Tunisie: Ils ont écrit à La Presse - Marionnettes & Théâtre pour enfants Pour un citoyen avisé

23 Juillet 2022

Cette rubrique est consacrée à des journalistes qui ont contribué à la critique culturelles au journal La Presse de Tunisie mais qui nous ont quittés. Aujourd'hui, nous republions un article du journaliste disparu, Mohamed Bouammoud.

Des têtes qui pensent, réfléchissent et amènent à agir avec lucidité, cela se construit dès la plus tendre enfance. Et c'est précisément le rôle et l'objectif du théâtre pour enfants notamment. Mais fait-on assez pour l'enfant d'aujourd'hui, ce citoyen du futur ?

Le mot, pour les parents, sonne très fort, fait souvent frémir et rend même anxieux : éducation ! La question, effectivement, est lancinante : quelle éducation donner à son enfant? Evidemment, il y a l'école qui surprend l'enfant dès son 4e ou 5e anniversaire et l'arrache petit à petit à ses batifolages et ses jeux de tous les jours. La bille, la toupie et le ballon perdent peu à peu du terrain au profit de l'alphabet, la lecture, le calcul et la rédaction. Aussi, a-t-on toujours considéré que les parents et l'école constituent le socle et la colonne vertébrale de l'éducation. Sauf que, dans maints cas, les parents, sciemment ou pas, se sont désengagés pour se reposer entièrement sur les épaules de l'école. Celle-ci, c'est-à-dire les instituteurs, s'est vu remettre sur le dos toute la responsabilité : l'indiscipline, la dissipation et surtout l'échec scolaire sont automatiquement imputés à l'instituteur qui ne sait pas maîtriser sa classe. Si on ajoute maintenant que, dans d'autres cas, l'école, à son tour, s'est désengagée (se limiter à donner des cours et fermer les yeux sur tout le reste), on va trouver un enfant livré à lui-même et qui fait donc tout ce qu'il veut sans garde-fous, sans contrôle, sans surveillance ; plus exactement : en l'absence de toute forme d'éducation.

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Dans les nations développées, on s'est rendu compte depuis la nuit des temps que l'enfant est une lourde responsabilité que ne sauraient, seuls, supporter l'école et les parents. L'enfant a besoin d'une culture autre que l'apprentissage des bonnes manières (côté parents) et les principes de base scolaires (l'école). Il faudrait, avec l'apport de la famille et de l'école, une culture de l'enfant qui sache fabriquer des têtes pensantes, avisées. Tous les genres culturels destinés à l'adulte doivent l'être également à l'enfant : la musique, la fiction, les arts plastiques, le théâtre et même, dans la limite du possible, le cinéma. Seulement voilà : n'est pas habilité qui veut à écrire le conte pour enfants, à écrire le théâtre pour enfants, bref à s'adresser à l'enfant sans le heurter dans sa petite sensibilité ; il faudrait se prévaloir d'une vraie pédagogie à base scientifique. Et c'est justement ce qui semble faire défaut chez nous. Farhat Jedid, homme de théâtre ayant écrit et mis en scène de nombreuses pièces pour enfants, déplore l'absence de pédagogues en la matière.

Les marionnettes

L'art des marionnettes est par excellence l'expression exclusivement destinée à l'enfant (même si, pour l'accompagner, les parents assistent au spectacle). Drolatiques de par leurs formes clownesques et leur discours désopilant, les marionnettes sont le paradis de l'enfant où il s'amuse et se divertit tout en... apprenant ! Car cet art n'est pas dépourvu de messages, il est même une introduction à l'apprentissage d'une vie intègre, propre, responsable : ne pas mentir, ne jamais empiéter sur le bien ou la liberté de l'autre, respecter la nature, etc.

C'est grâce au ministère de la Culture qu'est né probablement en 1977 l'art des marionnettes avec un centre spécialisé, celui de l'avenue de la Liberté. Le pionnier en la matière est M. Rached El Mannaï que le ministère avait dépêché à Prague pour peaufiner sa formation. Les tout premiers spectacles avaient pour intitulés : " La mère " puis " Nimrud ". Le centre a un statut similaire à tous les centres dramatiques et scéniques régionaux et est, comme eux, doté d'une subvention annuelle allouée par ledit ministère, tout en profitant, pour son propre compte, de la billetterie. Puis, au fil des ans, sont nées d'autres structures (ou sociétés) branchées sur cet art. Jamel El Eroui, homme de théâtre ayant composé plus d'une fois avec cet art, nous cite ses différentes facettes, à savoir : les marionnettes à gaine, à fils, à tiges, siciliennes, à marotte, les marionnettes d'ombres (inspirées de l'art chinois), les mascottes et les géantes (généralement pour les spectacles de rue).

Selon Jamel El Eroui, l'art des marionnettes n'a pas vraiment évolué en Tunisie. D'abord parce que plus un seul artiste ne s'est vu offrir une formation à l'étranger, ensuite parce que l'art des marionnettes a connu, sous d'autres cieux, de nouvelles technologies : ce ne sont plus des mains humaines qui font mouvoir la marionnette, mais elles sont mues à distance grâce à des logiciels numériques. De surcroît, cet art, de par la modestie de la subvention qui lui est attribuée, est resté le parent pauvre de la culture tunisienne alors qu'il est censé former le citoyen de demain.

Théâtre pour enfants

C'est encore grâce au ministère de la Culture que le théâtre pour enfants a pu voir le jour en Tunisie. Les tout premiers à avoir mis en scène des pièces orientées vers l'enfant sont : Chedly Zaâra (qui a adapté des textes tchèques à partir de 1979), Moncef Ben Hadj Yahia, Abdel Haq Khmir, Mohieddine Ben Abdallah, Habib Jendoubi et d'autres encore. Les quinze dernières années ont vu émerger, entre autres, deux noms ayant beaucoup travaillé dans ce sens pour l'enfant : Farhad Jedid et Jamel El Eroui, justement. Du premier, on cite à titre d'exemples : " La princesse des mers ", " Le Cirque " et " L'oiseau de la paix " ; du second, on mentionne : " L'artisan des rêves ", " Le gardien du vent " et " Aladin et la lampe magique " qui, toutes, avec celles de Farhat, ont connu un franc succès auprès du public très jeune.

Sauf qu'il y a toujours un : mais !... Sans s'en rendre compte, on a très souvent considéré que tout ce qui concerne l'enfant est dérisoire, sans réelle importance. A tort, évidemment. C'est bizarre, tout de même, qu'on oublie que le théâtre pour enfants, c'est aussi du théâtre qui exige un texte, un décor, des comédiens, du maquillage, des accessoires, de l'éclairage, des marionnettes aussi, un metteur en scène, des costumes, de la musique, des affiches et de la promotion... C'est tout un arsenal qui exige assez d'argent.

Or, pour le théâtre pour enfants, le ministère n'accorde généralement qu'entre 15 et 20 MD, contrairement au théâtre courant (pour adultes) qui profite d'une subvention à partir de 40 MD pour atteindre parfois les 80 MD. Pis encore : une pièce de théâtre pour enfants est vendue à ... 300 dinars la représentation. Vous vous rendez compte : 300 dinars ?... Qui payer avec ce montant ? Qui ? Le metteur en scène ? L'auteur du texte ? Les comédiens ?

Et voilà le résultat : un artiste comme Farhat Jedid se dit désabusé, désintéressé, démotivé, il ne montera plus jamais de pièces pour enfants. A tant marginaliser le théâtre pour enfants, les " spécialistes " en la matière vont un à un tourner le dos à cet art. Au détriment de l'enfant. C'est-à-dire au détriment du citoyen de demain.

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