Sénégal: [Feuilles d'hivernage] Rite initiatique dans le "Kassa" - Diakène Wolof sacrifie au " boukout ", 50 ans après

16 Août 2022

Le village de Diakène Wolof, situé dans la commune d'Oukout (département d'Oussouye), a organisé, le 17 juillet dernier, le " boukout ", rite initiatique chez les Diolas. Une première de son histoire depuis plus de 50 années.

Cette expérience existentielle a regroupé des milliers d'enfants venus de tous les horizons, sous le regard attentif des anciens. Elle vise à bien les préparer afin qu'ils deviennent, plus tard, des adultes responsables et engagés dans leur communauté, la société, mais aussi à les ancrer davantage dans leur culture d'origine.

Diakène Wolof ! Ce village situé en Basse-Casamance, dans la commune d'Oukout, à une quinzaine de kilomètres du chef-lieu départemental, Oussouye, est entré dans l'histoire de la culture diolas, le dimanche 17 juillet 2022. Il y a quelques années encore, ce village cosmopolite constitué à l'origine de migrants venus du reste du Sénégal (Peuls, Toucouleurs, Sérères, Mandingues, Balantes... ), ne sacrifiait pas au " boukout ", passage obligatoire chez le Diolas " Adiamat " pour franchir une étape importante vers la vie d'adulte et de responsable dans la société. Jadis, à Diakène, tout se limitait à la circoncision.

Ici, ce rite initiatique, tel que célébré par les diolas, ces tuteurs qui ont accueilli à bras ouverts sur leurs terres toutes ces ethnies venues d'ailleurs, dans un cosmopolitisme parfait, n'existait pas. Un état de fait que d'aucuns considèrent comme un obstacle à une appropriation complète des us et coutumes des autochtones du département, les Diolas. Et pourtant, à Diakène Wolof, grâce au voisinage et au bon vouloir commun de vivre ensemble, il était difficile de distinguer le Diola de ceux qui ne l'étaient pas. Le métissage culturel soutenu par des liens de mariages entre ethnies d'origines différentes a fini par y créer un lit très cosmopolite. Si bien que dans ce village, l'on peut tomber sur un Ndiaye, un Diop ou un Faye entre autres patronymies sans être en mesure de dire avec certitude de quelle ethnie il se réclame.

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Pour joindre le village de Diakène Wolof, il suffit, en quittant Oussouye, la capitale du " Kassa (nom traditionnel dudit département) ", d'emprunter la route régionale menant au Cap Skirring. En cette période d'hivernage, le trajet s'effectue avec un réel plaisir. Pas de stress, ni dépaysement, car tout le long du parcours, surtout à partir du village d'Oukout, on peut admirer de part et d'autre, la beauté d'une forêt luxuriante, danse et touffue, toute verdoyante, qui jalonne les villages traversés. Par endroit, on peut même se permettre de ramasser des fruits sauvages tombés à cause des fortes pluies. Les " madd " et " tool ", très prisés par les femmes et enfants, sont à portées de mains.

Un demi-siècle d'attente

Après ce beau parcours, s'offre aux visiteurs, à la droite de la voie bitumée, une piste latéritique. Cette bifurcation mène vers le village de Diakène Wolof. En cette journée historique, celle-ci est envahie par le bétail destiné aux festivités. Des centaines de bœufs sont immolés un peu partout. Des chameaux également ; le " boukout " étant aussi un moment de partage et de convivialité où chaque famille cherche à faire plaisir aux hôtes qu'elle reçoit. Les bêtes, les unes plus grasses que les autres, sont un peu partout immolées, dans une atmosphère ponctuée de coups de fusils rtisanaux et de pas de danses traditionnelles. Les gens sont venus de toutes les contrées du département mais aussi du reste du pays et de la diaspora pour répondre à l'appel du bois sacré.

L'attente fut trop longue. Ce " boukout " est une première de l'histoire de Diakène Wolof, lance Andou Ehemba, notre compagnon de route. Il a fallu 50 ans pour que les sages du village s'accordent enfin sur la tenue de ce rite devenu un point de référence. " Les habitants de Diakène Wolof ne faisaient pas l'initiation de cette manière et cela était comme une sorte de frein pour leurs enfants qui ne pouvaient fréquenter leurs camarades du reste du département à pareille occasion ", précise M. Ehemba, un initié du village de Edioungou. Lui a eu à subir l'épreuve en 1979. Concernant le cas de Diakène Wolof, il estime qu'il s'agit de " corriger un passif dans le cadre de l'intégration socio-culturelle avec le reste des villages environnants ".

Un processus de longue haleine

Les préparatifs de l'événement durent plusieurs mois. Selon Afambo Sambou, un des chefs coutumiers d'Oussouye, il s'agit, à travers le " boukout ", d'initier le jeune à franchir un pas dans la vie sociale en milieu diola. Qu'il soit du " Kassa ", du " Blouf " ou du " Fogny ", le Diola, s'il n'a pas sacrifié à ce rite, ne peut être considéré comme un " homme ", dit-il. L'événement s'accompagne de danses et de diverses démonstrations de bravoure jusqu'au jour J. La veille, tous les futurs initiés appelés " ambacc " sont rassemblés au milieu du village, drapés de tenues traditionnels, pour subir la première épreuve.

