Ile Maurice: Grosses saisies de drogue - Un bilan stupéfiant

Que deviennent les suspects dans les enquêtes sur les plus importantes saisies de drogue à Maurice ? Aucune n'est bouclée mais les personnes arrêtées restent, pour la plupart, des années en cellule, sans procès. "L'express" est allé au-delà des réponses du PM.

Le 17 juin, Xavier Luc Duval a demandé au Premier ministre (PM), lors d'une Private Notice Question, de s'enquérir à propos des enquêtes sur quatre plus grosses saisies d'héroïne et de cocaïne à Maurice. Il faisait référence à la saisie de 119 kg d'héroïne, retrouvés dans six cylindres en mars 2017 et valant Rs 1,8 milliard, celle d'octobre 2018 où 100 kg d'héroïne ont été retrouvés sur un hors-bord et dont la valeur marchande s'élève à Rs 1,5 milliard, la découverte sur une tractopelle arrivée à Maurice, en juillet 2019, de 95 kg de cocaïne valant Rs 1,4 milliard, et, pour couronner le tout, l'importante saisie de 243 kg d'héroïne et 26 kg de haschisch à Pointe-aux-Canonniers, en mai 2021, et dont la valeur est estimée à Rs 3,6 milliards.

Où en sont les enquêtes y relatives ? Les suspects esti- ment leurs droits bafoués vu le nombre de mois qu'ils ont passé en détention provisoire. Dans certains cas, une motion pour leur remise en liberté a été débattue en cour à plusieurs reprises mais elle a été rejetée. Dans d'autres cas, l'enquête est presque complétée alors que pour certains autres cas, elle vient de commencer.

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En revanche, pour la saisie de cocaïne dans la tractopelle, un rapport a été remis au Directeur des poursuites publiques. Les quatre enquêtes se déroulent sous la supervision de l'assistant commissaire de police Sharir Azima. Interrogé par l'express, l'adjoint au commissaire de police Choolun Bhojoo, qui est aussi le chef de l'AntiDrug and Smuggling Unit, se dit satisfait des progrès réalisés sur ces quatre dossiers jusqu'à présent.

L'arrestation de Navind Kistnah, courtier maritime et importateur présumé de compresseurs, en 2017, fait suite à la saisie de 119 kg d'héroïne d'une valeur marchande de Rs 1,8 milliard. Mais le suspect n'est toujours pas fixé sur son sort. Keshwin Manish Seewoochurn, arrêté dans le cadre de la même affaire, a été relâché après 44 mois de détention et après avoir fourni deux cautions, le 31 décembre 2020, à la Bail and Remand Court (BRC).

Et c'est après plus de deux ans que Geanchand Dewdanee, l'un des principaux suspects dans cette sai- sie record de drogue de 2017, a obtenu la liberté conditionnelle, le 17 mai 2019, auprès de la BRC. L'Indien Sibi Thomas a recouvré la liberté conditionnelle après s'être acquitté de deux cautions de Rs 200 000 chacune et signé une reconnaissance de dette de Rs 1 million. Pourquoi la détention provisoire de Navind Kistnah dure-t-elle si longtemps ?

Cinq ans en préventive

Au cours de ses interrogatoires avec l'ADSU, Navind Kistnah a maintenu avoir été manipulé par Homunchul Kumar Ramdin, alias Doun, qui se serait servi de lui pour faire dédouaner et livrer à Manish Keshwin Seewoochurn cette importante quantité de drogue, et ce, sous les directives de Peroomal Veeren.

Navind Kisnah a mis l'accent sur le fait que Seewoochurn a connu Veeren à la prison de Beau-Bassin quand il était incarcéré pour vol de vieille ferraille en 2013. Il a ajouté que ce sont eux qui ont comploté pour importer du sand blasting en pot de l'Afrique du Sud. Jusqu'à présent, on ignore où se trouve Homunchul Kumar Ramdin.

