Cote d'Ivoire: Interview - Sangare Yacouba (député de Koumassi) - "Ma loi est faite pour protéger les femmes"

26 Juillet 2022

Auteur d'une proposition de loi visant à introduire la polygamie dans la législation, le député Sangaré Yacouba apporte des clarifications sur l'esprit de cette proposition de loi qui suscite un débat dans tous les milieux. Il fait cas de la procédure à suivre pour que cette proposition soit adoptée par l'Assemblée nationale et affiche son optimisme sur le sujet.

Le Patriote : Le 16 juillet dernier, vous avez annoncé lors d'une conférence de presse, votre volonté de faire une proposition de loi visant à légaliser la polygamie.

Où en êtes-vous au niveau de la procédure ?

Sangaré Yacouba : Merci de me donner l'opportunité, une fois de plus, d'éclairer la lanterne des Ivoiriens suite à ma conférence de presse tenue le 16 juillet. Rencontre au cours de laquelle j'ai informé l'opinion que j'étais auteur d'une proposition de loi visant à introduire dans notre législation, une modification de la loi n°2019- 570 du 26 juin 2019 relative au mariage. Ma démarche vise à prendre en compte dans cette loi l'aspect polygamique dans le mariage. Et cela, pour tenir compte de notre vécu, des réalités de nos sociétés. Les Ivoiriens se sont emparés du sujet. Ce qui explique son importance. Le débat se fait dans toutes les sphères de la société, au niveau des villes comme au niveau rural. Personne ne semble indiffèrent. Pour ce qui est de la procédure, le dossier a déjà été déposé au secrétariat de l'Assemblée nationale. Il va certainement aboutir, dans les jours à venir, devant la conférence des présidents. Après examen, elle le transmettra au président de la République qui lui, la transmettra au Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel donnera son avis avant que le texte ne retourne à l'Assemblée nationale. Qui va ensuite saisir la Commission des affaires générales et institutionnelles (CAGI). Celle-ci va faire le débat avec l'auteur de la proposition de loi que je suis. Si je réussis ce passage, je passerai ensuite en plénière.

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LP : Parlant de débats, les avis sont partagés. Certains semblent favorables à votre proposition de loi quand d'autres la condamnent. La division, on le voit, est très nette. Cela ne vous inquiète-t-il pas ?

SY : Non, je ne suis pas inquiet. Au contraire, je suis content qu'il y ait d'une part des Ivoiriens qui sont pour l'adoption d'une telle loi et d'autre part des compatriotes qui sont contre son vote. Je précise, au passage, qu'aucune loi ne peut faire l'unanimité. Toutes les lois qui nous régissent prennent en compte l'avis de la majorité. Et elles s'appliquent à tous.

A preuve, même si vous n'êtes pas d'accord avec la loi, à partir du moment où elle devient une loi de la République, elle s'applique à vous. Vous êtes obligés de vous y soumettre. Le débat qui se fait aujourd'hui me fait plaisir car cela va dégager une tendance.

Les réseaux sociaux constituent un bon baromètre de l'état d'esprit des couples. Aujourd'hui, quand je regarde tout ce qui se passe sur la toile, j'aurai eu tort de n'avoir pas fait cette proposition de loi. Car les Ivoiriens sont intéressés par le sujet. Ils donnent uniquement leur avis. C'est ce que nous voulons savoir en tant que législateur. Notre rôle, c'est de tenir compte de l'avis de nos mandants. Nous sommes les porte-voix des populations. Quand il s'agit pour eux de s'exprimer sur un sujet et étant donné qu'ils n'en ont pas la possibilité d'en parler à l'hémicycle, nous le faisons à leur place en tant que leur mandant. Notre rôle, c'est de poser les problèmes de la société. Et c'est ce que j'ai fait.

LP : Par cette loi, vous voulez autoriser les hommes à avoir plusieurs conjointes. Sur les réseaux sociaux, les femmes revendiquent aussi le droit d'avoir plusieurs époux. Qu'en pensez-vous ?

SY : Je suis désolé mais, je n'entre pas dans ce débat parce que ça ne relève pas de ma proposition. Moi, j'ai posé le sujet de la polygamie. Chaque société a ses pratiques. Sous d'autres cieux, il y a une certaine catégorie de mariages qui est célébrée et qui ne choque personne. Dans notre société, ces pratiques choquent. Elles ne sont pas conformes ni à notre culture, ni à notre morale. Moi, je dis que la polygamie doit être insérée dans notre loi. Nos pratiques doivent être conformes à une culture. Ce n'est pas parce que j'ai fait une loi que les gens vont transformer ce que je dis. Nous vivons en Côte d'Ivoire. Nous connaissons nos us et coutumes. Nous savons ce qui est toléré et ce qui ne l'est pas. Quand on propose des choses contre-nature sous nos cieux, je pense que c'est une perte de temps. Allons à l'essentiel pour ne pas distraire les Ivoiriens.

LP : La polygamie est interdite dans certains milieux religieux. Les leaders de ces religions, selon nos informations, sont très opposés à votre proposition de loi. Que leur répondez-vous ?

