Sénégal: Mohamed Julien Ndao, DG d'Okapi Trading - " Le conflit russo-ukrainien impacte toute la chaine de valeur pétrolière "

16 Août 2022

Si le conflit russo-ukrainien persiste, la croissance de l'Afrique devrait stagner aux alentours de 4 % en 2023, selon la Banque africaine de développement (Bad). Les Nations unies continuent d'alerter sur les conséquences d'une crise qui a un impact négatif sur les pays dits en développement déjà fortement marqués par les impacts économiques désastreux de la crise sanitaire liée à la Covid-19. Entrepreneur actif dans le domaine du négoce du pétrole, le Sénégalais Mohamed Julien Ndao, Directeur général d'Okapi Trading dont le siège est à Genève, explique comment la guerre en Ukraine a renchéri les coûts du pétrole et créé une nouvelle géopolitique énergétique mondiale tout en donnant des pistes pour que l'Afrique, impactée, puisse s'en sortir.

GENÈVE- La Russie est le troisième producteur de pétrole à l'échelle mondiale. Ainsi, le déclenchement de la guerre en Ukraine, suivi des sanctions occidentales, a immédiatement renchéri le prix du pétrole brut et des produits pétroliers sur les marchés internationaux. " Nous avons subi de plein fouet cette augmentation de la valeur de notre matière première et de ses dérivés. Nos clients, qui sont en majorité en Afrique, ont subi cette hausse soudaine avec l'inflation qu'elle contribue à créer ", regrette Mohamed Julien Ndao, Directeur général d'Okapi Trading dont le siège est à Genève. La conséquence immédiate a été un ralentissement de la demande, dans un premier temps, dans la zone d'activité en Afrique de l'Ouest où Okapi est très présente. Poursuivant, il souligne : " Toute la chaine d'approvisionnement et de transport a revu ses coûts à la hausse. Le niveau de risque de crédit des clients a augmenté et les banques prennent beaucoup plus de temps à s'ajuster à la nouvelle donne pétrolière au niveau des lignes de crédit ". À cela s'ajoutent les sanctions occidentales qui limitent l'accès aux produits russes au niveau physique et de leur financement désormais restreint par les banques internationales occidentales.

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La guerre en Ukraine a changé le circuit du pétrole

Les sanctions occidentales liées à la guerre avec l'embargo européen sur le pétrole et le gaz d'origine russe a eu pour conséquence de redessiner les circuits traditionnels d'approvisionnement de produits pétroliers. Les pays européens ont une dépendance énergétique extrêmement forte vis-à-vis de la Russie, notamment sur le gaz et les distillats (diésel, gasoil, Jet A1), qu'il est difficile de substituer. " Les raffineries situées en Asie ont saisi l'effet d'aubaine créé par cette situation pour acheter du pétrole brut avec des réductions de l'ordre de 20 % -30 % et des transactions qui se font en devise hors dollar américain ", explique M. Ndao. Ce brut est transformé en produits pétroliers revendus à prix forts sur les marchés internationaux en Europe et dans les pays africains. " Il y a un véritable arbitrage qui s'est ouvert entre l'Asie et la zone Afrique/Europe, notamment sur les distillats, créant ainsi des opportunités de marché pour des sociétés comme Reliance (Inde), Adnoc (Émirats Arabes Unis) ou les raffineurs basés en Chine, en Corée du Sud ou au Singapour ", renchérit l'expert en commerce du pétrole lors d'une rencontre aux Nations unies la semaine dernière. D'un schéma d'approvisionnement direct, on assiste à l'émergence d'un modèle avec une intermédiation asiatique qui, à terme, représente une alternative à la domination du pétrodollar.

Denrées alimentaires pétrole et gaz

La hausse des prix du pétrole s'est traduite par une forte inflation, particulièrement pour les produits alimentaires, accentuant la vulnérabilité de l'Afrique fortement dépendante des céréales russes et ukrainiennes. D'après certains chercheurs, les pays africains ont importé pour quatre milliards de dollars de produits agricoles en provenance de Russie en 2020 et pour trois milliards de dollars en provenance d'Ukraine. Le blé représentait 69 % de ces importations, le maïs 21 %, l'huile de tournesol 6 %, l'orge 3 % et le soja 4 %. La consommation de blé en Afrique devrait atteindre 76,5 millions de tonnes d'ici à 2025, dont 48,3 millions de tonnes, soit 63,4 %, devraient être importées en dehors du continent, notamment de la Russie et de l'Ukraine.

La Bad a prévu un impact sévère de la guerre en Ukraine qui pourrait se traduire par une pénurie alimentaire équivalant à 30 millions de tonnes et un déficit de deux millions de tonnes dans l'approvisionnement en engrais. La banque a ainsi déployé, en mai dernier, un fonds de 1,5 milliard de dollars pour s'assurer que 20 millions d'agriculteurs africains disposent de semences certifiées hautement résistantes aux conditions climatiques du continent et d'engrais.

Solutions envisageables pour l'Afrique

Pour éviter les futurs chocs des prix alimentaires causés par la hausse des prix du pétrole et du gaz sur le marché mondial, les pays africains doivent améliorer leur capacité de production et d'exploration du pétrole et du gaz afin de combler les lacunes qui pourraient survenir à la suite d'une rupture de la chaîne d'approvisionnement parmi les principaux producteurs mondiaux, suggère la Commission de l'Union africaine pour l'agriculture dans une étude. En outre, les Gouvernements africains devraient investir dans l'exploration pétrolière et gazière ou attirer davantage d'investissements internationaux dans ce domaine, surtout dans les pays où l'on pense qu'il existe des réserves de pétrole souterraines, mais qui n'ont pas encore été explorées.

Les pays africains peuvent être divisés en deux catégories : les producteurs et les pays importateurs. " Les producteurs doivent profiter des hausses actuelles de prix pour accroitre leurs réserves budgétaires et mettre en place des fonds souverains pour investir ces ressources excédentaires ", analyse M. Ndao. Les pays importateurs sont ceux qui souffrent le plus de l'inflation induite par ce conflit. En effet, les produits raffinés sont, pour la plupart, subventionnés et la facture pétrolière pèse énormément sur le budget de ces États. Ces derniers " pourraient prendre l'initiative d'avoir recours aux instruments de couverture (hedging) qui existent sur les marchés financiers et qui permettent de faire face à la hausse du prix du pétrole. Une autre option serait d'obtenir des accords tripartites avec les Russes et un autre pays tiers (Inde/Chine) pour des paiements hors du système Swift pour contourner les sanctions occidentales, de manière à bénéficier des prix meilleur marché ", conseille Mohamed Julien Ndao.

(Correspondant permanent)

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