Burkina Faso: Micro-fiction 2 - L'Écrivaine géniale et médiocre

Voici venues les vacances. Au lieu de faire la recension des livres, il est tentant de produire des micro-fictions à partir des extraits prélevés de ceux-ci. Sur le mode de l'ingénierie cellulaire, il s'agit de reconstituer un organe à partir d'un tissu ou d'une cellule souche. Ainsi d'une phrase prise au hasard dans un livre, Projecteur se propose de générer des récits.

Dans L'Aleph de Jorge Luis Borgès (1967, traduit par Roger Caillois aux Éditions Gallimard), à la page 196, le personnage principal, qui s'appelle Borgès, rencontre Daneri, une enflure qui se prend pour un grand poète. Il dit de lui : " Je compris que le travail du poète n'était pas dans la poésie ; il était dans l'invention des motifs pour rendre la poésie admirable ; naturellement, ce travail ultérieur modifiait l'œuvre admirable pour lui, mais non pour les autres ". C'est ce passage qui donne naissance au récit ci-dessus.

" C'est une écrivaine médiocre, qui a réussi le génie de faire croire qu'elle est brillante. À force de le clamer, beaucoup de crédules ont fini par la hisser au pinacle de la littérature nationale, bien qu'elle n'ait produit jusque-là qu'un fatras de textes insipides.

Sagara est une femme de petite taille, noiraude et massive comme une vache naine. On sent en elle l'enfant malnutrie qui, sur le tard, a développé un appétit d'ogre et dont le corps n'a pas pu gérer harmonieusement le subit embonpoint. Elle a, derrière ces immenses lunettes, le regard hagard de la femme psychologiquement instable, qui brille parfois comme celui de l'idiote heureuse. Cultivant l'androgénie, pour cacher sans doute ses difformités, elle est toujours fagotée dans des complets-vestes élimés, tirés des ballots de friperie venus d'Europe et elle a le cou permanemment pris dans une cravate à la couleur criarde. Des costumes, elle en a quatre : un beige, un jaune et deux gris.

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Elle se revendique grande écrivaine, clame à tout va qu'elle a écoulé des milliers d'exemplaires de ses livres. Elle a décrété qu'elle est une intellectuelle, une insurgée, de celles dont l'engagement a chassé le Dictateur en octobre 2014. Elle se la joue Sartre, pollue les réseaux sociaux et les plateaux de télévision de ses libelles enflammées, du niveau d'un mauvais candidat au bac. Elle cite à l'envi les mêmes auteurs - ceux des classes de français au lycée - et réussit la prouesse de faire voisiner dans une même phrase les noms de Nelson Mandela et de Marine le Pen.

Sagara aime à rappeler ses origines modestes, non par humilité, mais pour se vanter de s'être extraite de la gangue de la pauvreté et de l'analphabétisme pour se hisser dans la classe dominante. Et pourtant, ses manières frustes et son snobisme de mauvais aloi trahissent à souhait son origine paysanne. C'est ainsi qu'elle ose rappeler, aussi souvent qu'on lui tend un micro, son succès éclatant au concours des accoucheuses auxiliaires suivi de son refus, tout aussi fracassant, de rejoindre son poste. Non, sa vocation d'écrivaine ne pouvait tout de même pas être sacrifiée sur l'autel d'un village perdu et sans électricité !

Comment donc aurait-elle pu être la parturiente de toutes ces histoires qui, aujourd'hui, abreuvent le peuple ignorant sans le recours de la Sonabel ? Et elle jase, se gargarise, oubliant qu'il ne saurait y avoir meilleure source pour la compréhension de l'humain et pour nourrir la plume d'un écrivain que ce métier d'agent de santé répudié. Celui où on est confronté au quotidien à la souffrance, à la mort et aussi à la joie d'aider à donner le jour à de petits anges.

Et, de toutes façons, il y a tellement d'écrivains qui ont accouché des œuvres importantes à la lueur d'une bougie ou d'une lampe à huile ! Car, la lumière dont a vraiment besoin un écrivain est celle du feu intérieur, celui qui brûle de l'irrépressible besoin de partager idées et sentiments, beaucoup plus que l'éclat vif du néon surplombant sa table de travail. Mais, cela, Sagara ne l'a jamais compris.

De sa prétendue œuvre, il suffit de la vite parcourir pour se rendre compte qu'elle n'est pas la montagne annoncée mais juste un étron, une crotte immonde de chien sur le trottoir. Sagara ignore tout des genres littéraires autant que des plus élémentaires règles de la narration : chaque texte est, pour l'immense écrivaine qu'elle se targue d'être, un défouloir et un espace d'autocélébration. Aussi, qu'elle ponde ce qu'elle baptise " roman " ou " essai politique ", elle en est le sujet central et l'objet annoncé de l'écrit reste un simple accessoire ; il surgit et disparaît au fil des pages, pareil à un flotteur dans une rivière en crue.

Mais, à l'image de Daneri, elle connaît le succès. C'est à se demander si les lecteurs la lisent vraiment. À moins que ... À moins que le secret de la réussite d'un écrivain ne se trouve plus dans son texte, mais dans sa faconde et son absence de modestie et de scrupules. Dans un bagout nauséeux assorti à notre époque volubile où le premier hère venu, prestidigitateur aux tours douteux, parvient à nous vendre des lanternes qui, le soir venu, s'avèrent de grossières vessies.

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