Sénégal: Michael Raynor, Ambassadeur des États-Unis - " Nos investissements au Sénégal produisent les effets escomptés "

14 Juillet 2022
interview

Pour Michael Raynor, le Sénégal est un partenaire clé non seulement en Afrique, mais aussi dans le monde. Le nouvel Ambassadeur des États-Unis à Dakar est revenu, avec " Le Soleil ", sur l'importance des investissements américains au Sénégal ainsi que l'actualité internationale.

Vous êtes le nouvel Ambassadeur des États-Unis d'Amérique au Sénégal. Quelle touche particulière aimeriez-vous apporter à la coopération bilatérale ?

Cela fait trois mois que je suis à Dakar. Le Sénégal est un partenaire clé des États-Unis d'Amérique. C'est l'un des pays au monde avec lequel nous avons un partenariat très important. Mon travail est de faire en sorte que ce partenariat avec le Sénégal se maintienne et se renforce, mais aussi de faire en sorte que ce pays soit prospère et paisible pour le bien de ses habitants. Nous le faisons pour promouvoir la paix et la sécurité tout en renforçant la démocratie que nous avons en partage. Nous avons beaucoup fait pour ce qui est du partenariat concernant la paix et la stabilité. Nous travaillons avec le Sénégal pour renforcer les capacités concernant la sécurité aux frontières en fournissant les entrainements et les équipements. Nous soutenons aussi le Sénégal dans le domaine de la sécurité maritime, la pêche illégale, le trafic et la piraterie. Nous assistons également Dakar dans le domaine de la sécurité aérienne en formant les agents et en dotant d'équipements l'aéroport international. Ainsi, nous construisons la stabilité non seulement au Sénégal, mais aussi dans la sous-région.

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Pour ce qui est de la prospérité, nous avons deux axes de partenariat. Le premier, c'est le partenariat pour le développement. Nous avons, par exemple, l'Usaid qui soutient beaucoup de programmes agricoles en mettant l'accent sur la valeur ajoutée dont les emballages des produits et la facilitation de leurs exportations vers les États-Unis. Nous soutenons aussi l'entrepreneuriat et nous investissons sur les Sénégalais. Nous avons de grands projets qui appuient, entre autres, l'éducation et la santé. Nous pensons que des Sénégalais bien éduqués et en bonne santé seront mieux à même d'assurer leur prospérité et un avenir radieux de leur pays.

Par ailleurs, nous encourageons les entreprises américaines à venir s'installer au Sénégal. Nous sommes très fiers du secteur privé américain qui possède une technologie de pointe, respecte l'environnement et la responsabilité sociétale d'entreprise. Nous croyons que la meilleure façon de construire un développement économique durable et la création d'emploi, c'est d'allier nos projets de développement aux investissements du secteur privé. Nous avons présentement une cinquantaine d'entreprises américaines au Sénégal et j'ose croire que ce chiffre va augmenter dans les années à venir.

Les entreprises américaines établies ici travaillent à la fois pour leur prospérité, mais aussi pour celle du Sénégal. Récemment, une entreprise qui évolue dans le secteur de l'énergie a, par exemple, signé une convention avec la Senelec pour étendre la distribution de l'électricité. Un autre exemple est que la fintech spécialisée en transfert d'argent et la plus dynamique du Sénégal est fondée par un Américain. C'est dire que le secteur privé renforce ce que nous faisons ici, mais aide également le Sénégal à atteindre ses objectifs de développement. Notre partenariat vise, par ailleurs, à renforcer la démocratie. Tout comme les États-Unis, le Sénégal a compris l'importance de sauvegarder notre tradition démocratique, qu'il a besoin constamment d'aider cette démocratie. Nous avons récemment lancé un programme pour soutenir le processus électoral, y compris les élections territoriales du mois de janvier dernier, celles de juillet prochain, la présidentielle à venir, etc. Ce programme vise à renforcer les capacités des observateurs, à promouvoir le dialogue entre le Gouvernement et la société civile ainsi que les partis politiques. Elle promeut l'éducation électorale, particulièrement chez les personnes qui ne seraient pas à l'aise de participer à des scrutins, surtout les primo-votants, les femmes et les personnes vivant avec un handicap. Nous travaillons avec le Sénégal pour aider et encourager leur participation aux scrutins dans leur propre pays et renforcer ainsi la démocratie. En résumé, nous soutenons le Sénégal dans la poursuite de ses propres priorités de développement, de prospérité et sécurité, mais aussi renforcer la coopération bilatérale par la même occasion.