L'express a contacté Me Neelkanth Dulloo et le Senior Counsel Rama Valayden, les hommes de loi de Navind Kistnah pour savoir pourquoi cette détention provisoire est prolongée pour leur client. Me Dulloo a répliqué que son client a été interrogé 69 fois et qu'il y a eu 12 enquêtes de l'ICAC depuis son arrestation. "Nous sommes satisfaits du déroulement de l'enquête car mon client collabore pleinement avec les enquêteurs de l'ADSU. Nous sommes au courant que cinq ans se sont écoulés et que Navind Kistnah est toujours en détention mais l'affaire est complexe. C'est pour cela qu'elle prend du temps. Une fois bouclée, nous ferons une application pour sa remise en liberté."

Vu la complexité de cette saisie, les enquêtes prennent du temps car il y a beaucoup de détails à vérifier. "Nous avons appris que l'enquête a été bouclée à 75 %." Contacté au téléphone, un membre de la famille Kistnah trouve que les droits de leur proche ont été bafoués car cinq ans en détention provisoire, c'est long ; alors que les autres suspects impliqués dans cette affaire ont déjà été relâchés sous caution.

La saisie de 100 kilos d'héroïne, valant plus de Rs 1,5 milliard, au large du Coin-de-Mire, a soulevé bien des points d'interrogation. Trois suspects avaient été arrêtés, dont celui considéré comme le "cerveau", à savoir Oomar Karrimbaccus alias Tirania. L'affaire avait fait grand bruit en octobre 2018. Les skippers Fabrice JeanPierre et Jean Michel Rosette avaient été arrêtés en sa compagnie le jour de la saisie, puis Bibi Rehana Peerkhan, Bibi Taslima Peerkhan Bruls, la belle-sœur du principal suspect, Bibi Rashida Karrimbaccus et Mohammad Umayr Bin Karrimbaccus, ont été arrêtés en novembre 2018.

Que deviennent ces suspects et qu'en est-il de l'enquête ? Depuis l'arrestation de Tirania, celui-ci a été interrogé une vingtaine de fois et l'enquête serait presque bouclée. Selon des sources concordantes, "l'enquête piétine un peu car le suspect a changé sa version à plusieurs reprises et a incriminé différentes personnes. Une fois, c'était un businessman proche du pouvoir, une autre fois quelqu'un dans la politique, et, finalement, il s'est rétracté et a incriminé un dénommé Asraf Mohamed Ali, qui se fait appeler le roi du Brown Sugar. Celui-ci avait été condamné par la Cour suprême à 35 ans de prison, en juin 2011, pour une livraison de drogue valant Rs 12 millions. Il avait auparavant échappé deux fois à la prison dans une affaire d'importation d'héroïne valant Rs 38 millions. Changer aussi souvent de versions ne rend pas ses propos crédibles. Les enquêteurs de l'ADSU prennent du temps pour aller vérifier ses dires et juste après, il change à nouveau de version", déclare notre interlocuteur.

Par ailleurs, les autres membres de la famille d'Oomar Karrimbaccus, à savoir Bibi Rehana Peerkhan, Bibi Taslima Peerkhan Bruls, Bibi Rashida Karrimbaccus et Mohammad Umayr Bin Karrimbaccus, sont toujours en détention provisoire. Leur avocat a fait une demande pour leur remise en liberté provisoire sous caution mais ils attendent toujours d'être fixés. L'express a parlé à un proche d'Oomar Karrimbaccus, qui insiste pour dire que les membres de la famille de ce dernier ne sont pas impliqués directement dans cette affaire. "Pourquoi punir les membres de sa famille car Oomar Karrimbaccus était le seul à être sur le bateau. Les autres ont fait, à plusieurs reprises, une demande de liberté conditionnelle sous caution mais ils moisissent toujours en prison."

De l'héroïne et du haschisch à Pointe-aux-Cannoniers: Les frères Gurroby, principaux suspects

Le 1er mai 2021, l'ADSU a déterré 243 kg d'héroïne et 26 kg de haschisch sur un chantier en construction à Pointe-auxCanonniers. Valeur de la drogue : Rs 3,6 milliards. Jusqu'à présent, huit suspects ont été arrêtés dans cette affaire. Il s'agit des frères Ritesh et Nitiraj Gurroby (Niresh), leur cousin Nogesh Gurroby, aussi connu comme Kishan, Siwdanand Rawah, vigile du chantier, le policier Kevin Joumont, Jean Lucandro Prudence, alias Gros Samuel, Geoffrey Kurson et Josue Joey Stephano Jean Baptiste.

