Sénégal: Sinthiou Bamambé - La bonne affaire des taxi-motos " Jakarta "

3 Août 2022

Elles ne sont pas dans la livraison comme cela se fait dans la capitale, mais les motos Jakarta sont en train de changer la vie de plusieurs jeunes dans la commune de Sinthiou Bamambé (région de Matam, département de Kanel).

Sur la route principale, non loin de la gare routière de Sinthiou Bamambé (région de Matam, département de Kanel), il n'y a pas beaucoup de voitures. Mais, l'axe est bouché. Entre charrettes, quelques voitures stationnées, mais aussi et surtout les motos Jakarta, le décor est presque inédit. " C'est comme ça depuis quelques années. Les Jakarta sont devenus le principal moyen de transport ", explique un gérant de quincaillerie.

Entre des localités distantes de plusieurs kilomètres, des besoins en déplacement sans cesse croissants, la demande est forte. " C'est très pratique. Pour quitter Sinthiou Bamambé et rallier Wenodi [département de Kanel] où j'enseigne, je paye 300 FCfa ", renseigne M. Fall, enseignant à l'école élémentaire de la localité. Présent dans ce village depuis plus de six ans, il dit avoir souffert des problèmes de mobilité. Selon lui, les options étaient limitées. Il fallait soit prendre une charrette, soit aller à la gare attendre une hypothétique voiture. " C'est un déficit que les "jakartamen" ont comblé ", estime-t-il.

Des recettes de plus de 7000 FCfa au minimum

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Devant le magasin de celui que l'on surnomme Modou Lô, c'est le désordre. D'un côté, des pièces détachées pour moto, de l'autre, des scooters flambants neufs. Un pseudo parking pour les " jakartamen " y est également aménagé. " C'est ici notre garage ", soutient, avec ironie, un des occupants qui s'apprête à démarrer. Selon le chef du magasin, un homme de taille imposante, les yeux rougeâtres, cette activité est en train de sortir plusieurs jeunes de la précarité. En effet, dit-il, " les plus paresseux " peuvent obtenir au moins 5000 FCfa par jour. " Les petites courses, c'est 300 FCfa. C'est facile d'en faire au moins une dizaine, rien que la matinée. Et pour rallier certaines localités plus éloignées, c'est 2000 ou 3000 FCfa ", explique-t-il.

Samba Aw est dans le business depuis le début du mois de Ramadan. Après avoir travaillé pendant longtemps comme agent de sécurité à Dakar, il a décidé de tester ce business en vogue dans la localité. Trouvé sur sa moto, en attendant tranquillement un client, il s'affaire au réglage de la sonorisation. Tout sourire et sans langue de bois, il dit s'en sortir très bien. En 15 jours, le bonhomme révèle avoir eu ce qu'il gagnait par mois à Dakar et dans des conditions difficiles. " Je travaillais toute la nuit, avec tous les risques du monde, pour ne gagner que 60 000 FCfa. Avec cette activité, non seulement je suis proche de ma famille, mais je peux me projeter sur beaucoup de choses en faisant des économies consistantes ", indique-t-il.

Comme pour capitaliser sur le nombre, certains ont décidé d'organiser une tontine. L'idée, selon " Modou Lô ", c'est de leur permettre d'avoir plus de ressources pour envisager d'autres activités. Certains, par exemple, dit-il, ont pu acheter d'autres motos, soit pour leur frère, soit pour les donner à quelqu'un qui verse tous les jours.

L'exode au ralenti

Établi dans la zone depuis plus de deux décennies, Modou Fall est originaire de Diourbel. Ce qui l'a le plus marqué à son arrivée, c'était l'absence des jeunes. " On ne voyait que des vieux, des enfants et des femmes ", fait-il remarquer avec ironie. En réalité, selon des témoignages recueillis çà et là, les jeunes, pour la plupart, avaient abandonné la zone, préférant tenter le pari de la capitale. Entre cirage, réparation de chaussures, gardiennage... ils étaient dans tous les secteurs. Mais, aujourd'hui, la donne a changé. Demba Mbaye croit en connaitre les raisons. Pour lui, par essence, le Foutanké n'aime pas sortir du Fouta, mais quand les opportunités ne sont pas nombreuses, il n'a pas le choix. " Je connais beaucoup de jeunes qui sont partis à Dakar, mais qui sont dans des conditions difficiles. Ce qu'ils gagnent là-bas frise l'exploitation, mais ils n'ont pas le choix. Aujourd'hui, ceux qui n'ont pas la chance d'avoir été recrutés par le Fonds d'entretien routier autonome (Fera) ou l'Ucg sont prêts à tenter leur chance ailleurs ", analyse-t-il.

La main-d'œuvre agricole menacée

Zone agricole par essence, Sinthiou Bamambé voit, aujourd'hui, une partie de sa jeunesse s'intéresser au business du " Tiak Tiak ". " Actuellement, il n'y a pas beaucoup de jeunes qui s'intéressent à l'agriculture. Ils préfèrent l'argent rapide. Nous sommes obligés de payer plus pour louer la main-d'œuvre ", explique Thierno Malal qui loue un tracteur. Madani voit le problème autrement. Pour lui, c'est une question de rentabilité et de logique même. " Personnellement, et je ne suis pas le seul, je ne me vois plus passer une demi-journée aux champs alors que je peux gagner plus de 5000 FCfa par jour. Les travaux champêtres, c'est une tradition, c'est vrai, mais ce n'est pas une agriculture qui se limite à la saison des pluies qui va nous sortir de la pauvreté ", estime-t-il, le regard ferme. Quoiqu'il en soit, au vu du décor de la route principale, les jeunes ont déjà fait leur choix, au grand dam du secteur agricole.

Du carburant vendu... dans des boutiques

Ici, le paradoxe, du moins pour celui qui vient d'arriver, c'est que malgré la forte présence des scooters, il n'y a pas de station-service dans la zone. La plus proche se trouve à Kanel, la capitale départementale. Mais, il n'y pas de soucis. Pour savoir comment ils se ravitaillent, il faut suivre les mouvements de celui qui vient de démarrer sa journée.

À bord de sa moto Jakarta flambant neuve, Ibou se gare devant une boutique... classique à première vue. Quelques minutes plus tard, il ressort avec une bouteille de 1,5 litre qu'il verse dans son réservoir. D'autres le suivent. Le maître des lieux ne semble même pas s'en cacher. " La bouteille est à 1200 FCfa ", nous dit-il. Selon des indiscrétions, le vendeur en question se ravitaille par des réseaux clandestins venant de la Mauritanie, du Mali...

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