Le monde a été secoué par la pandémie de la Covid-19, ensuite des pays payent les contre-coûts de la guerre russo-ukrainienne. Le Président en exercice de l'Union africaine, Macky Sall, s'est rendu à Moscou pour voir comment débloquer l'importation des céréales de l'Ukraine en Afrique. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

D'abord, la première leçon à tirer de cette pandémie, c'est que toute urgence publique sanitaire est une urgence sanitaire mondiale. Cela est valable avec la Covid-19 qui est une menace à la sécurité mondiale. Dans ce sens, nous apprécions beaucoup le rôle joué par le Sénégal pour faire face à cette pandémie. Ça a aussi créé une opportunité de coopération avec le Sénégal en vue de faire face collectivement à la pandémie. Au mois de mai, par exemple, les Présidents Macky Sall et Joe Biden avaient coprésidé un Sommet sur la Covid-19 ; ce qui est très important. De même, nous avons donné 1,3 million de doses de vaccin Covid-19 au Sénégal, en plus des 10 millions de dollars injectés dans le système sanitaire pour faciliter la réaction du Sénégal face à la pandémie. Nous avons, en outre, appuyé le Sénégal à mettre sur pied un centre de coordination des interventions d'urgence qui est opérationnel. Et ce centre peut aider à faire face non seulement à la Covid-19, mais aussi à toute sorte de crises sanitaires dans le futur. Tout cela ne fait que renforcer notre collaboration au profit de la population, pour un meilleur système de santé.

Concernant l'invasion russe de l'Ukraine et ses conséquences, il faut dire que c'est un désastre qui n'aurait jamais dû se produire parce qu'on pouvait l'éviter. Et c'est tragique de voir comment cela a tourné. C'est une crise humanitaire au regard des impacts en Ukraine. On dénombre cinq millions de réfugiés, environs dix mille personnes tuées et ces chiffres s'accroissent chaque jour un peu plus. Des habitations et des lieux de commerce ont été détruits, tout comme des biens et services. C'est incroyablement déstabilisant en termes de sécurité pour l'Ukraine, mais également la sécurité au-delà des frontières de ce pays. C'est une crise économique. Et ces impacts sont ressentis au Sénégal et un peu partout dans le monde. Cette guerre a causé un énorme manque de blé et de fertilisants. Elle a détruit la productivité de l'agriculture ukrainienne, les terres agricoles sont minées, les magasins de stockage de céréales détruits et ce n'est plus possible d'exporter vers le reste du monde. L'Ukraine veut exporter, mais il y a un blocus russe autour de la mer noire, empêchant Kiev d'exporter des milliers de tonnes de blé. Ce pays veut vendre son blé aux pays qui en ont besoin, mais il ne peut pas le faire à cause du blocus de Moscou.

Ce sont là des aspects d'une crise qui reflète la décision russe d'envahir un État souverain en défiant le droit et les normes internationaux. La meilleure façon d'en finir avec cette crise, c'est d'en finir avec cette guerre. Nous travaillons avec le Sénégal et d'autres Nations afin de faire des pressions constructives pour que cette guerre cesse le plus tôt possible. Et je dois le dire, nous apprécions beaucoup la position du Sénégal en faveur de l'intégrité territoriale, du droit international et de souveraineté de l'Ukraine. Nous apprécions beaucoup l'attitude du Sénégal par rapport aux conséquences économiques de cette guerre et les efforts du Président Sall pour les solutionner. À notre niveau, nous essayons de minimiser ces impacts tout en appelant des pays comme le Sénégal d'en faire autant chez eux. Nous travaillons avec des organisations internationales pour faciliter un corridor humanitaire pour les exportations. Cela, en collaboration avec les Russes. Nous travaillons avec les institutions financières internationales et les banques multilatérales pour le développement qui reçoivent des fonds des États-Unis pour accélérer la disponibilité de fonds aux pays afin de faire face aux impacts de la guerre. Nous travaillons avec les pays pour les aider à booster les productions agricoles. Le Président Biden a annoncé un programme de sept milliards de dollars, dont plus de 1,3 milliard pour l'Afrique, afin d'aider les pays à développer leur agriculture. Ici, au Sénégal, ce programme s'appelle " Feed the future " et nous avons déjà un engagement de 125 millions de dollars de don pour les cinq prochaines années dans le but de booster la production agricole. Ce montant va s'accroitre puisque nous allons mettre encore de l'argent en réponse aux conséquences de la crise ukrainienne. Nous travaillons aussi pour accroître la production des fertilisants pour que ces derniers soient disponibles sur le marché mondial. Nous avons également imposé des sanctions à la Russie et à certaines personnes qui financent la guerre et qui profitent de celle-ci.

