Maroc: Le gouvernement Akhannouch embrasse l'impopularité à bras-le-corps

Dégage ! Cet impératif qui revient avec insistance

Mauvaise impasse pour le chef du gouvernement. Il fait actuellement l'objet d'une campagne sur les réseaux sociaux demandant son départ. Et pour cause, le maintien des prix des carburants à des niveaux élevés au-delà de ceux du marché international.

En effet, #Dégage_Akhannouch et #7dh_gazoil sont aujourd'hui les hashtags ou sujets tendance les plus populaires sur Facebook et Twitter. Jusqu'à l'écriture de ces lignes, le #7dh_gazoil a atteint 13k tweets contre 11.1 k pour #Dégage_Akhannouch.

A noter que le chef de l'Exécutif n'est pas la première fois la cible de la colère de nos concitoyens. Déjà en février dernier, le #Dégage_Akhannouch a atteint plus de 7.000 tweets. On lui reproche la hausse des prix des denrées de première nécessité, l'augmentation de ceux des carburants et l'obligation du pass vaccinal. Sa gestion du secteur agricole en tant qu'ancien ministre de l'Agriculture et ses penchants libéraux ont également été pointés du doigt.

Cette fois, on reproche au gouvernement l'opacité qui entoure la question de fixation des prix des carburants à la pompe et on dénonce le conflit d'intérêt puisque le chef du gouvernement est également à la tête d'une grande entreprise d'importation des carburants.

Plusieurs internautes n'arrivent toujours pas à comprendre comment les prix se maintiennent à plus de 16 dh pour le diesel et 18 dh pour l'essence alors que les prix du pétrole ont connu une chute importante ces derniers jours, suite aux craintes de récession mondiale ainsi qu'à la situation épidémique en Chine. En effet, après avoir repassé sous la barre symbolique des 100 dollars, mardi 12 juillet, le baril de Brent de la mer du Nord a perdu encore du terrain le jeudi 14 juillet. Le baril de Brent de la mer du Nord perdait 2,45% par rapport à la clôture de la veille à 97,32 dollars.

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Ainsi, après avoir atteint en séance 100,34%, il a chuté de 7% pour se situer au-dessous de la barre des 98 dollars. Le pétrole recule donc de 7% sur les cinq dernières séances. Le baril de Brent a encore perdu beaucoup plus sur un mois. Il s'agit d'un recul spectaculaire de 20%. Le pétrole est donc à son niveau d'avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février dernier.

Pour un bon nombre d'internautes, ce décalage entre le prix sur le marché international et celui appliqué à la pompe laisse perplexe. D'autant que les explications du gouvernement concernant la structuration des prix sont inconvenantes. "Chaque fois, il en sort un argument pour expliquer ces hausses. Si ce n'est pas la guerre en Ukraine, c'est la faute au transport et des opérations de raffinage", nous a déclaré un internaute. "On ne sait pas qui fait quoi et qui décide. Les prix des carburants sont toujours en envol et ne régressent pas ou seulement de quelques centimes. A noter que le mois dernier, ces prix ont enregistré quatre hausses successives et inédites", nous a confié un autre. Et d'ajouter : "Nous ne sommes pas dupes pour mettre le tout et son contraire sur le dos de ce contexte mondial". Pas le temps pour dire plus puisqu'il sera coupé par un autre citoyen qui estime que le gouvernement a failli à sa mission initiale, à savoir la protection du pouvoir d'achat contre les aléas du marché international et se demande où en est l'Etat social érigé comme perspective par l'Exécutif.

Des irrégularités qui n'ont pas échappé au Conseil de la concurrence qui compte reprendre l'examen du dossier relatif aux hydrocarbures. Ahmed Rahhou, président du Conseil, a déclaré récemment à la presse que des éléments exogènes à la cherté des prix existent bel et bien et que personne n'a de baguette magique pour dire que le pétrole sera moins cher ici qu'il ne l'est à l'international. Mais, il précise que ce dossier exige une enquête approfondie "si des gens abusent de ces augmentations mondiales pour remplir leurs caisses, pour s'enrichir plus que de raison, nous le dirons", a-t-il souligné.

De son côté, Mohammed Zaoui, chercheur en sciences politiques, soutient que cette campagne n'a rien de surprenant vu le contexte de crise dans lequel vivent les Marocains depuis l'investiture du gouvernement.

"L'étau de la cherté de la vie se resserre de plus en plus et le citoyen ne sait plus où donner de la tête. D'autant que le gouvernement se contente du rôle de spectateur et se dédouane de toute responsabilité alors que les signes annonçant la crise se sont manifestés bien avant et rien n'a été fait pour anticiper ses effets qui ont affecté au plus haut point les diverses bourses des citoyens marocains", nous a-t-il expliqué. Et de préciser : "Pour le gouvernement, la crise actuelle est le résultat direct d'éléments complètement exogènes (sécheresse, hausse des prix des carburants au niveau mondial, guerre Russie-Ukraine). Pis, l'Exécutif avance qu'il a hérité "dix ans de mal gouvernance" du Parti de la justice et du développement (PJD), qui avait précédé le RNI à la tête de l'Exécutif à partir de janvier 2012, et qu'il lui faudrait donc remettre tous les compteurs à zéro".

Pour notre interlocuteur, ces arguments ne tiennent pas la route puisque gouverner, c'est prévoir et anticiper. "Et voilà ce que, depuis plusieurs mois, le gouvernement Akhannouch n'a pas su faire", a-t-il noté. Et de poursuivre : "Aujourd'hui, tout l'argumentaire de l'Exécutif est conçu autour du mot "subvention" galvaudé dans les conférences de presse ou sur les chaînes nationales pour parler des efforts, soi-disant "importants" afin de préserver le pouvoir d'achat des citoyens. Ainsi, le gouvernement répète en boucle et à qui veut l'entendre qu'il alloue 17 milliards de dirhams annuellement au gaz butane, 14 milliards de dirhams à l'électricité, 600 millions de dirhams par mois pour subventionner la farine de blé et 3 milliards de dirhams par an pour le sucre".

Hicham Attouch, professeur d'économie à l'Université Mohammed V de Rabat, nous a déjà déclaré dans une précédente édition que les subventions ne sont pas le véritable remède pour faire face à la cherté de la vie et à la dégradation du pouvoir d'achat. "Les subventions ne sont pas la solution. En optant pour ce choix, le gouvernement semble s'attaquer aux symptômes de la cherté de la vie et non pas à ses causes profondes. A rappeler que les précédents gouvernements ont réagi aux conjonctures de crise via de multiples fonds créés pour affronter les catastrophes naturelles et la sécheresse".

Pour notre interlocuteur, avant de parler subvention, le gouvernement a déjà plusieurs pistes pour agir et a les moyens pour ce faire. Ainsi, concernant les carburants (et pas uniquement le gaz), il estime que l'Exécutif peut intervenir à deux niveaux.

D'abord par la régulation du marché en agissant non pas sur l'offre et la demande mais plutôt sur la concurrence. Ensuite, il peut opérer via les marges commerciales des entreprises chargées de distribution des carburants. Précisément via la taxe intérieure de consommation (TIC) sur les produits énergétiques et la TVA.

"Cela va permettre de modérer les prix à la pompe et du coup, alléger les charges du transport des marchandises", a-t-il précisé. Hicham Attouch avance également comme piste possible les dépenses fiscales en tant que mécanisme de soutien indirect. "Cela aura sûrement un impact sur le déficit budgétaire mais permettra de surmonter cette crise conjoncturelle", a-t-il conclu. Affaire à suivre.

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