Sénégal: Aboubakry Sadikh Niang, Inspecteur d'Académie de Dakar - " Nous voulons développer la culture de la performance "

9 Août 2022
interview

Cette année, l'académie de Dakar devance de loin le reste du pays en ce qui concerne l'examen du baccalauréat avec un taux de réussite de 62,23% contre 51,8% au niveau national. Dans cet entretien, Aboubakry Sadikh Niang, inspecteur d'académie de Dakar donne les raisons de cette performance. Nommé en mars dernier, M. Niang évoque les priorités de l'institution non sans revenir sur la réforme annoncée du Bfem.

Monsieur l'inspecteur d'académie, quelle analyse faites-vous des résultats scolaires de cette année ?

Les résultats de cette année sont très satisfaisants comparativement aux autres années. Je pense qu'il faut interroger un faisceau de paramètres pour les expliquer. Il est important de noter, d'abord, la bonne organisation matérielle des examens de fin d'année. Les directions et structures supports (Direction des examens et concours, Office du baccalauréat) ont pris toutes les dispositions nécessaires qui ont fait l'objet de rencontres de partage avec les structures du niveau déconcentré chargées d'opérationnaliser ces instructions. Les inspections d'académie (Ia), les Inspections de l'éducation et de la formation (Ief), les chefs de centre, les surveillants et examinateurs ont fait siennes ces orientations pour arriver à une organisation quasi parfaite des examens. C'est un moment important du calendrier scolaire et même social. Pour en revenir aux aspects pédagogiques, je dois dire que, depuis quelques années, nous sommes sur une pente ascendante qui est d'abord le fruit de la mise en place au niveau central et déconcentré d'un dispositif de gestion et de pilotage de la qualité des enseignements-apprentissages. Les directions pédagogiques (la Direction de l'enseignement élémentaire et la Direction de l'enseignement moyen secondaire général) ont initié un changement de paradigme dans la relation d'enseignement-apprentissage. Nous travaillons de plus en plus avec les enseignants pour l'appropriation de la norme ultime du pilotage réussi des enseignements/apprentissages devant se traduire par l'efficacité en termes de performances des élèves et de l'équité pédagogique. En définitive, il s'agit non seulement de mettre en place des stratégies permettant à l'ensemble du groupe-classe de progresser, mais aussi de faire en sorte que le fossé qui, au départ, sépare les élèves les plus faibles des plus forts se réduise. C'est en cela que la culture de la remédiation est devenue aujourd'hui notre cheval de bataille en ce sens qu'elle met l'élève au centre des relations pédagogiques.

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L'allègement et le réajustement des programmes depuis quelques années devront se poursuivre avec l'Inspection générale de l'éducation et de la formation qui est en train de faire un travail remarquable dans ce sens. Il est important de finaliser le processus et de l'acter du préscolaire au supérieur afin de donner une unité d'ensemble à nos programmes. Dans ce cadre, le Projet d'appui au renouveau des curricula me semble une opportunité à redynamiser. Il y a enfin l'existence d'une synergie et d'un engagement fort des acteurs autour de l'école qui est un bien commun. Tout compte fait, il est important de mener çà et là des analyses fines afin d'identifier les leviers de réussite à renforcer et consolider.

Votre académie s'est classée première cette année pour le Bac. Qu'est-ce qui a été déterminant dans la réalisation de cette performance ?

Nous pouvons interroger beaucoup de facteurs en attendant une analyse plus poussée. D'abord, la systématisation et la formalisation des progressions harmonisées et des évaluations standardisées dans l'académie ; le renforcement des capacités des professeurs en technique et stratégie de remédiation grâce à l'accompagnement des formateurs du Centre régional de formation des personnels de l'éducation (Crfpe) et des inspecteurs de spécialité favorisant la prise en charge des élèves en difficulté. Cette culture de la remédiation est en train de s'installer durablement dans nos établissements. Mais il y a aussi des initiatives très porteuses des chefs d'établissement en ce qui concerne les cours de soutien, de renforcement, les révisions groupées dans les disciplines fondamentales. Cela témoigne également de l'engagement des professeurs qui accompagnent les candidats en général le plus loin possible.

Il faut également souligner deux éléments de contexte. Au-delà de l'investissement personnel des élèves, l'accompagnement et la mobilisation des parents en faveur de la réussite des enfants sont une donnée non négligeable. L'accompagnement parental est une réalité permettant d'accroître le temps de travail à la maison et d'installer ce que j'appelle le pont pédagogique indispensable pour instaurer un dialogue entre l'établissement et la famille.

