Sénégal: Dr Djibril Diallo, Sous-préfet - " Près de 300 bâtiments menacent ruine à Dakar-Plateau "

11 Août 2022

Les cas de décès causés par des effondrements ou affaissements de bâtiments ou de dalles menaçant ruine ne se comptent plus. La dernière en date remonte dans la nuit du 1er au 2 octobre 2021, avec six morts, à Hann Bel Air. Dans cet entretien, le Sous-préfet de Dakar Plateau, Dr Djibril Diallo, indique que près de 300 bâtiments menacent ruine dans sa circonscription. Par ailleurs, il ajoute que pour avoir fait démolir des bâtiments, il a été attrait six fois devant la barre.

L'effondrement d'un immeuble R+2 à Fann Bel Air a fait six morts et autant de blessés dans la nuit du vendredi 1er au samedi 2 octobre 2021. Un drame qui pose encore la lancinante question des bâtiments qui menacent ruine à Dakar. À ce jour, quel est l'état des lieux ?

Je dois préciser que Bel Air ne fait pas partie de ma circonscription administrative. En ce qui concerne l'arrondissement de Dakar Plateau, il faut relever que depuis trois ans déjà, j'ai adressé des correspondances pour demander aux maires de me faire le point sur les bâtiments menaçant ruine ou supposés menacer ruine. Cette cartographie avait pour objectif de nous permettre de saisir les services compétents pour que des visites soient effectuées dans ces différentes communes pour évaluer les risques et menaces. Jusque-là, il y a qu'une seule commune qui a répondu à la correspondance, c'est celle de la Médina. Qu'à cela ne tienne, chaque fois que le problème se pose, que des privés nous saisissent, la commission auxiliaire de protection civile, dirigée par l'adjoint au préfet du département, est dépêchée pour constater et évaluer l'état du bâtiment.

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C'est à la suite de cela qu'un procès-verbal est dressé. Des recommandations sont faites. Une fois que nous recevons le rapport, si nous voyons que la menace est réelle et persiste, elle est actée par un courrier que nous envoyons au maire compétent pour qu'il prenne un arrêté de péril et d'évacuation. Quand c'est fait, cela nous permet d'isoler le bâtiment et de le confier à la mairie. À ce niveau, il y a deux choses à signaler. Ce n'est pas du ressort du Sous-préfet de Dakar Plateau de démolir le bâtiment. Le Code de la construction indique clairement que c'est le propriétaire du bâtiment qui a la charge des frais de démolition de son édifice. S'il n'a pas les moyens de supporter les frais, il peut négocier avec la mairie pour qu'elle l'assiste financièrement et voir après avec la mairie comment payer la facture avec des modalités qui leur conviennent.

Combien de bâtiments menacent ruine dans votre circonscription administrative ?

Nous avons répertorié un peu moins de 300 bâtiments au dernier recensement, mais c'est un chiffre qui a évolué.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté dans le cadre de votre mission ?

Nous sommes confronté à la résistance des occupants des bâtiments qui menacent ruine. Les populations se soucient plus d'émotion que de sécurité. La spécificité des bâtiments au Plateau, c'est que certains datent du temps colonial. Par ailleurs, à l'origine, certains étaient conçus pour être des terrasses. Aujourd'hui, avec l'accroissement de la démographie, des habitations ont été transformées par leurs propriétaires sans respect des normes de construction. Ce qui est à l'origine de la majorité des périls. Par ailleurs, la plupart des bailleurs ne se font pas signaler auprès des services des domaines. Or, quand il donne un bâtiment en location, le bailleur doit payer des redevances annuelles. C'est rarement le cas. Nous n'intervenons que quand il y a un problème entre le bailleur et le locataire, notamment quand ce dernier refuse de quitter les lieux.

Quelle est la solution pour venir à bout de ces accidents récurrents ?

Il faut sensibiliser les populations qui doivent avoir des points de chute. Chaque commune qui a en charge ces questions doit acheter son matériel. En général, les mairies signent des contrats avec des privés pour le matériel de démolition. Or, la démolition nécessite juste trois appareils majeurs que sont un engin " Poclain ", un chargeur et une benne. Chaque commune peut se procurer ce matériel pour les démolitions et même les louer à d'autres entités pour avoir des rentrées d'argent. Ce matériel peut constituer une source de richesse. S'il est utilisé par des jeunes, c'est une création d'emplois.

Qu'en est-il du code de construction ?

D'autres services sont plus habilités que les miens pour vous édifier sur la question, mais je peux vous dire sans marcher sur leurs platebandes que les textes doivent être revus. Il est vrai que le temps de la justice n'est pas le temps de l'administration, mais il faut changer les textes pour permettre à la Direction de la protection civile (Dpc) ou aux services administratifs compétents de remplir ce volet de leur mission. Il faut revoir les textes et les réadapter au contexte. La Dpc et la Direction de la surveillance et du contrôle de l'occupation du sol (Dscos) n'ont pas les moyens de faire face. Elles doivent être érigées en Directions générales avec des moyens conséquents pour remplir leurs missions. L'Inspection générale du bâtiment doit accentuer les contrôles avant, pendant et après les constructions. Le certificat de conformité doit être exigé aux détenteurs de permis de construire après chaque construction. Les maires et le service de l'urbanisme doivent aussi jouer pleinement leur rôle.

En tant que Sous-préfet, si je prends sur moi de faire sortir quelqu'un d'un bâtiment qui menace ruine, je cours des risques. J'ai été attrait six fois devant le Tribunal pour destruction de biens appartenant à autrui par des occupants de bâtiment menaçant ruine parce que j'ai assisté à la démolition de bâtiments actée par la Dpc. J'ai eu la chance d'avoir été défendu par l'actuel Ministre de l'Intérieur, Antoine Félix Diome, alors Agent judiciaire de l'État (Aje) et des avocats de l'État. J'ai obtenu gain de cause dans toutes ces affaires, mais cela ne m'encourage pas. Pour la petite histoire, une dame qui refusait de sortir d'un bâtiment en état de délabrement avancé sous prétexte que c'est un héritage familial, a vu sa maison s'effondrer trois jours après son expulsion. Si elle était restée, elle serait morte. Finalement, elle a été réellement reconnaissante et l'un de ses enfants porte mon prénom.

Avez-vous le sentiment d'avoir souvent le mauvais rôle ?

Devant l'émotion des occupants, des riverains et parfois de la presse, on nous donne le mauvais rôle d'empêcheur de tourner en rond, alors que tout ce qui nous guide, c'est sauver des vies et des biens.

Quels conseils donnez-vous aux bailleurs et locataires qui donnent en location ces bâtiments ou qui y habitent avec leurs familles ?

Rien ne vaut la vie humaine. Ce n'est pas responsable de mettre en location un bâtiment qui menace ruine rien que pour gagner de l'argent. Les locataires doivent éviter d'opter pour la facilité et vouloir coûte que coûte habiter à Dakar en acceptant de loger dans des bâtiments qui menacent ruine. Il vaut mieux habiter à Tambacounda par exemple et être en sécurité plutôt que d'habiter à Dakar au péril de sa vie. Pour ce qui est des locataires, parfois après évacuation des bâtiments et quand les clés sont confiées aux délégués de quartier ou mairies, il arrive que d'anciens occupants reviennent en catimini ou que les locaux soient occupés par des badauds. Leur présence sur ces lieux pose un problème de sécurité et de sûreté. Il faut une application rigoureuse de la loi. J'en appelle au sens élevé des responsabilités de la part des uns et des autres.

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