Sénégal: Cérémonies de mariage - Haro sur le gaspillage à Gatte

3 Août 2022

Les épousailles, c'est ruineux ! Et à Gatte, village de la commune de Ndangalma, dans le département de Bambey, on sort les barbelés pour soulager les familles déjà éprouvées. Les gâteries destinées à la belle-famille, la dot et bien d'autres gratifications intègrent désormais la " fourchette sociale " convenue.

- Gatte serait encore plongé dans l'anonymat n'eut été la mesure prise par les populations pour lutter contre les gaspillages lors des mariages. Cette " législation non écrite " s'est répandue comme une trainée de poudre depuis quelques mois. Arrivé à Séo, le chauffeur de taxi qui nous transporte dans ce village embarque une jeune fille. Elle se nomme Aïssatou Diop et habite Gatte. Le taximan, un tantinet taquin et charmeur, ouvre la discussion : " Avec ta beauté, combien il me faut si je venais demander ta main ? 68 000 FCfa pour la dot ? " Riant à gorge déployée, la demoiselle répond par l'affirmative : " Bien sûr, puisque c'est une décision prise par nos pères. Et c'est une sage mesure ".

Gatte, l'un des plus grands villages du département de Bambey, voire du Sénégal, avec plus de 15 000 habitants, est sur la voie de la modernisation. De nombreuses infrastructures sont réalisées dans cette bourgade, dont deux écoles élémentaires, un collège et un lycée, sans oublier les écoles privées franco-arabe, du primaire à l'enseignement secondaire. La localité est aussi électrifiée. À cela s'ajoute le bitumage de la route principale sur un linéaire de 1,5 km reliant le village à la nationale 2 au niveau du village de Séo. Malgré cet air de progrès, Gatte reste profondément ancré dans sa culture et sa tradition sérère.

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À l'Est de la place publique, vers l'école élémentaire franco-arabe, Mame Sokhna Thiam et ses voisines ont créé un petit marché de légumes. Elles discutent de la chaleur qui sévit dans la localité en cette période de l'année. Les propos de la jeune Aïssatou Diop épousent ceux de ces femmes sur la mesure prise par les villageois pour mettre fin au gaspillage lors des mariages. " Les hommes viennent de nous enlever une épine du pied. Depuis que cette mesure a été adoptée dans notre village, les femmes ont l'esprit tranquille ", se réjouit Mme Thiam.

Le commandant général des " Mass ", Gorgui Diop, chargé de l'application de la mesure, en collaboration avec les comités de veilles des différents quartiers, explique le bien-fondé de cette prescription communautaire. " Nous avons constaté que ce qui se fait actuellement lors des cérémonies, surtout les mariages, n'est pas ce que nos ancêtres nous ont légué. Il y a trop de gaspillage à l'occasion des cérémonies de mariage, avec une concurrence qui ne dit pas son nom, alors que la majorité de la population ne dispose pas de moyens. C'est pourquoi nous avons décidé de remettre certaines choses sur les rails et ainsi éviter à la population ce poids qui pèse sur elle ", renseigne-t-il, heureux des effets positifs de ce nouveau code de conduite.

La dot et la part belle au père et à l'oncle

Habillé d'un grand boubou blanc et coiffé d'un bonnet de couleur grise que cache un turban noir et blanc, Gorgui Diop indique que c'est une batterie de mesures prises suite à une assemblée générale qui a été tenue le 6 mars 2022 à la place publique " Nguel Maak " sis au centre des différents quartiers de Gatte. Brandissant un document de trois pages intitulé : " Résolution contre le gaspillage lors des fiançailles et cérémonies de mariage à Gatte ", le bonhomme soutient que toutes les différentes générations sont tombées d'accord sur les 13 articles composant cette résolution. De l'article un à quatre, la résolution règlemente les dispositions à prendre le jour de la célébration du mariage. " Le montant de la dot (mariage religieux à la mosquée) est fixé à 68 000 FCfa ", lit-on dans l'article 1. Le commandant général des " Mass " précise que cette somme est répartie ainsi qu'il suit : 5000 FCfa pour la mosquée, 2000 FCfa pour la caisse de la génération du père de la mariée, 1000 FCfa pour l'achat d'un pagne pour la mariée et 18 000 FCfa pour la dot (3000 FCfa destinés à l'heureuse élue et 15 000 FCfa pour les frais de réjouissances pour la nuit de noces). À en croire Gorgui Diop, le reste de la somme appartient à l'oncle et au père de la fille sous forme de cadeaux obligatoires à la belle-famille.