L'enquête dans cette affaire est à moitié bouclée. Les frères Gurroby sont considérés comme les principaux suspects. Des voitures de location ainsi que celle du constable Kevin Joumont auraient été utilisées pour transporter la drogue. Selon des images CCTV en possession de l'ADSU, c'est un cortège de trois véhicules qui aurait été aperçu, quelques jours avant la découverte de cette importante quantité d'héroïne et de haschich. Le véhicule du policier Joumont se trouvait au milieu du cortège.

Les enquêteurs soupçonnent que c'est son véhicule qui transportait la cargaison record de drogue. Les suspects sont toujours en détention provisoire et ont fait valoir leur droit au silence. Les enquêteurs confient que parfois, ce sont les procédures qui tardent. En effet, une fois qu'un Judge's order a été obtenu pour procéder à l'examen des téléphones des suspects, les opérateurs de téléphonie peuvent prendre entre trois mois à un an avant de soumettre ces relevés à la police. L'un des avocats de Ritesh Gurroby, Me Sanjeev Teeluckdharry, explique que son client a déjà donné toutes les dépositions nécessaires et que jusqu'à présent, il n'y a aucune preuve qui l'incrimine dans cette saisie.

Cocaïne dans la tractopelle : une cargaison pas destinée au marché mauricien

L'enquête n'a pas encore été bouclée relativement à la saisie de 95 kg de cocaïne retrouvés dans une tractopelle à Pailles, le 10 juillet 2019, et aucune preuve n'a été obtenue pouvant mener à une quelconque arrestation. C'est ce qu'a révélé le PMe, Pravind Jugnauth, dans sa réponse à la PNQ du leader de l'opposition. Ce sont des employés de la firme Scomat, agent de marques internationales d'équipements de chantier, qui ont fait l'ahurissante découverte.

Un des employés de cette firme s'était rendu à la douane dans le port pour récupérer une tractopelle en provenance du Brésil et commandée par Baie du Cap Estates Ltd, société familiale, qui a démarré ses activités dans la production sucrière pour ensuite se lancer dans la production de chaux. Et les 95 kilos de cocaïne, estimés à Rs 1,4 milliard, ont échappé au contrôle des douaniers et des chiens renifleurs dans le port, de même qu'aux membres de l'Anti Drug and Smuggling Unit (ADSU). L'engin avait fait le voyage aux côtés de Mauricio, le premier tram. Le bateau avait fait escale au Maroc et devait ensuite mettre le cap sur l'Australie.

C'est lors de la vérification d'usage au garage de l'entreprise à Pailles par des mécaniciens que le pot aux roses a été découvert. La drogue était emballée et placée dans trois sacs de sport, dissimulés dans le compartiment abritant le moteur de la chargeuse. Les mécaniciens ont informé leur direction qui, a, à son tour, alerté la police. La direction de l'entreprise et les employés concernés ont tous collaboré avec les enquêteurs.

Là encore, la police avance qu'il s'agit d'une enquête complexe. La cocaïne est connue comme une drogue de riches mais selon les premières estimations policières, cette drogue n'était pas destinée au marché mauricien car la cargaison était trop importante. Pour l'instant, l'hypothèse avancée est que les importateurs ne sont pas de Maurice car autrement, la drogue ne se serait pas retrouvée dans les locaux d'une entreprise privée. Les trafiquants auraient tout fait pour la récupérer dès que le navire avait accosté. Toutefois, les enquêteurs disent que le dossier n'est pas clos pour autant. L'enquête se poursuit. La brigade antidrogue explique que le dossier peut être relancé à n'importe quel moment si les enquêteurs obtiennent des informations et des pistes concrètes.

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