Je veux être clair sur ce point, nos sanctions n'empêchent aucun pays, y compris la Russie et l'Ukraine, d'exporter des céréales, des semences ou des fertilisants. Ce sont des sanctions ciblées visant à obliger la Russie d'arrêter la guerre et de punir les personnes qui en profitent. C'est dire que ces difficultés économiques que le Sénégal et le reste du monde endurent présentement ne sont pas dues aux sanctions, mais plutôt à la guerre. Et tant que cette guerre perdure, ce sera difficile d'importer normalement des biens et des services à partir de cette partie du monde pour la bonne et simple raison que les bateaux évitent les zones en conflit, de peur d'être la cible d'attaques. Ils ne vont pas prendre un tel risque. Autant nous faisons de notre mieux pour minimiser les conséquences de cette guerre à des pays comme le Sénégal, autant nous croyons que la véritable solution est de cesser la guerre. Pour cela, nous comptons sur des partenaires comme le Sénégal de travailler ensemble, au sein de la communauté internationale, comme le fait l'Union africaine ou les Nations unies d'être clair sur notamment d'où le mal et ce qu'il faut faire pour le résoudre. Le mal vient de la guerre et pour le solutionner, il faut y mettre un terme.

L'autre point chaud concerne le Sahel qui, en plus, fait face au terrorisme et dont certains pays comme le Mali, la Guinée et le Burkina Faso ont connu des coups d'État. Que fait concrètement votre pays pour aider cette partie du monde à faire face à ces crises ?

C'est présentement une préoccupation majeure pour des pays comme le Sénégal, mais aussi pour les États-Unis de voir des pays de la sous-région être confrontés à ces types de problèmes et qui essaient de trouver des solutions. Si nous prenons l'exemple du Mali, on note des efforts de la part du Gouvernement de transition qui a récemment fait des annonces sur la durée de la transition. Nous espérons voir bientôt des propositions de la Cedeao dans ce sens en vue de restaurer un Gouvernement civil aux Maliens. Nous soutenons la Cedeao dans ce processus et nous travaillons en étroite collaboration avec les États de la sous-région en ce sens. Nous reconnaissons que les sanctions et l'instabilité au Mali ont des conséquences économiques pour ce pays, mais aussi pour le Sénégal.

Par ailleurs, nous regrettons que le pouvoir en place travaille avec Wagner et des groupes de mercenaires ; ce qui perturbe l'agenda de la politique étrangère. C'est une organisation qui cause beaucoup de torts, de la souffrance et la mort au peuple malien. Mais, elle pille également les ressources naturelles du Mali. C'est important pour nous, en collaboration avec la Cedeao, d'aider à restaurer la stabilité et la gouvernance démocratique pour bouter hors du Mali des organisations du genre.

Votre pays a beaucoup soutenu le Sénégal. On peut citer, entre autres, l'Usaid, l'Agoa et, plus récemment, le second compact axé sur l'électricité. Qu'est-ce qui explique, selon vous, l'importance que Washington accorde à Dakar ?

Nous accordons une importance capitale à notre relation avec le Sénégal. Nous avons rendu prioritaires nos relations avec le Sénégal et nos investissements au Sénégal. La réponse courte à votre question, c'est que nous faisons ici ces investissements parce qu'ils réussissent. C'est un pays qui est bien géré. Ces investissements ont, de part et d'autre, produit les effets escomptés. Concernant le second compact, qui est exécuté après un premier qui a connu une réussite, je dois préciser que le programme Millenium challenge coorporation (Mcc) investit dans des pays comme le Sénégal qui sont bien gouvernés subséquemment pour les aider à lutter contre la pauvreté en augmentant en même temps la croissance économique. Le premier compact, d'un montant de 540 millions de dollars, portait sur les routes et l'irrigation, ainsi que les infrastructures connexes, afin d'aider le Sénégal à booster sa production agricole et de faire en sorte que les produits agricoles atteignent plus facilement et plus rapidement les marchés.

