Sénégal: Défaut D'état-Civil - Les populations de Boutoupa Camaracounda en quête d'identité

20 Juillet 2022

Boutoupa Camaracounda, comme tant d'autres localités de la Casamance, a subi de plein fouet le conflit armé. Depuis 2010, la vie y a repris son cours normal. En revanche, les populations doivent faire face à une autre équation difficile à résoudre : la reconstitution de l'état civil dont les registres se sont détériorés dans la bourrasque des crépitements des armes. En s'engageant dans cette entreprise, les populations cherchent à retrouver leur identité perdue.

ZIGUINCHOR - Boutoupa Camaracounda ! Cette collectivité territoriale perdue dans les forêts de la Basse-Casamance a vécu les horreurs de la crise armée. Un passé douloureux que les villageois évitent de raconter. Il y a quelques années, il était risqué de s'engager sur les chemins menant à cette contrée du département de Ziguinchor du fait de l'insécurité. Les temps ont changé. Aujourd'hui, c'est en toute sérénité qu'on peut parcourir, à partir du village d'Agnack-Petit, les neuf kilomètres qui séparent cette localité de la capitale régionale.

Ce parcours jadis dangereux du fait de l'insécurité est maintenant sûr. Les temps ont vraiment changé. Ce vendredi 15 juillet, la route latéritique demeure néanmoins bien arrosée en cette période pluvieuse. Pendant le voyage vers ce chef-lieu de commune, l'on admire la beauté de ce paysage si verdoyant. La nature offre un beau tableau. Sur le long de la route, des villages (Niabina, Mawa... ) et des plantations d'anacarde à perte de vue se laissent découvrir.

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Après quelques minutes de route, nous voici à Boutoupa Camaracounda. Une collectivité territoriale si calme qui tente de se relever de la crise armée en Casamance. Mais, avec une population à majorité sans pièces d'état civil, la tâche semble difficile. Car, le conflit armé qui a éclaté en Casamance en décembre 1982 a envoyé les populations sur le chemin de l'exil. Boutoupa Camaracounda située à l'ouest du département de Ziguinchor, dans l'arrondissement de Niaguis, à la lisière de la République de Guinée-Bissau, n'a pas été épargnée.

En 1992, sous le crépitement des armes et la menace persistante, les habitants ont fui et tout abandonné sur place. Cheptel, documents importants (pièces d'identité, extraits de naissance), greniers, vergers d'anacardiers et de manguiers, etc. Pire, les registres se sont détériorés au fil du temps. Ce déplacement forcé a été fatal aux populations de l'ancienne communauté rurale devenue une collectivité territoriale de plein exercice après l'Acte 3 de la décentralisation en 2013.

De retour sur la terre de leurs ancêtres, avec l'accalmie dont jouit la Casamance, l'ensemble des 24 villages de Boutoupa Camaracounda doivent aujourd'hui faire face à la triste réalité de l'inexistence de l'état-civil. Pour remettre les choses à l'endroit et permettre aux enfants nés hors de ce territoire ainsi qu'à leurs parents de disposer d'une identité, la mairie, avec le soutien de ses partenaires et la collaboration des autorités judiciaires, notamment le Président du Tribunal d'instance de Ziguinchor, décide d'organiser, périodiquement, des audiences foraines.

C'est la seule voie pouvant permettre à tous, notamment à Hawa Mané, née le 12 juillet 2013 à Samick mais aussi à Rama Yadio née le 07 août 2006 dans ce même village, de revendiquer fièrement leur identité. Selon le Maire Ousmane Sanding, l'accès à l'état civil pour tous reste l'un des défis majeurs à relever pour l'actuelle équipe municipale de Boutoupa Camaracounda.

D'ici à l'année prochaine, ajoute le premier magistrat de la commune, tout le monde peut être enrôlé, afin d'en finir avec cet épineux problème. " À cause de la crise en Casamance, la zone de Boutoupa avait été abandonnée pendant près de 30 ans. Les populations avaient tout perdu. Et des enfants sont nés hors de leur terroir. Maintenant que les habitants sont de retour, il va falloir travailler à les aider à obtenir des actes d'état civil ", rassure le successeur du Maire Malang Gassama.

Un combat à mener jusqu'au bout

De plus, Ousmane Sanding renseigne que l'équipe municipale a déjà permis à plus de 1000 élèves de la commune de disposer de ces documents indispensables pour leur cursus scolaire. "Ce combat, nous allons le mener jusqu'au bout. Nous voulons qu'il y ait zéro cas d'enfants sans actes de naissance. Car, il faut rétablir tout le monde dans ses droits", insiste l'ancien conseiller municipal.

Par rapport aux audiences foraines, le processus est déjà lancé, et est en bonne voie, confie le président de la commission Jeunesse et Sports, Nouha Diédhiou. Aussi, le collaborateur d'Ousmane Sanding soutient que, dès l'installation de la nouvelle équipe municipale, le maire a aussitôt pris contact avec le président du tribunal d'instance de Ziguinchor aux fins de pouvoir enrôler le maximum de personnes qui, jusqu'ici, n'ont pas de pièces d'état civil à la naissance.

Dans un premier temps, précise-t-il, le focus a été mis sur les élèves du CI au CM2. "Plus de 1000 apprenants ont pu obtenir leurs extraits de naissance. C'est une excellence chose", se réjouit-il. Poursuivant, l'enseignant rappelle qu'après la phase qui concerne les élèves, une autre est ouverte et doit prendre en compte tout âge et sexe confondus. D'ailleurs, révèle-t-il, les chefs de village s'activent déjà dans le recensement. Outre la mobilisation de ces derniers, Nouha Diédhiou précise que le maire lui-même a mis à contribution les jeunes de la commune pour " aller très vite " dans ce travail.

Chef du village de Camaracounda, Abdourahmane Camara est de plain-pied dans le recensement. À la date du vendredi 15 juillet, il a reçu 230 demandes d'inscription à l'état civil pour la tranche d'âge compris entre 0 à 100 ans. Cependant, dit-il, il en reste encore beaucoup et le recensement se poursuit dans ce village qui compte 1.538 habitants. M. Camara salue, par ailleurs, le soutien du maire de Boutoupa Camaracounda qui a promis de prendre en charge tous les frais liés à la tenue des audiences foraines.

Une collectivité avec 0% de taux d'électrification

Avec sa situation géographique un peu compliquée, Boutoupa Camaracounda est une commune assez particulière. Cette collectivité territoriale reste la seule zone du département de Ziguinchor où aucun village n'est électrifié. Mais, dans quelques mois, la localité espère voir la lumière jaillir de ses poteaux qui sont déjà sur place. Ces équipements sont arrivés bien avant la fête de Tabaski.

" Le Maire a fait de l'électrification de la commune son principal cheval de bataille. Il effectue tout le temps des déplacements sur Dakar parce que tout se règle là-bas. On espère que notre commune va bientôt sortir des ténèbres. Nous devons réussir cette mission. C'est une obligation ", explique Carlos Sanka, chef de cabinet du Maire Ousmane Sanding.

Plaque tournante de la culture et de la commercialisation de l'anacarde, Boutoupa Camaracounda veut que tous ses enfants soient considérés comme des Sénégalais à part entière parce que, juridiquement, ils ne le sont pas encore. La nuit tombée, cette collectivité territoriale reste plongée dans le noir. Au réveil, l'équipe municipale et les chefs de village profitent de la lumière du jour pour continuer à s'affairer autour de l'enrôlement des populations pour l'obtention des pièces d'état civil. Une tâche ardue, mais le bout du tunnel semble si proche.

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