Sénégal: Stratégie de remboursement de la dette de l'Aibd Sa - Doudou Ka livre les détails

16 Août 2022
interview

Solder ses dettes sept ans avant l'échéance. Ce n'est pas tous les jours qu'une structure réussit pareille prouesse.

Alors, on se pose forcément des questions sur l'alchimie financière qui a permis à la société Aéroport international Blaise Diagne S.A (Aibd S.A) d'y arriver. Dans cet entretien, son Directeur général, Doudou Kâ, apporte des réponses à cette question principale sans esquiver les interrogations secondaires qui en découlent.

Monsieur le Directeur général, la semaine dernière, vous appreniez aux Sénégalais que l'Aibd a réussi à solder ses dettes estimées à 600 millions d'euros, sept avant l'échéance. Comment vous y êtes parvenu ?

Depuis la fin du mois de juillet 2022, le Sénégal a retrouvé sa pleine souveraineté au niveau de sa principale plateforme aéroportuaire qui est l'Aéroport international Blaise Diagne. C'est une performance inédite pour l'Etat du Sénégal et pour le peuple sénégalais de rembourser une dette 7 ans avant l'échéance. Chaque Sénégalais peut se sentir fier. Cette performance a été réalisée grâce à une stratégie financière du gouvernement, des experts du Ministère en charge des Finances et ceux d'Aibd S.A. Ce succès est une matérialisation de la vision du Président Macky Sall qui avait approuvé le plan stratégique premier hub aérien sous régional en 2035, en conseil présidentiel du 23 avril 2021 et qui comprenait un certain nombre de réformes, des projets prioritaires et une stratégie financière. Tout d'abord, il faudrait se rappeler qu'à l'époque, le gouvernement du Sénégal avait opté pour un financement structuré adossé sur une ressource dédiée à l'Aibd S.A, la redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (Rdia) et avait signé, en 2011, différents contrats avec différents bailleurs de fonds pour le financement du nouvel aéroport Aibd. Cette restructuration repose sur un modèle économique du trafic de l'Aibd. Le modèle financier adopté repose sur un trafic estimé à l'aéroport international Blaise Diagne. Les bonnes performances en qualité de génération de trafic depuis l'ouverture de l'aéroport, le 7 décembre 2017, ont permis à la société Aibd S.A de générer un surplus de cash-flow pour proposer à ses partenaires des remboursements anticipés qui ont abouti à la résorption de l'encours de la dette de 2011 avec un concours des équipes du Ministère en charge des Finances pour structurer le paiement du reliquat et de permettre à Aibd S.A de retrouver sa souveraineté totale sur l'infrastructure et de libérer son levier financier principal, la Rdia, pour pouvoir financer les nouveaux projets stratégiques et prioritaires retenus.

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Certains disent que ce sont les recettes de la Redevance pour le développement des infrastructures aéroportuaires (Rdia), instaurée depuis 2005, qui ont permis d'éponger cette dette. Qu'en est-il concrètement ?

Certains ont découvert le sujet de la Rdia au moment du remboursement total de la dette. Mais moi, j'ai eu la chance d'être l'un des acteurs du modèle économique de la structuration financière en 2005 en ma qualité de directeur de projet au sein de la banque d'affaires Bmce Capital, conseiller financier du gouvernement du Sénégal pour le montage financier de la construction du nouvel aéroport de Diass. Donc, à la base, la Rdia a été créée exclusivement pour le financement de l'actuel aéroport. C'est un financement structuré adossé sur une ressource dédiée. La Rdia n'existait pas au Sénégal. Elle était considérée, au début, comme une taxe parafiscale qui devait être affectée, pas à l'Etat, mais à une structure qui a une personnalité juridique différente de l'Etat, d'où la raison de la création de la société Aibd S.A et devenant ainsi sa principale ressource à côté des autres redevances aéroportuaires et de la redevance de concession. Ceux qui disent que c'est la Rdia et non Aibd S.A qui a permis d'éponger cette dette se trompent certainement de bonne foi. Ils ignorent certainement l'historique, le fonctionnement et la philosophie qui sous-tendent la Rdia. Pour faire simple, Aibd S.A a été créée parce qu'on devait instaurer, par décret, une nouvelle taxe parafiscale, la Rdia, et qui lui est affectée.

Si on vous comprend bien, la Rdia va continuer parce qu'il y a d'autres infrastructures aéroportuaires à développer ?

