Sénégal: Mangacounda - Ancien poste colonial, victime du conflit casamançais

17 Août 2022

Presque aucun villagedu département de Goudompn'a été épargné par le conflit armé casamançais. Mangacounda, ancien poste colonial, a été même confondu, à un moment donné, à une zone de repli des rebelles. Aujourd'hui encore, malgré son passé colonial, Mangacounda peine à se relever d'une longue guerre.

GOUDOMP-A peu près à 8 voire 9 km de Goudomp, et à une trentaine de bornes de Ziguinchor, Mangacounda se dresse devant le visiteur. Un tableau sur lequel est mentionné " Arrêt postal de Mangacounda ", indique une direction à suivre. À l'époque, un poste, un des vestiges du passé colonial, y était construit. Aujourd'hui, il a complètement disparu. À la place, c'est une terre nue, à l'image de ce bourg, où l'on ne rencontre aucun signe de modernité. L'endroit où était installé le poste est envahi par des anacardes et des manguiers, à perte de vue.

Créé en 1718 par un Baynouk du nom de Tété Manga, réputé pour ses pouvoirs mystiques, le village a changé trois fois de nom, avant de répondre à l'appellation qui lui est connue aujourd'hui. Selon l'adjoint au chef de village Abdou Camara, il était délimité, à l'époque, par les villages environnants tels que Singhère Baynouk et Diagnon. À la création de Mangacounda, poursuit-il, les habitants de Singhère Baynouk et Diagnon venaient fréquemment solliciter les services du vieux charlatan, qui avait quitté un village du nom de Badora, pour s'installer à Mangacounda, fuyant la guerre en Guinée-Bissau, raconte Abou Camara. Tété Manga s'est ainsi réfugié à Mandouar chez ses parents paternels de la famille Biaye, avant de s'installer définitivement à Mangacounda.

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Il se raconte qu'un roi rôdait dans la zone (on parle de Moussa Molo Baldé, d'autres de Fodé Kaba Doumbouya). Étant un homme de paix, il quitte Mandouar pour créer Mangacounda. Quelques années plus tard, il a été rejoint à Mangacounda par un vieux Manjak (Ndiago) du nom de Diombikou Diokou, qui avait également quitté la Guinée-Bissau, précisément le village de Poulountou à Bantagnima.

Le poste colonial de Mangacounda, fait savoir Abou Camara, fut un site de commandement, dont le supérieur s'était installé à Sédhiou. Occupé au début par les Portugais, le premier commandant de ce poste répondait au nom de Pruno, que les autochtones ont déformé en Fourneau. Celui-ci délimita ainsi le village en 12 bornes. Après le départ des Portugais, les Français s'installèrent avec comme commandant un certain Gérard, lequel sera suivi des familles Henri Barthez et Marie Caisse, qui furent des explorateurs et commerçants. Dans ce village plus que centenaire, DiattabaSonko assurait la chefferie.

L'impact des colons

Localité carrefour, Mangacounda accueillait les colons en provenance de Sédhiou pour Carabane. Les Portugais furent ainsi les premiers à s'y installer. Ils demandèrent aux anciens de s'organiser, et d'avoir un chef de village, qui serait leur relais auprès de la population. La famille baynouk du vieux charlatan, connue pour être des hommes de paix, refusa l'honneur pour la donner au vieux Manjak, afin qu'il prenne la chefferie.

Le poste colonial a été ainsi créé vers les années 1930, une école est érigée en 1935, ce qui en fait l'un des premiers établissements dans le département de Goudomp. Face au refus des villageois de laisser leurs enfants aller à l'école, l'établissement n'ouvrit ses portes que le 23 mars 1936. " Les colons sont allés, cette année-là, chercher les enfants dans les champs en usant de la force pour les emmener, et les cours démarrèrent avec un effectif de 13 élèves ",relate l'adjoint au chef de village, Abdou Camara. Le président des parents d'élèves du collège de Mangacounda, Seydou Camara, confirme avec fierté que la localité a connu très tôt l'école. C'est ce qui explique que beaucoup de fils du village sont aujourd'hui des intellectuels.

L'histoire est racontée diversement à Mangacounda. Le communicateur traditionnel Amadou Seydou Diallo alias Bella rappelle qu'à l'époque, le village s'appelait Bantagnima, et avait comme chef Diattaba Sonko. En ce moment, Mangacounda n'existait pas. La localité a été créée par trois hommes (Macodou Fall, Kékoumba Ndiaye et Weurseuk Dieng) qui sont venus du Sine Saloum. Ces trois personnes, des cultivateurs doublés de commerçants, sont passées par la Gambie, pour venir en Casamance dans un village qui se trouve dans le Fogni du nom de Kalmakri. Ils cultivaient de l'arachide, du mil, etc.