Celle-ci est marquée par le rasage des têtes. Ce sont les oncles qui se chargent de la tâche. Cette année, ils étaient des milliers à subir l'épreuve, tellement l'attente fut longue, affirme François Diatta, venu accompagner son neveu dans le bois. Lui, comme Andou Ehemba, a eu à subir le rite en 1979. Il n'avait que 4 ans. Etreint par l'émotion, il avait de la peine à s'exprimer. " Je ne me souviens pas trop de ce qui s'est passé dans le bois, car je n'avais que 4 ans, mais ce que je retiens, c'est un moment inoubliable dans la vie sur terre et c'est avec plaisir que je suis là aujourd'hui pour accompagner mes petits frères et neveux ", laisse-t-il entendre.

Plus l'heure fatidique approche plus l'adrénaline monte chez les accompagnateurs des futurs initiés. On les appelle " adjankarol ". Eux ont déjà connu le " boukout " d'où qu'ils viennent. Ils rivalisent d'ardeur dans les épreuves de force comme le tir de fusils. Certains, pour démontrer leur invulnérabilité, tentent de se déchirer le corps à coup de couteaux ou de coupe-coupe. Tous les moyens sont bons pour montrer qu'on est invulnérable. Outre le festin et l'angoisse, le " boukout " c'est aussi une occasion pour le Diola de montrer à la face du monde la vitalité et la richesse de sa culture.

Drapées de leurs tenues traditionnelles et parées de leurs plus beaux atours, les femmes ne sont pas en reste. Même si, à un moment, elles seront appelées à s'éloigner du déroulement de l'événement, ce sont elles qui mettent le plus d'ambiance à travers le son et le rythme. Les chants et les pleurs. Elles s'occupent de la restauration un peu partout dans les concessions du village pour faire plaisir aux hôtes.

A Diakène Wolof, la consigne des sages est précise. Les repas doivent être servis avant 15 heures, l'heure retenue pour introduire les futurs initiés dans le bois. Entre temps, la boisson coule à flot. Des liens d'amitié se tissent çà et là sans oublier les retrouvailles chaleureuses. Plus on s'approche de l'instant tant attendu, l'entrée dans le bois sacré, plus l'ambiance monte crescendo. Des cris hystériques fusent de partout. " C'est un grand plaisir de revenir sur mes origines. Baptisé et marié dans l'Eglise, je reste très attaché à ma culture. C'est ce qui fait que j'ai quitté l'Italie où je vis avec ma famille pour venir assister à ce boukout ", soutient Moïse Ehemba, un ancien camarade de promotion de l'ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, au collège Joseph Faye d'Oussouye.

La marche vers l'incertitude

15h 30, tout change. La foule converge vers la place publique du village située à quelques encablures de la mosquée. Le regard perdu, des larmes coulent du visage de Kiné Ndiaye ; elle est de la grande concession des Ndiaye du village. Son fils fait partie des futurs initiés. " Je ne sais pas s'il va me revenir ou pas ", lance-t-elle.

Réunis au milieu d'un cercle, les futurs initiés, le crâne bien rasé, sont entourés des sages du village et de leurs accompagnants, les " adjankarol ". Les parents, proches et autres visiteurs venus assister à l'événement sont également présents. L'ambiance est marquée par des danses initiatiques exécutées par les " adjankarol ". Après quelques formalités coutumières, les sages délivrent les dernières instructions. C'est l'heure du départ pour le bois. Les femmes et les non-initiés sont sommés de quitter les lieux. " A cette étape, toute personne n'ayant pas fait ce rite est tenue de s'éloigner. Elle n'a pas le droit de voir la suite des événements au risque d'être rattrapée par une malédiction ", renseigne François. Les " ambacc " sont ainsi accompagnés par les sages au rythme des pas de danse jusqu'au seuil du bois sacré situé vers l'Est du village. Là, ils sont confiés au génie protecteur des lieux. Sous la garde des anciens et à l'abri des regards des populations, ils y séjourneront plusieurs semaines. Le courage en bandoulière, tous ces jeunes appelés à accomplir le rituel de l'initiation, une étape ô combien importante dans la vie du Diola, avaient auparavant reçu la bénédiction et les derniers conseils de leurs anciens. Leur séjour dans la forêt pourrait durer au moins trois ou quatre semaines environ, selon les témoignages recueillis auprès des notables du village. Toutefois, le bois restera ouvert aux éventuels retardataires durant toute l'année, assurent-ils.

Ce rite existe depuis le XIIe siècle, selon les témoignages. De fait, avant l'avènement de la colonisation, c'était la seule école de formation ; un enseignement à la fois généraliste et spécifique préparant le jeune homme à prendre sa place dans la société, mais aussi à la défendre. Cette cérémonie est une occasion pour renforcer le lien entre l'initié et sa communauté.

Le " boukout " permet à une nouvelle classe d'âge chez le Diola d'accéder à l'autonomie sociale et économique. Tant qu'il n'aura pas satisfait à cette exigence, le non initié ne pourra ni se marier ni recevoir de la terre pour cultiver. Il s'exclut de fait de la communauté, affirme Afambo Sambou. Avec cette expérience existentielle, les valeurs masculines s'en trouvent renforcées.

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