Exactement. Et c'est justement la raison d'être de la Rdia. J'ai précisé plus haut que le Président Macky Sall avait approuvé, en avril 2021, un plan stratégique de développement des aéroports sur la période 2021-2025 qui comprend un certain nombre de projets stratégiques et prioritaires notamment le Centre de maintenance aéronautique, l'Académie internationale des métiers de l'aviation, la construction du nouveau terminal passagers, la construction d'une nouvelle aérogare fret, la réhabilitation et la reconstruction des aéroports régionaux afin de placer le Sénégal, à l'horizon 2035, comme le premier hub aérien et logistique dans la sous-région. Le coût total de ce portfolio de projets est estimé à 462 milliards de Fcfa. Il fallait donc trouver la stratégie financière et le mécanisme pour la réalisation des ambitions présidentielles aéroportuaires et aéronautiques. Ainsi, le gouvernement, et en particulier le Ministère et des Finances et du Budget et Aibd S.A, accompagné par notre tutelle technique, le Ministère en charge des Transports aériens, a trouvé un mécanisme financier pour solder complètement la dette de l'aéroport et libérer ainsi les sûretés sur la Rdia. Après ce premier succès, la dynamique déclinée par les équipes du Ministère en charge des Finances c'est d'accompagner Aibd S.A à aller sur le marché pour lever près d'un milliard de dollar qui sera backé sur la capacité d'autofinancement de la Rdia. Quand nous sommes arrivés, nous avons très tôt eu cette stratégie avec le gouvernement du Sénégal. Au lieu d'utiliser le surplus de cash-flow pour financer d'autres projets ou pour le fonctionnement de l'entreprise, nous avons proposé de payer notre principale dette par anticipation.

Comment vous êtes parvenu à avoir un surplus de cash-flow vous permettant de rembourser vos dettes avant terme ?

Ce n'est pas un exploit de Doudou Ka, ni de d'Aibd S.A, ce n'est pas une question politique, ni personnelle, loin de là. C'est une réussite nationale, celle d'une stratégie financière du gouvernement du Sénégal, celle du peuple sénégalais et celle des décisions courageuses du Chef de l'Etat. Quand je suis arrivé, la Rdia était de 54 euros pour tous les passagers, aussi bien pour ceux de la classe économique que pour ceux de la classe business. J'ai estimé que ce n'était pas optimale comme stratégie financière. Quand on est un peu plus aisé, on doit pouvoir payer un peu plus cher son billet d'avion. J'ai fait la proposition au gouvernement, ça a été accepté et la loi est passé à l'Assemblée nationale. Ainsi, ceux qui voyagent en classe business, paient 81 euros pour la Rdia. Avec les prévisions de trafics actuelles ce remodelage ferait gagner à Aibd plus de 10 milliards de Fcfa par an en plus et 50 milliards de Fcfa à partir de 2025. Les réformes prises également en 2021 sur le secteur du transport aérien ont permis d'atteindre ce succès.

Si on vous comprend bien, le remboursement de la dette n'entraîne pas automatiquement la baisse des prix des billets d'avion comme certains le subodorent ?

L'ambition du Président de la République Macky Sall c'est de placer notre pays comme le premier hub aérien dans la sous-région. La Rdia a été calibrée sur la base de la soutenabilité du billet d'avion. Donc, tant que le Sénégal aura de grands projets d'envergure, la Rdia va demeurer certainement comme dans d'autres grandes nations aéronautiques. Quand nous l'instaurions, en 2005, c'était sur la base d'un benchmark à l'international. L'aéroport de Paris et l'aéroport de New York, par exemple, avaient eu la même stratégie financière pour financer le développement de leurs infrastructures aéroportuaires. Aujourd'hui, avec une stratégie beaucoup plus impactante, nous avons gagné en temps et en termes de levier pour pouvoir financer plus de 9 projets stratégiques dont certains ont été cités plus haut.

Certains vous reprochent de faire votre propre communication politique avec le remboursement de cette dette. Qu'en dites-vous ?

Aibd S.A a été désigné par le Président de la République, en avril 2021, comme maître d'ouvrage délégué de la mise en œuvre du plan stratégique hub aérien 2021-2025. Pour ce faire, il a fusionné Aibd avec l'ensemble des autres aéroports. C'est le premier acte majeur qu'il a pris et qui donne une cohérence à la mise en œuvre de cette vision. Ensuite, il y a eu une réforme de l'Aibd S.A qui lui a donné une envergure nationale avec la gestion de tous les aéroports en plus d'être chargée de la structuration financière des projets prioritaires retenus avec bien entendu le pilotage des équipes du Ministère en charge des Finances. Donc c'est le gouvernement du Sénégal qui a confié ce rôle à Aibd S.A, pas à Doudou Ka. Et le mangement de l'Aibd S.A que je dirige est en train de le dérouler avec le portage politique très marqué du Président de la République, de notre Ministre de tutelle à savoir le Ministère du Tourisme et des Transports aériens et du Ministère des Finances et du Budget. C'est une performance du gouvernement.