Cela a un impact énorme sur la production agricole du pays, au grand bonheur des paysans sénégalais. Chose qui a permet en même temps la disponibilité des produits vivriers ; ce qui réduit l'insécurité alimentaire. C'est parce que ce programme a réussi qu'on a lancé un autre encore plus important. Ce dernier est de 600 millions de dollars. Elle porte sur l'électricité et va durer cinq ans. En détail, il s'agit d'améliorer la distribution, la disponibilité et le management de la production en électricité. Le programme bénéficiera à 12 millions de personnes au Sénégal. Le bénéfice sera important parce que cela va accroitre les investissements privés et faciliter la création d'emplois. Cela va aussi augmenter le niveau de vie des populations impactées. Les deux compacts cumulés dépassent le milliard de dollars. Et c'est tout juste le Mcc, compte non tenu des investissements faits dans le cadre de l'Usaid, la collaboration dans les secteurs militaires et sécuritaires, etc.

Nous faisons tout cela parce que le Sénégal est un partenaire clé. Son succès est le nôtre, mais aussi celui du monde. Lorsque vous avez un pays qui a une démocratie dynamique et un potentiel économique énorme, qui offre une stabilité non seulement à ses citoyens, mais aussi à toute la sous-région, c'est un partenaire qui mérite tout notre soutien.

Africom, votre force de commandement pour l'Afrique, est toujours basée en Allemagne. Pour plus de logique, ne trouvez-vous pas qu'il est temps que cette structure se déporte sur le continent ?

Si vous regardez où se trouve Africom, c'est-à-dire à Stuttgart, en Allemagne, vous allez vous rendre compte, par exemple, que la distance entre Stuttgart et Dakar est plus courte que celle entre Dakar et certaines villes africaines. De mon point de vue, la question est moins où se trouve Africom et plus que fait Africom. Et je l'ai rappelé, en termes de défense et de sécurité, il y a un partenariat très solide entre les États-Unis et le Sénégal. Sinon, Africom organise des sessions de formation à l'intention des forces de défense et de sécurité du continent, et le Sénégal en abrite très souvent.

Le conflit en Ukraine a fait ressurgir l'importance pour certains pays d'adhérer à l'Otan. On assiste à un réarmement et les forces en opposition comptent leurs amis. Ne craignez-vous pas que tout cela débouche sur un conflit d'ampleur mondiale ?

C'est une question légitime. Plus cette guerre dure, plus le risque est grand. C'est valable pour l'instabilité, mais aussi les conséquences qui vont avec. Il est vrai que des pays non membres demandent l'adhésion à l'Otan qui est une alliance militaire. Et comme le stipule son règlement, en cas d'attaque, tout pays membre sera défendu par les alliés. Ce n'est pas une alliance agressive ou offensive non plus. Malheureusement, ce que fait la Russie en Ukraine était inimaginable. La crainte, c'est que des pays comme la Russie soient tentés d'envahir de paisibles pays. C'est justement ce qui pousse certains pays à mettre ensemble leurs forces pour assurer leurs défenses mutuelles. Nous osons espérer que cette guerre ne va pas passer à un niveau supérieur. Les conséquences d'un tel acte sont l'insécurité et l'instabilité.

Le Sommet des Amériques, qui a récemment pris fin en Californie, a été sanctionné par une déclaration dite de Los Angeles. Un Sommet qui a été beaucoup marqué par les questions migratoires. Que pensez-vous justement de l'immigration ?

En tant qu'Américain, je suis un grand fan de l'immigration. Nous sommes un pays fondé par des migrants. Les migrants apportent de la vitalité, du dynamisme, du courage et de la résilience aux États-Unis. L'immigration est centrale dans les questions identitaires américaines. Et nous continuons à soutenir l'immigration légale, comme le fait actuellement l'Administration Biden. Cependant, les États-Unis font face à l'immigration massive et illégale en provenance surtout de l'Amérique latine.

La beauté de cette initiative, c'est qu'il ne s'agit pas de construire des murs ni de punir des personnes cherchant un avenir meilleur, il s'agit de les aider à avoir une meilleure vie chez eux. C'est tout le sens de la Déclaration de Los Angeles. Il s'agit de nouer des partenariats avec les pays émetteurs d'Amérique centrale et du Sud afin de les aider à redorer leurs économies et en créant des emplois, afin que ces gens n'aient plus besoin de se rendre aux États-Unis. Après tout, c'est un voyage à la fois très difficile et trop dangereux. Et parfois, beaucoup ne le réussissent pas.

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