YS : C'est leur droit. Je respecte le point de vue de tous ceux qui s'opposent à ma proposition de loi. Dans ces milieux, la polygamie n'est pas permise. Ma loi ne viendra pas les contraindre à être des polygames. La polygamie que je propose est une polygamie optionnelle. Ce qui revient aux Ivoiriens de choisir ce qui convient à chaque personne. Ma loi ne vient pas supprimer la monogamie qui sera toujours en vigueur et pratiquée par ceux qui le souhaitent. Nous sommes dans un pays laïc. Il faut tenir compte de toutes les sensibilités. Il faut que la loi soit à équidistance des différentes chapelles religieuses. Chacun choisira en fonction de sa perception.

LP : Vous être membre du groupe parlementaire RHDP. Est-ce que les membres de ce groupe vous accompagnent dans votre projet ?

SY : Je n'ai pas encore rencontré les membres de mon groupe parlementaire parce que les propositions de loi ne sont pas portées par les groupes parlementaires. Elles sont portées par des députés individuellement. J'ai été auteur d'une proposition de loi en 2013 sur la suppléance. Je n'avais pas consulté mon groupe parlementaire et on ne m'avait pas fait de reproche. Le député agit selon sa conscience. Il agit avec honnêteté. En tant que membre du groupe parlementaire RHDP, j'irai voir mon groupe parlementaire pour expliquer la teneur de cette proposition. Je vais exposer l'esprit de la lettre de la loi. Je souhaite que le groupe RHDP soit solidaire de mon projet. Individuellement, il y a quelques députés qui ont décidé de m'accompagner. Il faut aller étape par étape. Après le groupe parlementaire RHDP, j'irai voir les autres groupes parlementaires pour qu'ils comprennent l'esprit de la loi.

LP : Dans les familles polygamiques, il y a des querelles et rivalités entre les enfants. Les enfants issus de ces foyers ne le conseillent pas à d'autres personnes. Ils ne comprennent donc pas votre démarche.

SY: La Côte d'Ivoire, depuis 1960, a été dirigée par des enfants de polygames. Selon des informations en ma procession, 95% des cadres qui ont dirigé notre pays depuis cette époque sont issus des familles polygamiques ou nés dans des milieux polygamiques. Cela ne les a pas empêchés d'avoir un brillant parcours scolaire et de devenir de grands cadres et commis de l'Etat. Je m'inscris en faux quand on me dit que les enfants nés des familles polygamiques ne réussissent pas. Pour moi, c'est une vue de l'esprit, ce n'est pas la réalité. La polygamie ne crée pas de déchets au contraire, elle encadre les enfants.

LP : Que signifie la polygamie optionnelle ?

SY : La polygamie optionnelle, c'est une polygamie au choix. Chacun choisit son régime matrimonial. Le mariage est un contrat entre les individus qui décident de se mettre ensemble et qui choisissent le mode qu'ils veulent adopter. Présentement, quand vous partez à la mairie pour vous marier, on vous demande si vous optez pour la communauté de biens ou la séparation de biens. Le couple choisit le régime matrimonial qui lui convient. Le mariage polygamique, c'est pratiquement la même chose. Désormais, le régime matrimonial en plus de la mention communauté ou séparation de biens, on va ajouter mariage polygamique ou monogamique. Opter pour le régime polygamique veut dire que vous avez la possibilité d'avoir une troisième personne dans votre foyer.

La Côte d'Ivoire n'est pas le premier pays au monde où cette mention va être introduite. La polygamie se pratique en Côte d'Ivoire au vue de tout le monde, mais personne n'est sanctionné pour ça. Comme c'est toléré par la loi, autant la légiférer. Il y a des conséquences sur les femmes qui sont les plus fragiles. En réalité, cette loi est faite pour protéger les femmes. Je pense que si la loi est bien comprise, les femmes gagneraient à lutter efficacement pour son adoption. Une fois que vous êtes reconnue comme madame X, la loi doit vous attribuer ce statut. La loi doit vous donner toutes les garanties qu'on donne à une épouse. Ma loi est donc faite pour protéger les femmes.

LP : Les femmes que vous dites défendre menacent de traduire la Côte d'Ivoire en justice, si votre proposition de loi venait à être adoptée...

SY : Elles sont dans l'émotion. L'émotion et la raison ne cohabitent pas ensemble. Quand elles vont sortir de l'émotion, la raison va prendre toute sa place. Soyons sérieux et réalistes. Relevons le niveau du débat. Je veux faire plaisir au peuple de Côte d'Ivoire. Tant que je serai investi de la confiance du peuple de Côte d'Ivoire, je poserai toujours les problèmes là où il faut les poser.

LP : Pourquoi maintenant ?

SY : J'ai commencé à travailler sur la loi en 2014. Cette loi, pour moi, elle est tellement importante qu'elle mérite beaucoup de soins. Il fallait mener des enquêtes sociologiques pour connaitre la tendance de nos sociétés et la proportion des familles polygamiques. C'est tout ça qui m'a pris du temps, sinon la loi serait venue bien avant.

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