Cameroun: Expo au Musée Quai Branly de Paris - Immersion dans les chefferies traditionnelles du Cameroun

13 Juillet 2022
interview

Paris — Tradition, pouvoir et culture sont au cœur de l'exposition " Sur la route des chefferies du Cameroun : Le visible et l'invisible " que le musée Quai Branly, à Paris, propose de découvrir jusqu'au 17 juillet 2022.

- Magnifique institut situé dans un des plus beaux quartiers de Paris, près de la Tour Eiffel et bercé par la Seine, le musée Quai Branly Jacques Chirac accueille depuis le 5 avril 2022 l'exposition " Sur la route des Chefferies du Cameroun : Le visible et l'invisible ". En hommage à ces chefs de l'Ouest du Cameroun, gardiens de ce patrimoine unique et garants du lien entre le monde des ancêtres et les vivants. Et dimanche, 10 juillet, était justement la journée de célébration du Cameroun. Une délégation forte de 50 personnes a exceptionnellement quitté Yaoundé, Douala et d'autres villes et villages pour l'occasion. Les Parisiens, passionnés d'art et de culture, ne voulaient pas aussi se faire raconter l'évènement. Tout ce beau monde prenant d'assaut le Quai Branly. Et pour dire vrai, ce qui était appelé à voir et à entendre valait ce détour.

Juste à l'entrée, les portraits des vingt-quatre chefs qui ont prêté les trésors exposés. Preuve de leur implication. Puis, en face d'eux, la belle fresque de l'artiste camerounaise Catherine Belalda. Antichambre d'un univers incroyablement unique. Des personnages quasi divins avec leurs superbes costumes. " Ce sont les chefs et lignages familiaux respectés au Cameroun et qui sont les gardiens de ce riche patrimoine qu'on va ensuite voir ", dit Cindy Olohou, la Commissaire générale de l'exposition. L'interaction est remarquable. Le trait d'union entre les vivants et les morts est perceptible. Mais ce ne sont pas des photographies documentées. Il s'agit véritablement des images d'objets richement illustrées. Elles nous familiarisent avec les Bamilékés de l'Ouest du Cameroun. Une communauté dans laquelle politique, religion et organisation sont intimement liées. Il existe toujours, dit-elle, un lien entre les deux mondes. " Les crânes des chefs disparus sont soigneusement conservés. Ils continuent de manger et de boire et ils sont régulièrement consultés par les vivants avant toute prise de décision importante pour la communauté ".

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La deuxième partie de l'expo se dévoile. Plongeant le visiteur dans les rapports entre art et pouvoirs. Qui se font par le biais de la dualité politique du chef et de la reine. Calebasses, trônes, perles, production textile et d'autres objectifs rituels encore utilisés lors des cérémonies. " C'est un patrimoine vivant. Et c'est cela aussi qui particularise cette exposition, qui lui donne une dimension exceptionnelle ", s'enthousiasme la Commissaire de l'expo qui nous emmène dans la troisième et dernière partie, la plus emblématique et certainement la plus énigmatique de l'expo : celle consacrée aux sociétés secrètes.

Public émerveillé

Des forces politiques qui se distinguent par leurs masques, coiffes, costumes et danses. " Ce sont des récits qui nous rapprochent de ces chefs et reines, nous aidant à mieux les connaître et les appréhender ".

Les trésors de ces chefs traditionnels du Cameroun établis depuis des siècles ont bien évidemment séduit le public venu nombreux. " C'est magique ", réagit l'étudiante en art, Monica Abraham, particulièrement impressionnée par les perles et les sculptures. D'autres comme Bernard Iyoka trouvent " exceptionnelle " la fonderie et les danses traditionnelles. " C'est une exposition monumentale qui montre que, malgré les pillages des colons, notre patrimoine culturel est resté debout, plus que jamais vivant ", dit-il, reconnaissant. Déplacer près de 240 œuvres du Cameroun, dit-il, n'est pas facile. " Il fallait le faire. Ils l'ont fait. C'est tout simplement historique. Merci au musée Quai Branly et à l'Association Cameroun noire Atlantique et aux chefferies traditionnelles de nous offrir cette belle et enrichissante exposition ", ajoute B. Iyoka. Une nouvelle manière de concevoir les échanges culturels entre institutions française et africaine.

La Commissaire générale Cindy Olohou l'a dit et répété : les œuvres prêtées vont retourner au Cameroun, sur leur lieu naturel, plus tard fin août. Une précision importante à l'heure du passionnant débat sur les restitutions.

