Afrique: "Ce que je pense des procès anti-corruption au Gabon(4) - Mon analyse de la contribution de Jean Gaspard Ntoutoume Ayi"

L'actualité au niveau du Tribunal de Libreville fait couler beaucoup d'encre et de salive. Les hommes et femmes des médias en font leur choux gras. Les autres citoyens également ne sont pas en reste. C'est le cas du Gabonais Philippe César Boutimba Dietha, qui dit ce qu'il pense, en faisant son analyse de la contribution de Jean Gaspard Ntoutoume Ayi.

Mesdames et Messieurs,

Chers compatriotes,

Le texte politique que Jean Gaspard Ntoutoume Ayi a publié aujourd'hui sur Gabon Media Time (voir le lien internet en fin de texte) impose notre attention et notre considération.

L'auteur est un brillant concitoyen dont j'observe le parcours politique pour trois raisons. La première, c'était un camarade universitaire de ma défunte grande sœur (Mandimba Aubierge) à l'USTM. Donc c'est mon grand-frère. Dans mon éducation familiale, cette expression est sacrée.

Ensuite il a une intelligence politique que je n'ai pas besoin de commenter, les militants de l'Union Nationale peuvent témoigner que la présidente Paulette Missambo lui doit en partie son élection. La preuve c'est le retour d'ascenseur qui en fait à la fois le vice-président et le porte-parole dudit parti.

Enfin je suis inscrit comme électeur dans sa circonscription politique depuis 2012. Sans faire injure à d'autres personnalités du siège, les " AMOïstes " Jean Gaspard Ntoutoume Ayi et Franck Nguema étaient les deux principaux concurrents aux législatives de 2018. J'avais d'ailleurs été surpris que le " moins présent " sur le terrain ait finalement remporté la compétition. Mais comme le dit un proverbe nzebi," la lune qui traverse lentement la nuit rattrape toujours le lever du soleil".

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Vu que l'année prochaine il faudra que je recommence à départager tous les candidats dans un bureau de vote de Louis Bigman, mon regard est focalisé sur les actualités de tous et de chacun, sans distinction de coloration politique.

Donc à travers un texte abondamment repris et commenté aujourd'hui sur la toile, " Jigéna " (JGNA) a emprunté une typologie innovante pour aider ses concitoyens à comprendre ce qui se passe actuellement au Palais de Justice de Libreville.

On peut être d'accord avec lui sur le fond, mais je suis inquiet sur la forme. L'excellent tribun a peut-être négligé quelques aspects que je voudrais surligner avec la plus grande humilité, pour les soumettre ensuite à sa haute appréciation.

LA TYPOLOGIE DE " JGNA " SUR LES PROCÈS ANTICORRUPTION EN COURS

1. Le vice-président de l'Union Nationale a comparé nos procès anticorruption au jugement d'Adolf Eichmann en 1961. Je vous explique. Adolf Eichmann (1906-1962) était un haut fonctionnaire nazi qui fut jugé et condamné à mort à Jérusalem par un tribunal israélien, pour avoir organisé l'extermination de 5 millions de juifs (selon ces propres déclarations). Le porte-parole de l'UN a fait les trois comparaisons suivantes :

Il a associé le pouvoir exécutif gabonais au gouvernement nazi qui avait commandité la Shoah. Sous d'autres cieux, cela lui vaudrait des procès en diffamation.

Il a comparé les " épinglés " de l'Opération Scorpion avec le nazi Adolf Eichmann.

Il a assimilé notre Cour Criminelle Spéciale avec le tribunal israélien qui jugea et condamna Eichmann.

On peut déjà constater qu'il manque une dernière typologie, c'est celle des victimes. Eichmann ayant été jugé pour avoir massacré les juifs, JGNA aurait dû préciser qui correspond alors aux 6 millions de morts dans nos procès anticorruption. Mais la réponse est évidente : il s'agit de l'argent volé. Puisque notre Cour Criminelle Spéciale juge les détournements de fonds, les Juifs de la Shoah représentent ici notre argent.

