Tunisie: Abdellatif Hammouda, président du groupement des producteurs d'énergies renouvelables, à La Presse - " L'énergie est au-dessus de nos têtes "

interview

" Les banques ne sont pas encore convaincues de l'avantage de la transition énergétique. Elles sont réticentes à l'idée d'accorder des crédits à ce type de projet, car elles considèrent toujours que ce sont des projets risqués, et nous accordent des prêts à un taux de 8% ".

Quelle évaluation faites-vous des politiques publiques en matière de transition énergétique et d'utilisation des énergies propres ?

Lorsqu'on évoque les politiques publiques en la matière, il nous arrive à l'esprit d'évoquer le plan solaire 2015-2030 tracé par l'Etat, qui a pour objectif de parvenir à un taux de 30% d'énergies renouvelables à l'horizon 2030. Ce qui représente 3.800 mégawatts à peu près. Nous sommes en 2022 et nous n'avons même pas atteint 3% de nos objectifs. Cela reflète la faiblesse des politiques publiques.

Trois sociétés sont prêtes à entrer en exploitation, elles n'ont pas encore démarré, en raison notamment du retard d'octroi de la garantie de l'Etat.

Certains problèmes persistent, notamment les difficultés foncières, et essentiellement dans le sud. Le ministère de l'Agriculture tarde à opérer le changement de vocation des terrains, pour qu'ils deviennent solaires. Mais attention, il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas de terres agricoles proprement dites, les champs de panneaux solaires ne vont aucunement empiéter sur les cultures. Le ministère de la Défense, également pour les éoliennes, invoque la perturbation du réseau.

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Les banques ne sont pas encore convaincues de l'avantage de la transition énergétique. Elles sont réticentes à l'idée d'accorder des crédits pour ce type de projet. Elles considèrent toujours que ce sont des projets risqués, et nous accordent des prêts à un taux de 8%.

Le souci, c'est également le fait que la Steg oppose un refus jusqu'à présent à la loi transversale de l'énergie. Le développeur passe un accord avec l'usine directement et les deux parties s'entendent sur les prix. Dans ce cas, la Steg n'est plus le seul acheteur. La Steg refuse toujours cette loi

Pour elle, tant que cette loi n'est pas abrogée, elle ne donne pas le raccordement aux centrales qui existent comme celle de Tataouine. Plusieurs centrales sont d'ailleurs prêtes dans plusieurs régions de la Tunisie, mais ne peuvent travailler en raison de ce veto de la Steg.

De toutes les manières, je suis certain que nos amis de la Steg savent très bien que la société n'a pas les moyens de mener toute seule l'ensemble des investissements, il faut être épaulé par le privé.

Nous importons 50% du gaz que nous consommons, cela coûte extrêmement cher, notamment avec la guerre en Ukraine.

La pointe de la consommation l'année dernière s'est élevée à 4 225 mégawatts. Cette année, ce chiffre sera peut-être dépassé. Il n'y aura dans ce cas aucune autre solution que le délestage. C'est-à-dire concrètement, supprimer l'alimentation d'un groupe d'appareils ou de clients afin d'éviter la saturation de l'alimentation électrique.

Si nous avions vraiment avancé sur le dossier de l'énergie solaire, nous n'en serions pas là. Nous serions d'abord avec une énergie propre, suffisante pour alimenter les Tunisiens, et surtout avec une facture énergétique beaucoup moins lourde qu'aujourd'hui, que ce soit pour l'Etat que pour le citoyen.

On en déduit que nous avons un énorme retard à combler

Absolument et d'ailleurs Mme la ministre de l'Énergie, Neila Gonji, a récemment affirmé que nous devions mettre les bouchées doubles pour combler ce retard. D'ici à 2025, il faudra parvenir à 2 000 mégawatts. Un chiffre très difficile à atteindre, sauf si vraiment tout le monde s'y met.

Si nous nous y mettons, nous gagnerons sur tous les plans. Quand on installe une centrale de 200 mégawatts à Tataouine, cela va permettre de créer 200 emplois directs et près de 2 000 emplois indirects. Si nous arrivons à produire 2 000 mégawatts, je peux vous dire que tout le monde trouvera un travail.

Nous avons en Tunisie 3 000 heures de soleil par an ! Vous vous rendez compte ? Nous pouvons grâce à cela satisfaire la demande intérieure et même exporter.

Si l'ensemble des parties prenantes mettent le paquet, nous arriverons à avancer. La loi transversale qui pose problème à certains, mettons-nous autour d'une table et discutons-en.

Les entreprises du secteur sont prêtes à agir aujourd'hui. L'argent est là, et les compétences aussi. Les compétences tunisiennes s'exportent dans toute l'Afrique. À titre personnel, comme acteur du secteur, 90% de mon chiffre d'affaires provient des autres pays d'Afrique. Sur le marché Tunisien, le potentiel est là, mais il n'est pas possible de mener des projets jusqu'au bout.

Nous sommes très en retard par rapport aux bons élèves de l'Afrique ?

Le Maroc a très bien avancé dans ce registre. Il pourrait même exporter vers le Royaume-Uni. L'Algérie, qui a pourtant commencé après la Tunisie dans ce domaine, nous dépasse aujourd'hui. Et puis je vais vous dire, jusqu'à présent, l'Algérie est toujours venue à la rescousse de la Tunisie au niveau de l'approvisionnement en gaz. Maintenant, dans un monde qui bouge, il y a des risques. Comment ferait-on sans le gaz algérien ?

Vous savez, en tant que chef de la commission des énergies renouvelables au sein de la Fédération nationale des communes tunisiennes, je peux vous dire que l'éclairage public constitue la plus grosse dépense en électricité. Dans la commune d'Enfidha, dont je suis maire, notre facture dépasse 1 million de dinars. Or si la loi transversale est appliquée, qui permet de fournir de l'électricité à la Steg le jour et de lui acheter l'électricité la nuit, nous parviendrons à faire baisser la facture de 30%. Ces économies pourraient alors être allouées à l'investissement dans l'infrastructure.

Ne faut-il pas aussi une prise de conscience nationale, y compris chez les citoyens, pour avancer sur ce dossier ?

Je confirme, s'il y a une prise de conscience et une exigence de la part des citoyens, alors les politiques seront obligés de s'aligner. Aujourd'hui, le citoyen n'a pas une vision à long terme sur l'énergie. Il faut qu'il comprenne qu'il est temps de parvenir à une indépendance énergétique. L'énergie est tout simplement au-dessus de nos têtes.

Je crois sincèrement que cet été sera difficile en termes d'énergie. Il est probable que l'on ait recours à des délestages.

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