Cindy Olohou, historienne de l'art

" L'expo met en lumière l'influence culturelle des chefferies sur l'art... "

Historienne de l'art, Cindy Olohou est la Commissaire générale de l'exposition " Sur la route des Chefferies traditionnelles : Le visible et l'invisible ". Elle nous explique tout : la naissance du projet, les gens impliqués et les objectifs attendus.

Comment est née l'idée de cette exposition " Sur la route des Chefferies traditionnelles du Cameroun : L'invisible et le visible " au Musée Quai Branly ?

Cette exposition est le résultat d'un partenariat entre le Quai Branly, l'Association Cameroun noire Atlantique et les Chefferies traditionnelles de l'Ouest du Cameroun. Cela fait trois ans qu'on travaille sur ce projet né en 2019 et qui est construit avec les chefs traditionnels qui ont pris part à tous les actes de décision : scénographie, décor, sélection d'objets, bref tout au long du processus. Ce qui reflète aussi la manière dont fonctionne le programme " La route des chefferies ". Les assises en bambou sont la preuve de cette implication. Des compromis ont été donc faits pour respecter les règles du musée et les chefferies. Tous les décors ont été faits par des artisans camerounais qui travaillent dans les chefferies. Et tous les objets ont été transportés par des conteneurs. Il y a aussi deux artistes qui sont venus en résidence deux mois à Paris. Banana Fashion qui travaille uniquement avec du matériel végétal et Catherine Belalda qui a peint la fresque visible dans la salle principale. C'est également Catherine qui a repris toutes les thématiques de l'exposition subdivisée en trois chapitres. On a d'abord voulu présenter les fondements de la société bamiléké, ensuite la figure du roi (chefs et reines) et enfin les sociétés secrètes. On a voulu que la scénographie montre au visiteur ce que c'est véritablement une chefferie, son organisation, sa structure, l'axe de vie (entrée royale jusqu'au palais traditionnel) et la forêt sacrée. Tout un schéma d'implantation spéciale réalisé au Cameroun pour donner des clés de lecture au visiteur.

On vous a entendu dire que cette exposition est unique en son genre. Pourquoi ?

Elle est unique de par les acteurs qui l'ont réalisée. De par les œuvres aussi. C'est rare de voir une collection si riche. Il s'y ajoute la gigantesque logistique déployée pour réussir cette belle exposition. La spécificité de l'exposition " Sur la route des chefferies du Cameroun : Le visible et l'invisible ", c'est aussi le fait qu'elle soit spécialement dédiée à l'art des communautés installées sur les plateaux d'altitude des Grass Fields, dans l'Ouest du Cameroun. C'est au total 240 œuvres qui nous viennent du Cameroun et une quarantaine appartenant au Musée Quai Branly. Bien sûr, tous les objets en provenance du Cameroun vont retourner vers leur milieu naturel à la fin l'exposition la semaine prochaine. Et l'Association " La route des chefferies ", à l'origine une association qui existe au Cameroun depuis plus vingt ans, travaille à valoriser et à préserver le patrimoine sur place. Elle a mis en place une charte déontologie signée par plus d'une cinquantaine de chefs traditionnels avec qui elle travaille à créer des musées communautaires dans les chefferies. Musées qui s'appellent des " cases patrimoniales " où justement les communautés sont chargées de la conservation et de la préservation de leur patrimoine. Et c'est une carte blanche que le Musée Quai Branly a donnée à l'Association pour faire l'exposition. Ce qui est donc appelé à voir est un travail de 20 ans. L'exposition a deux axes. D'une part, montrer le patrimoine des chefferies de l'Ouest du Cameroun. D'autre part, montrer comment la route des chefferies fait Musée au Cameroun. L'idée est aussi de voir si le rapport au patrimoine au Cameroun est différent à ce qui est habituellement vu en France.

Déplacer toutes ces œuvres n'a pas été facile. Beaucoup d'efforts et de moyens financiers. Tout cela pour quel objectif ?

Vous avez raison. C'est un travail colossal qui a été fait pour déplacer toutes ces œuvres du Cameroun à Paris. Faire venir certains objets a même nécessité une préparation spéciale. Il a fallu faire des rites, des désacralisations pour les déplacer de leur milieu naturel vers la France. Mais tout cela n'est rien comparé au résultat obtenu. L'exposition nous montre le lien qui existe entre le monde des ancêtres et la vie des vivants. Et s'intéresse à la culture des communautés du Cameroun et à la préservation d'un patrimoine unique, historique et vivant. C'est un partage d'expériences très intéressant. Une nouvelle manière de faire qui permet de découvrir un art, mais aussi une culture qui auront survécu à la colonisation et restent en perpétuelle évolution. Le plus intéressant, c'est que l'exposition met justement en lumière l'influence culturelle des chefferies traditionnelles sur l'art contemporain.

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