Par ailleurs, il faut souligner qu'il n'y a pas que la Rdia qui a contribué à anticiper le paiement intégral de la dette. Il y a bien sur une ingénierie financière dont je laisse la divulgation publique aux historiens de l'économie, qui a permis d'aboutir à ce résultat. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Partout dans le monde, les aéroports sont des enjeux de souveraineté. Et j'invite vraiment à éviter de politiser le régalien. Car le Sénégal qui retrouve une pleine souveraineté sur l'aéroport international Blaise Diagne de Diass n'est pas une question politique encore moins une performance personnelle de Doudou Ka. Le bilan économique de Aibd S.A est le fruit de décisions courageuses prises par le président de la République. A cet instant précis, je veux m'arrêter pour vous dire que seul compte le sentiment de fierté que chaque citoyen sénégalais peut ressentir de se savoir propriétaire d'un bout de cet aéroport. C'est une belle victoire qui, au-delà d'être celle du Sénégal, est la consécration des choix politiques et économiques du président de la République.

Au mois de juillet 2021, Aibd et Aéroports du Sénégal (Ads) fusionnaient. Une décision motivée, selon les autorités, par un souci " d'efficacité " dans la conduite de la politique aéroportuaire du Sénégal. Douze mois plus tard, quel bilan peut-on en tirer ?

Cette décision a démontré sa pertinence. D'abord, en termes de ressources humaines. A notre arrivée, Aibd était à 102 agents, avec la fusion nous sommes à 576 agents. Parmi les agents de Ads, beaucoup étaient dans une situation de précarité. Nous avons lancé le processus de sécurisation de l'emploi en recrutant déjà un certain nombre. Sur le plan de la mise en norme de nos aéroports régionaux, Aibd a apporté sa touche. Cap-Skirring était à l'arrêt, aujourd'hui il est redevenu fonctionnel et fréquenté par les compagnies internationales. Il y aussi Kolda qui va démarrer, de même que Linguère dont on ne parle pas beaucoup mais qui sera l'une de nos principales plateformes. Les travaux de l'aéroport Ousmane Masseck Ndiaye de Saint-Louis sont réceptionnés, alors que les travaux de l'aéroport de Matam sont très avancés. Donc la fusion entre Aibd et Ads a donné un nouvel élan au secteur du transport aérien du Sénégal. Faut-il le rappeler, l'ambition du Président Macky Sall est de construire un acteur aéroportuaire majeur sous-régional. Avec cette fusion, nous avons déjà franchi un pas.

Comment Aibd a vécu et géré la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 ?

Nous faisons partie des rares aéroports qui n'ont pas fermé pendant la crise sanitaire. Je pense que cela n'a pas été assez souligné. Cela montre que l'aéroport Aibd est résilient. Par ailleurs, quand les statistiques à travers le monde étaient de -74 % de baisse de trafic, Aibd était à -55 %. Nous avons pu résister parce que, également, Air Sénégal a fait des efforts pour maintenir certaines lignes, notamment pour aller chercher des compatriotes. Aujourd'hui, Aibd a dépassé son niveau de trafic de 2019 alors que l'Iata avait estimé que le trafic de 2019 allait être retrouvé à partir de 2024. Nous, en juillet-août 2022, nous avons déjà dépassé le trafic de 2019. Ce sont ces facteurs qui ont poussé nos bailleurs à nous faire confiance. La stratégie qu'on a utilisée pour rembourser la dette avant échéance a permis à l'Etat du Sénégal d'économiser 49 millions d'euros en intérêts, c'est important car cela pourrait financer 2 aéroports régionaux. Par ailleurs, ce remboursement total nous a permis de récupérer notre cash-flow garanti au niveau des bailleurs de fonds, c'est-à-dire 34 millions d'euros dans un compte séquestre.

Une polémique est née après l'annonce du remboursement de la dette de l'Aibd. En effet, il se dit qu'au même moment, vous devez plus de 5 milliards de Fcfa en facture d'électricité à Senelec. Qu'en est-il exactement ?

C'est légitime pour la Senelec de vouloir recouvrer ses créances. Aibd S.A va continuer à l'y aider auprès de la société Las(Limak-Aibd-Summa) qui est la société gestionnaire de l'aéroport Aibd. En effet, cette facture, c'est la société Las qui la doit à la Senelec, Aibd S.A n'est pas comptable de cette dette. Il faut également préciser que Las explique que cette dette est, en partie, causée par Covid-19 car l'aéroport fonctionnait alors que Las avait des recettes de -55 %. Ça pose d'ailleurs la question du coût de l'exploitation aéroportuaire. Las consomme plus de 300 millions de Fcfa en facture énergétique par mois. Le Chef de l'Etat a estimé que cela pourrait diminuer la performance financière et opérationnelle de l'aéroport et a déjà instruit Aibd S.A la construction d'une centrale solaire de 10 MW pour faire baisser le coût de l'énergie à l'aéroport.

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