Article 5 : 350 000 FCfa et pas de " Ndéyalé "

Par ailleurs, le jour de la célébration du mariage à la mosquée, il est interdit de préparer des repas de quelque nature que ce soit et d'amener des amuse-gueules (beignets, bonbons et autres), encore moins de la boisson au lieu de culte. Seuls six kilogrammes de noix de cola sont autorisés. Pour ce qui est de la cérémonie de mariage traditionnel, le montant est arrêté à 350 000 FCfa selon l'article 5 de la " Résolution ". " Les 150 000 appartiennent à la maman de la mariée et doivent servir à l'achat des ustensiles de cuisine pour sa fille et les 200 000 FCfa pour les repas et l'habillement de la mariée ", explique le doyen d'âge. À ce niveau aussi, les clauses sont encore plus corsées. " Nous n'admettons plus les nouvelles pratiques qui consistent à choisir une marraine, " Ndéyalé ", un parrain, " Bayalé ", un frère ou une sœur " Magalé ". C'est des inventions contraires à nos traditions et qui accentuent le gaspillage ", martèle Gorgui Diop.

Une " Résolution " venue à son heure

Bien installée sur sa chaise devant sa maison, Rokhy Diouf est la responsable des femmes du quartier de Gatte Galo. " Certes, ce sont les hommes qui ont établi la " Résolution ", mais nous, les femmes, sommes entièrement d'accord. D'ailleurs, nous en sommes les grandes bénéficiaires ", confie-t-elle. En sueur à cause de la forte canicule, elle explique qu'auparavant les femmes vendaient tous leurs biens, surtout leurs animaux domestiques, pour subvenir aux dépenses des mariages de leurs filles. Cela avait accentué la pauvreté des ménages dans cette localité. Mais, grâce à cette nouvelle donne, les femmes vont pouvoir faire des économies et participer au développement du village.

Entourée des femmes, la " Bajenu Gox " de Gatte Galo, Amy Ndiaye, est venue pour le pesage des enfants. Devant sa balance, elle estime que c'est une mesure venue à son heure et les femmes doivent avoir l'autorité sur leurs filles pour qu'elle soit respectée. " Pour les besoins des cérémonies de mariage de leurs filles, certaines femmes allaient à Dakar, à la recherche du travail, pour gagner de l'argent et le gaspiller en une soirée, alors que nous vivons dans une localité sous-développée ", rappelle-t-elle.

Des filles font des chichis

Cependant, certaines filles expriment tout bas leur désaccord par rapport à cette " fatwa ". Elles pensent délocaliser leurs cérémonies pour faire bombance. Teint noir, la taille moyenne, cette jeune fille souhaite garder l'anonymat. Elle estime que les épousailles sont le seul moment pour la jeune fille. Donc, elle doit bien la préparer et aucune dépense n'est de trop. " Je vais laisser mes parents sceller mon mariage ici, mais j'irai à Dakar, chez mes tantes, pour y faire la fête. Je vais, comme mes copines qui sont déjà mariées, organiser une grande cérémonie avec tout ce qui va avec. D'ailleurs, c'est pour cela que je ne vais pas me marier avec un homme qui habite le village ", dit-elle le ton ferme.

Un coup d'accélérateur

À Gatte, l'instauration de l' " article ", appellation locale de la mesure prise par les populations, a accéléré les unions sacrées. À en croire Gorgui Diop, chargé de l'application de la mesure en collaboration avec les comités de veille des différents quartiers, plus de 20 mariages ont eu lieu dans les différents quartiers et en parfaite conformité avec la nouvelle règlementation. Professeur d'Économie familiale au collège de Gawane, Ibrahima Thiam s'est marié en avril dernier, quelques semaines après la " fatwa ". " Je n'ai remis que 68 000 FCfa et cela m'a permis de faire beaucoup d'économies et de bien équiper notre chambre. Nous nous réjouissons vraiment de la " Résolution " et des avantages qu'elle offre ", magnifie-t-il. Son épouse se dit être très fière d'avoir eu un mariage sobre, contrairement à ce qui se faisait avant.

Une amende de 150 000 FCfa

Le village de Gatte est composé de neuf quartiers : Gatte Gallo, Gallo Yass, Ngouye, Diockoul 1, Diockoul 2, Ndiambour, Sassar, Ngueweul Niénio et Mbind Demba. Ces six quartiers forment un cercle entourant la place publique communément appelée " Nguel Maak ". Chaque quartier a la taille d'un village vu sa population. C'est la raison pour laquelle chaque entité a un chef de village. Toutefois, les habitants se retrouvent tous à la place publique, lieu sacré avec ses baobabs et un grand fromager. Le commandant des " Mass ", Gorgui Diop, affirme que celui qui ne respecte pas la résolution risque des sanctions. " Une amende de 100 000 FCfa est infligée au père du garçon et 50 000 FCfa à la fille lorsqu'ils passent outre la " Résolution ", dit-il intransigeant. En plus des amendes, ces familles seront mises en marge. " Plus personne dans le village, insiste-t-il, n'aurait plus affaire à ces familles ". Pour une bonne application de la mesure, un comité de veille est installé dans chaque quartier. Il est chargé d'abord de contrôler, de rappeler à l'ordre par la négociation si nécessaire. Si la personne persiste, il transmet le dossier au commandant des " Mass " pour l'application des sanctions prévues par la " Résolution ".

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