Afrique: Bateau Bou El Mogdad - Une croisière au fil des mythes à Saint-Louis

12 Juin 2022

Puisque le Festival international de jazz s'est affirmé comme un sceau de la ville de Saint-Louis, il faut bien qu'il y ait un numéro pour nouer avec les mythes qui caractérisent la cité tricentenaire. Ainsi, certains festivaliers ont pu jouir, cette édition encore, de la joie d'une croisière sur le mythique Bou El Mogdad.

Une croisière sur le mythique bateau Bou El Mogdad. C'est le plaisir vécu, dimanche dernier, par un petit nombre privilégié de participants de la 30ème du Festival international de jazz de Saint-Louis. Une singulière bienvenue leur a été souhaitée, au pas de la porte du bateau, par des Signares en haute toilette. Ces figures des quatre anciennes communes, noires ou mulâtresses, qui ont tiré bonne gloire de leurs liaisons ou mariages " à la mode du pays " avec les administrateurs coloniaux. Cela faisait leur identité, avec leur coiffe conique longue et pointue appelée mdioumble. Les croisiéristes embarquent sur le bateau où un parfum à la fois historique et coquet embaume l'espace. Un groupe s'est déjà installé au premier étage, à table, sirotant nonchalamment diverses boissons. Avec l'affluence, les occupants des cabines en location du bateau quittent leur piaule pour s'enquérir de la clameur.

Leur quiétude sera encore dérangée durant trois heures, le temps de la croisière. Au dernier étage, de menus salons sont disposés pour accueillir les groupes. Ils sont vite pris d'assaut, avec le bar qui a aussitôt débuté son service. Placé tout devant à la terrasse, le trio Gëstu Jazz de Saint-Louis gère l'animation. Les thèmes sont de bon goût, de bout en bout, avec la visite du répertoire patrimonial et de certains illustres noms tels Youssou Ndour, Omar Pène, Bob Marley, Ismaël Lô, Bob Dylan, Phil Collins, Kiné Lam, Fatou Talla Ndiaye, Madiodio Gningue, entre autres. Dans le prolongement du Festival de Jazz, la musique a accompagné les croisiéristes le long du plaisant voyage.

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À l'appareillage du " Bou El Mogdad ", on est subjugué par l'éloignement cinématographique des berges de la vieille ville. On admire à distance respectable le beau panorama de Lodo, la partie Nord de la ville. Elle offre le joli tableau quoique décrépit de ses maisons à la mauresque et au toit de chaume. En cette sereine matinée dominicale, ces architectures atypiques semblent dormir sur les eaux blondes du Fleuve Sénégal et sous un soleil qui se montre plutôt impitoyable malgré une brume qui résiste. Passée la Pointe Nord qui termine l'île de Saint-Louis, on découvre les berges du troisième quartier de la Langue de Barbarie, Goxu Mbàcc.

La longue île populeuse de pêcheurs, qui sépare l'île de Saint-Louis de l'océan Atlantique, projette un débarcadère tout autant exotique que délabré. D'aucuns veulent d'ailleurs bien y voir la décadence de l'ancienne capitale de l'Afrique occidentale française (Aof) et du Sénégal, qui croule par endroits sous le désolant poids de l'insalubrité et du délabrement. Pendant qu'on quitte Goxu Mbàcc, la dernière partie sénégalaise avant la Mauritanie, " Bou El Mogdad " engage des zones inhospitalières où de piteuses mangroves sont placées en une haie qui est passablement d'honneur. L'imposant bateau n'en a cure. Il s'avance tel qu'il est : un vieil homme élégant qui fête ses 72 ans, promenant placidement sa sagesse sur les dédales de sa zone de sénescence. Ce rythme de croisière est justement maintenu jusque près des rives mauritaniennes qui enregistrent les premières présences humaines rencontrées.

PRESTANCE

Ce sont souvent de petits enfants qui se baignent dans le fleuve ou jouent sur des pirogues au fonctionnement douteux, des Thioubalo (pêcheurs toucouleurs, ou des femmes qui s'activent dans des corvées). Tous saluent avec admiration le vieux " Bou El Mogdad ", qui a l'air d'y gagner mieux en prestance. Ces animations sur berge seront malheureusement rares. On ne verra pour le reste que des zones marécageuses, avec une fadeur soutenue par ce qui reste des nuages de poussière qui ont empli l'atmosphère cette semaine-là. En ces moments, les gens sont mieux concentrés sur les copieux repas de chef servis tout au long du voyage, ou sur le show musical du trio Gëstu Jazz (batteur, guitariste solo et bassiste).

Après un tour du fleuve, on rejoint le quai régulier du bateau, au quartier Nord. Le timonier, dans sa cabine de pilote, sert un sourire victorieux. Il vient encore de prouver sa " maîtrise du fleuve, en déjouant les bancs de sable et autres butte qui pourraient perturber la plaisance ". Il est plutôt silencieux et garde la mine serrée, concentré sur la barre du gouvernail. Il n'a souri qu'après avoir affirmé " ne savoir conduire ni le vélo, encore moins la voiture ". Son commandant de bord, sympathique septuagénaire, propre sur l'homme et Saint-Louisien racé, montre plus de disponibilité. " Je suis à la retraite depuis une dizaine d'années. Je reviens ici souvent pour des prestations ", confie Commandant Makhtar Gueye, qui nous entretient ensuite de certaines spécificités du Bou El Mogdad avec un gentil enthousiasme.

Le commandant de bord ne s'éloigne de nous que pour guider l'équipe dans l'accostage. C'est une scène insolite pour celui qui vient de la découvrir. Un matelot qualifié tient les amarres sur le balcon du bateau, à quelques pas de la proue, pour les larguer. Il est entouré de matelots du dimanche qui, avec une agilité de clown et dans un tohu-bohu, donnent l'impression de l'assister à la tâche. Lui, semble plutôt sur les nerfs. Le timonier, un étage plus haut, est à la manœuvre. Au premier essai d'abordage, la poupe heurte violemment le quai et soulève une subite clameur de panique. Les moutons qui se faisaient laver tout près prennent aussi peur et tentent une fuite impossible avec la corde à la patte.

COMME AU THÉÂTRE

Le quai se remplit petit à petit de monde, des enfants, mendiants pour la majorité. Le spectacle est gratuit. Les riverains dont les domiciles font face au bateau ne se privent pas. Certains assistent à la scène comme au théâtre, tandis que d'autres immortalisent le moment avec leurs smartphones. Comme tous les autres, ils auront beau contempler le Bou El Mogdad ou jouir des plaisirs à bord, mais ils en auront jamais assez de s'en émerveiller. Avec tout ce qu'il concentre de charges symboliques et charmantes. Peut-être le navire a-t-il hérité l'aura historique et la majesté de son homonyme El Ibnou Bou El Mogdad Seck (1826-1880, chef interprète et explorateur, arrière-grand-père maternel de l'actuel khalife des Tidianes, Serigne Babacar Sy Mansour).

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