Après la récolte, ils venaient vers la zone de la moyenne Casamance. Ils sont passés à Sibikoroto chez le marabout Chérif Sidy. L'érudit, devinant qu'ils n'étaient pas natifs de la zone, leur a demandé de traverser le fleuve et de s'installer à l'est du village de Bantagnima. Suivant les recommandations du saint homme, ils ont créé Mangacounda. C'est ainsi que les populations de Bantagnima ont rejoint plus tard Mangacounda. Le petit-fils du fondateur de Mangacounda, MacodouFall, vivant aujourd'hui à Goudomp, a abondé presque dans le même sens que le communicateur traditionnel. Makhfouse Fall, septuagénaire, toujours solide malgré son âge, conte avec fierté et enthousiasme l'histoire de ce mythique village. Il confirme que Mangacounda s'appelait à l'époque Bantagnima. Lorsque son grand-père et ses amis sont venus à la recherche de leur sœur, ils sont passés par le village de Diacounda. Depuis qu'ils ont mis les pieds dans la zone, ils ne sont plus rentrés.

Arrivé dans le Fogni, chez les Diolas, Macodou Fally a créé le village de Keur Macou, appellation que les autochtones ont déformée en Kalmakri. En quittant le Fogni, il a rencontré l'érudit Chérif Sidy de Sibikoroto, qui lui a demandé de traverser le fleuve, avec Weurseuk Dieng et DiéCoumba Ndiaye ces deux cousins et compagnons. C'est eux qui ont créé par la suite Mangacounda. MacodouFall était un grand cultivateur. Il avait à l'époque fait appel à un maître coranique pour apprendre aux enfants le Coran. Grâce à la mystique, les populations se sont déplacées du village de Bantagnima pour créer Mangacounda, raconte le petit-fils qui vit actuellement à Goudomp.

La vie à Mangacounda

En cette journée d'un mercredi nuageux, le village de Mangacounda est dans sa torpeur habituelle. Aucun signe de modernité. Cependant, la verdure est la chose qui frappe le plus le visiteur. La terre de cette zone est fertile. À perte de vue, des manguiers et des anacardes. Saison de cueillette, les mangues jalonnent tous les coins de la route nationale, pendant que d'autres pourrissent à l'air libre.

Aujourd'hui,5432 âmes vivent à Mangacounda. Ces habitants pratiquent l'agriculture et l'élevage, qui a cependant connu un frein, avec les voleurs de bétail à l'époque de la rébellion. Naturellement, Mangacounda s'est agrandi grâce à la pêche, attirant ainsi presque toutes les ethnies du Sénégal, qui rendent dynamique ce secteur. Lamine Dacosta, la vingtaine, habitant de Mangacounda, informe que la plupart des jeunes se livrent au transport par moto-taxi" Jakarta "ou à la pêche, la cueillette de l'anacarde et des mangues.

Un essor plombé par la crise casamançaise

Comme beaucoup de bourgs de l'intérieur du pays, Mangacounda n'a pas connu un développement. Le village n'a bénéficié d'électrification qu'en fin décembre 2021. À l'instar des autres bourgades de la zone, il est dépourvu d'eau potable. Ce qui fait que la population utilise l'eau des puits.

En quittant sa modeste concession pour les champs, l'adjoint au chef de village, Abdou Camara, est prolixe quand il s'agit de raconter l'histoire de son terroir. Mais dès qu'on aborde la crise casamançaise, son visage se crispe. À en croire notre interlocuteur, Mangacounda accueillait un cantonnement militaire, à cause des attaques fréquentes des rebelles. " Nous avons perdu beaucoup de nos parents avec les assauts des rebelles. La peur s'était installée. La première attaque rebelle s'était soldée par la mort d'une femme peule avec son bébé d'un mois ",se souvient, en larmes, M. Camara, la voix cassée.

Selon lui, les militaires avaient en ce moment considéré Mangacounda comme un bastion des rebelles, face aux nombreux braquages sur la route nationale 6. " C'était le seul bourg dans la zone où les populations n'avaient pas fui. Les villages comme Singhère et autres s'étaient déplacés. C'est ainsi que l'armée a organisé une opération en faisant sortir tout le monde pour une opération de vérification. " Ce jour fut aussi très dur pour nous. Les militaires s'en sont pris à des gens, ils ont frappé beaucoup de voisins. Ils nous ont tous emmenés à l'embarcadère. Je n'oublierai jamais les sévices subis par certains d'entre nous ", dit notre interlocuteur, la voix cassée, pas près d'oublier ces moments tristes de l'histoire du village, alors assimilé à un bastion rebelle.

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