il ne peut plus dormir sans somnifères. Kenny Février, peut à peine travailler car son pied lui fait toujours mal. Benny Irana a toujours du mal à s'exprimer sur ce traumatisme qui a affecté son enfant. La vie des trois frères a définitivement changé ce jour-là...

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