Afrique de l'Est: Jason Stearns - "Des gens ont vu des troupes rwandaises traverser la frontière"

interview

Dans leur tout dernier rapport, les membres du Groupe d'experts des Nations Unies sont largement revenus sur la situation dans l'est, mais aussi le rôle qu'auraient joué des pays comme le Rwanda et l'Ouganda dans le renforcement des rebelles du M23.

Ce rapport est publié alors que la situation reste préoccupante dans le Nord-Kivu et que le Rwanda nie tout soutien au M23. Ecoutez ou lisez ci-dessous, notre entretien avec Jason Stearns, chercheur et fondateur du Groupe de recherche sur le Congo.

Que pensez-vous des allégations venant de la RDC précisant que le M23 reçoit du soutien du Rwanda ?

On reçoit de plus en plus de témoignages de personnes qui sont sur le terrain et qui ont vu des troupes traverser la frontière. Nous avons des collègues qui ont parlé avec des déserteurs du M23 qui témoignent de la présence d'un soutien rwandais. Il y a aussi des combattants du M23 que nous connaissons et qui nous fournissent ce genre de témoignages. Nous avons même des photos de drones qui montrent une présence des soldats rwandais dans les camps de l'est. Donc tout cela, il faut le confirmer comme ce sont des allégations graves. Mais, je dirais qu'à ce stade, il y a quand même des indications très crédibles par rapport à ce que le gouvernement congolais dit.

Le groupe d'experts des Nations unies sur le Congo a récemment publié un rapport et parle du fait que le Rwanda et l'Ouganda aient servi de base arrière au M23. Pour vous qui avez été membre d'un groupe d'experts des Nations unies, quand on fait de telles allégations, comment ça se passe concrètement au niveau des preuves recueillies sur le terrain ?

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Il y a une méthodologie assez rigoureuse pour les groupes d'experts. Normalement, il faut avoir trois témoignages, trois sources indépendantes pour les témoins oculaires ou les témoignages directs pour ce genre d'allégations. S'agissant des allégations par rapport au recrutement dans les camps, c'est difficile d'avoir des documents, des photographies ou des documents officiels. Pour la plupart, ce sont les témoignages des personnes qui ont vu ou qui ont vécu cela. Mais oui, il y a une méthodologie assez rigoureuse qui doit être suivie et qui est surveillée par le secrétariat des Nations unies.

Pour vous, il n'y a aucun doute sur le fait que le Rwanda et l'Ouganda soutiennent le M23 en République démocratique du Congo ?

Pour le Rwanda, il y a peu de doute. Je pense aussi qu'il faut quitter cette logique qui veut que l'on puisse parler si seulement on a 100% de certitude par rapport à une allégation. Je pense que c'est le piège dans lequel beaucoup de diplomates se trouvent actuellement. Certains disent que c'est une agression grave mais qu'on n'a aucune confirmation.

Laissez-moi vous dire qu'on n'aura jamais une confirmation à 100 %. Par ailleurs, je pense qu'au stade où nous sommes, vu la gravité de la situation, vu l'importance d'agir et vu le soutien diplomatique et financier dont dispose le gouvernement rwandais, à mon avis, il faut que les bailleurs de fonds qui fournissent une grande aide au Rwanda et qui ont une obligation morale, il faut qu'ils puissent dénoncer cela et se poser des questions très sérieuses par rapport à ce soutien. S'agissant de l'Ouganda, je pense que c'est un peu plus difficile de parler de soutien parce qu'au début, l'Ouganda n'avait pas soutenu le M23. D'ailleurs, c'est un peu le contraire.

La raison pour laquelle le Rwanda semble avoir soutenu le M23, c'était pour contrecarrer l'intervention ougandaise dans l'est de la RDC, cette intervention qui est l'opération conjointe entre la RDC et le Rwanda (Shujaa) commencée en novembre 2021. Au début, il n'y avait donc pas de soutien de l'Ouganda pour le M23 que l'on puisse confirmer. Cela semble avoir changé récemment avec la dernière prise de Bunagana où apparemment, il y a eu une complicité ougandaise.

Comment est-ce que vous, vous voyez la fin de ce conflit ?

Je pense que parmi les choses que dit le groupe d'experts, c'est que d'après les témoignages qu'ils ont recueillis, le but et l'objectif du M23 et Sulatni Makenga, leur commandant militaire, c'est de prendre Goma. Je pense que c'est une possibilité, ça va aussi dépendre de l'évolution sur le terrain. Cela va aussi dépendre du positionnement des bailleurs de fonds et des diplomates. Souvenez-vous que les versions précédentes du M23 qui avaient presque pris Goma, leur fin était toujours survenue avec une pression internationale.

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