Afrique du Nord: La Libye, un pays à bout de souffle

La ville de Benghazi en Libye

Des pneus brûlés, un parlement pris d'assaut, des appels à des élections rapides et à un meilleur approvisionnement en électricité : depuis une semaine, les Libyens réclament avec véhémence de meilleures conditions de vie et la fin des divisions politiques.

Pour les manifestants, il s'agit avant tout de faire avancer le processus d'unification et de paix qui stagne depuis des années, explique Thomas Claes, chef de projet du bureau libyen de la Friedrich-Ebert-Stiftung. Selon lui, "c'est bien l'opportunisme politique qui a fait échouer les élections. Toute une série d'acteurs de premier plan s'accrochent au pouvoir et tentent d'empêcher les élections."

Etat défaillant

Le fait que de nombreux responsables politiques continuent de placer leurs propres intérêts au-dessus de l'intérêt national a des conséquences que les Libyens ressentent depuis des années. Pourtant, ils vivent dans un État pétrolier potentiellement prospère. Mais celui-ci échoue clairement sur de nombreux fronts. Ainsi, de longues files d'attente se forment devant les stations-service, la valeur du dinar s'effondre, les prix des denrées alimentaires grimpent. Les institutions publiques sont délabrées, le système d'eau et d'énergie ne fonctionne pas suffisamment.

"A la place, ce sont des milices qui règnent et qui ont développé des structures de plus en plus mafieuses", note Thomas Claes. "Les milices se sont emparées de certains secteurs de l'État et essaient d'en tirer le plus d'argent possible."

Pendant ce temps, Abdel Hamid Dbaiba, l'un des deux Premiers ministres du pays - tout aussi contesté - a tenté de calmer le jeu. "Si des élections ont lieu, nous quitterons le pouvoir par la suite", a-t-il déclaré lundi dernier (04.07).

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Affrontements violents

A l'origine, son mandat ne devait toutefois durer que jusqu'aux élections initialement prévues en décembre 2021. Son concurrent, l'homme d'affaires Fatih Bachagha, n'a pas non plus la légitimité nécessaire. Il a certes été nommé Premier ministre en février par le Conseil des députés à Tobrouk, mais la légitimité de cette décision est controversée.

Des affrontements parfois violents ont eu lieu à plusieurs reprises entre les partisans des deux Premiers ministres. Après l'échec d'une tentative de putsch en mai, de violents combats ont eu lieu à Tripoli. L'élément déclencheur a été la tentative de Fatih Bachagha de chasser le gouvernement de Abdel Hamid Dbaiba de Tripoli par les armes.

"Au lieu d'évoluer vers un gouvernement légitime qui pourrait finalement stabiliser le pays, les Libyens sont une fois de plus les otages d'une épreuve de force entre deux centres de pouvoir uniquement soucieux de leur propre avantage", écrivait récemment dans une analyse Tarek Megerisi, expert de la Libye et membre du Think Tank European Council on Foreign Relations.

Intérêts internationaux

La situation est aggravée par la politique d'intérêt des acteurs internationaux. Les poids lourds régionaux tels que l'Egypte et les Emirats Arabes-Unis ne sont pas les seuls à s'impliquer en Libye et à tenter d'y garantir leurs propres intérêts économiques, politiques et sécuritaires. Certains pays - notamment occidentaux - craignent qu'avec Fatih Bachagha comme Premier ministre, l'influence de la Russie ne s'accroisse. D'autres craignent que les forces islamistes ne jouent un rôle plus important sous Abdel Hamid Dbaiba.

Toujours est-il qu'avec l'aide internationale, un cessez-le-feu a été décrété en 2020 et il tient globalement jusqu'à présent, malgré des violations récurrentes et des escalades.

En effet, selon une étude de International Crisis Group (ICG), les acteurs internationaux et locaux ne veulent pas permettre une nouvelle désescalade. Toutefois, "dans l'atmosphère politique tendue provoquée par le conflit ukrainien, la situation pourrait rapidement se dégrader à nouveau", prévient le document de l'ICG.

Présence controversée de Wagner

En effet, l'attaque russe contre l'Ukraine a également modifié la perception internationale du conflit libyen, du moins dans les pays occidentaux. Ceux-ci considèrent par exemple la présence continue des paramilitaires russes de Wagner en Libye, qualifiés de mercenaires, comme un énorme défi. Wagner a certes transféré une partie de ses troupes en Ukraine, mais un millier de mercenaires seraient toujours présents dans le pays.

"Ils se trouvent surtout autour des installations pétrolières stratégiques, c'est-à-dire des champs de pétrole et des raffineries. Cela signifie qu'ils ont un accès direct à la production", affirme Thomas Claes de la Fondation Friedrich Ebert.

La production de pétrole s'est massivement effondrée au cours des dernières semaines. Il n'est toutefois pas clair pour l'instant si cela est dû à l'influence de la Russie ou d'acteurs internes à la Libye.

Une source d'énergie pour l'Europe

De cette manière, les alliés du gouvernement de Tobrouk pourraient tenter d'exercer une pression sur le gouvernement central de Tripoli, selon Thomas Claes. Il ajoute que "moins on produit de pétrole en Libye, moins il en arrive en Europe. Cela peut encore aggraver la crise énergétique européenne."

Or, le groupe Wagner pourrait bien ne pas exercer son influence uniquement que sur les questions pétrolières. Dans les capitales européennes, on s'inquiète du fait que la confrontation avec la Russie "pourrait inciter Moscou à utiliser le groupe Wagner pour créer des troubles en Libye, c'est-à-dire sur le flanc sud de l'OTAN", peut-on lire dans l'étude de l'International Crisis Group. Cela pourrait potentiellement entraîner un nouveau mouvement de fuite. L'Europe aurait alors une nouvelle crise à gérer.

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