Dans une grande ville également comme Dakar, les possibilités d'exploiter pédagogiquement l'opportunité que constituent les ressources numériques produites par le ministère de l'Éducation nationale sont plus marquées ici que partout ailleurs. La conscience de devoir changer de paradigme dans la relation d'enseignement-apprentissage en faveur de la promotion du numérique se développe de plus en plus dans nos établissements qui ont bénéficié de ressources et d'équipements adaptés (Canal Éducation, Apprendre à la maison : Projet du ministère de l'Éducation nationale pour le développement du téléenseignement).

Il est important à ce niveau de renforcer les capacités des professeurs pour en faire de véritables techno-pédagogues à même de porter ces changements.

Vous venez de faire cinq mois à la tête de l'académie de Dakar. Aujourd'hui, quels sont les défis prioritaires ?

Vous avez raison, j'ai pris service le 07 mars dernier. Je voudrais, après avoir remercié le Ministre de l'Éducation nationale (Men) pour la confiance, rendre un hommage appuyé à mes différents prédécesseurs qui ont permis de construire un système dynamique à Dakar. Les défis prioritaires ne s'éloignent pas fondamentalement des priorités quinquennales du Men (pacifier le système par un fonctionnement des organes de gestion en promouvant le dialogue et la concertation, l'éducation aux valeurs et à la citoyenneté, l'enseignement des sciences et des technologies par un paquet de mesures incitatives, mais aussi une gouvernance transparente et inclusive à tous les niveaux. Cela grâce à la redynamisation des organes internes et externes, comités de gestion, conseils de gestion et comités académiques de contrôle interne.

Ces priorités devront, de mon point de vue, être portées par l'élaboration, dans un avenir proche, d'un document de planification avec la Ville de Dakar et les 19 communes pour permettre aux Ief de disposer de plans de développement des circonscriptions éducatives et à l'académie d'un projet académique d'éducation et de formation. La réflexion est déjà engagée entre nous et la Direction de l'éducation et de l'aide à l'insertion (Deai) de la Ville de Dakar.

Nous envisageons également de développer et d'installer la culture de la contractualisation de la performance à tous les niveaux. À chaque échelon de responsabilité (enseignant, directeur, chef d'établissement, inspecteur chef de district, Ief) un contrat de performance, fruit d'un dialogue de gestion, servira d'instrument de gestion et de pilotage de la performance.

L'une des spécificités de l'académie de Dakar, c'est le poids du privé dans la satisfaction de la demande d'éducation. Nous allons accompagner les différents Capep (Conseils des acteurs et partenaires de l'enseignement privé) afin de les aider à mieux se structurer tout en n'oubliant pas d'être aux côtés du public que nous devons tous ensemble aider à retrouver son lustre d'antan. Pour ce faire, j'invite les collectivités territoriales à s'impliquer davantage dans l'amélioration de l'environnement scolaire (activités de reverdissement, cantines scolaires, clôture et sécurisation, tables-bancs, disponibilité du paquet de services intégrés, etc.).

Enfin, il est important de prévenir les faits de violence (même isolés) observés dans nos établissements par une connaissance plus approfondie des mobiles en vue de prendre les mesures idoines et de restaurer l'image d'une école porteuse de valeurs positives.

L'année prochaine, le Bfem sera organisé sous un nouveau format. Qu'est-ce qui est attendu en termes de réforme ?

En ce qui concerne la réforme du Bfem, vous conviendrez avec moi que je ne puisse pas trop en parler. Elle est en cours et devra être opérationnelle en 2022-2023 selon les instructions annoncées dernièrement par le Ministre de l'Éducation nationale. Je voudrais juste préciser qu'il s'agit d'un processus porté avec brio par le Directeur des examens et concours qui a initié la réflexion avec les acteurs. Je sais que des séances de partage sont en cours et dont l'objectif consiste à alléger le dispositif (matériellement, financièrement et psychologiquement) et intégrer le bilan des compétences du cycle moyen. Il faudra, à mon sens, élargir le partage à l'ensemble des acteurs afin que la réforme puisse être comprise et appropriée par tous en n'oubliant pas un volet qui me semble important au-delà des aspects réglementaires : la formation des enseignants et la tenue d'examens blancs afin de familiariser les acteurs avec le nouveau schéma.

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