Nous comprenons que pour l'ancien bras droit d'André Mba Obame, l'argent du Gabon est le bien le plus précieux dans cette affaire : il faut donc traquer tous les voleurs de la République avec la même détermination que les pourchasseurs de nazis. C'est peut-être ainsi qu'il aurait dû le dire.

2. À travers l'illustration des dirigeants nazis, le major de la 14ème promotion de l'Institut de l'Économie et des Finances affirme que les détournements massifs au Gabon sont une " programmation " du parti majoritaire et du pouvoir exécutif gabonais.

Mais il ne dit pas à quelle période de notre histoire ce " programme " aurait été " arrêté " puis " engagé ", ses explications semblent préciser que c'est depuis la seule magistrature d'Ali Bongo.

" Jigéna " dit que les appréhendés de l'Opération Scorpion sont des criminels à sang froid (à l'image d'Adolf Eichmann), incapables d'exprimer ni regret, ni remord, ni repentance pour avoir immolé l'argent du peuple gabonais.

L'Enarque reproche aussi à la Cour Criminelle Spéciale de juger seulement ces " exécutants " et d'ignorer leurs " commanditaires ", ce qui prouverait la manipulation. Il pointe également la " responsabilité des familles " ayant bénéficié des cadeaux très précieux offerts par les accusés, ce qui sous-entend que celles-ci (les familles) auraient dû alerter les magistrats sur le train de vie suspect de leurs propres pères, ou frères, ou enfants. Comme pour dire que ces " familles " devraient comparaître devant la Cour Criminelle Spéciale, au même titre que les " exécutants " et les " commanditaires ".

MES OBSERVATIONS SUR LA PUBLICATION DE JEAN GASPARD NTOUTOUME AYI

1. Je suis attristé que nos concitoyens incarcérés soient assimilés à des criminels nazis. Adolf Eichmann n'a jamais été jugé pour détournements financiers, son procès concernait une épuration ethnique. Jusqu'à preuve du contraire, le ministre Tony Ondo Mba n'a jamais planifié ou exécuté l'extermination des okandé, des nkomi, des massango ou des wumbu.

L'industriel Patrichi Tanasa n'a jamais construit un camp de concentration pour les fangs, les mpongwé, les apindji ou les obamba. Le banquier Brice Laccruche Alihanga n'a jamais organisé des convois pour déporter les nzebi, ou les punu ou les tshogo. Qu'on les aime ou qu'on les déteste, nos compatriotes sont jugés pour détournement d'argent et non pour massacre de populations.

Le Conseiller municipal d'Akanda aurait pu choisir un exemple concordant, tel que Vital Kamerhe jugé en RDC dans " l'affaire des Cent Jours ", alors que lui-même disait avoir agi sur ordre du Président de la République dont il était Directeur de cabinet.

2. Dans les procès anti nazi, la justice internationale jugeait tous les nazi de toutes les générations, chez nous au Gabon les procès anticorruption ignorent " ceux qui ont volé " entre 1960 et 2009. Notre leader d'opinion aurait pu reprocher aux magistrats l'acharnement contre les seuls " exécutants " d'aujourd'hui, pour confirmer que tous les " juifs massacrés dans les caisses de l'État " depuis des générations ont la même valeur à ses yeux. Le vice-président de l'Union Nationale aurait ainsi combattu la pathologie commune aux transfuges du PDG qui s'appelle " amnésie rétrograde ". Cette tendance à " oublier les événements lointains " qui participe au mépris des populations envers la classe politique.

Souvenons-nous que le premier jugement des nazi ne fut pas organisé à Jérusalem en 1961, mais à Nuremberg en 1945. Si nos incarcérés d'aujourd'hui symbolisent Adolf Eichmann, alors leur procès est celui des " exécutants " : il faudrait en organiser d'autres à l'endroit des " commanditaires ". Le Gabon devrait par exemple ordonner et publier des audits sur la gestion de tous les régimes PDG. Nos populations méritent de savoir comment Léon Mba, Omar Bongo et Ali Bongo Ondimba ont gouverné le Gabon.

Libreville, le 02 août 2022

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