Cote d'Ivoire: Achiou Jacques III (Directeur de la sensibilisation et de l'éducation à la haute autorité pour la gouvernance - "Si on réussit à inculquer aux enfants cette notion de l'intérêt général, nous aurons en partie, régler la question de la corruption"

interview

La corruption est un fléau qui gangrène l'économie et plombe le développement des Etats. En Côte d'Ivoire, pour améliorer la gouvernance et réduire significativement la corruption, l'Etat s'est doté d'un dispositif institutionnel, la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance, qui est dédié à la prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées. Organe non juridictionnel, la HABG se donne les moyens d'accomplir convenablement ses missions. Le directeur de la Sensibilisation et de l'Education, Achiaou Jacques III, nous parle des actions déjà entreprises par l'institution. Entretien.

Qu'est-ce que la corruption ?

La corruption est un fléau d'ordre mondial qui est inhérent à la personne humaine. En réalité, ce sont des comportements qu'on va assimiler à la corruption. C'est une notion qui est polysémique et qui va varier selon le contexte. La corruption vient du latin " corruptio " qui veut dire dégradation de tout ce qui est sain, donc de la pourriture. La corruption met en rapport deux personnes, dont un qui a un pouvoir et qui décide de l'utiliser comme un avantage indu pour faire ou ne pas faire quelque chose de sa mission. Elle représente un intérêt personnel au détriment de l'intérêt général. Ainsi, la corruption va se traduire par le fait d'offrir, proposer ou solliciter un avantage indu pour faire ou ne pas faire sa mission dans un but purement personnel. C'est vers cette définition qu'on va de plus en plus. Et donc celui qui fait l'action de corrompre, est appelé le corrupteur et celui qui va agréer ou solliciter l'action est le corrompu. On parle alors de corruption active et de corruption passive. C'est un fléau qui sévit à telle enseigne que le monde entier s'est mobilisé contre le phénomène, à travers des instruments tels que la Convention des Nations unies contre la corruption, la convention de l'Union africaine sur la lutte contre la corruption, etc.

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Que peut-on considérer comme actes de corruption ?

C'est un ensemble de comportements qu'on a qualifié d'actes de corruption. Et il y a des comportements qui sont déjà des infractions en elles-mêmes et qui ont un lien assez étroit avec la corruption. On les appelle les infractions assimilées. Vous avez donc des actes de corruption à proprement parler et des infractions assimilées. Quand vous prenez de l'article 28 à l'article 51 de l'Ordonnance n°2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées, il y a trois types d'actes. Il y a la corruption des agents publics nationaux, la corruption des agents publics étrangers et de fonctionnaires internationaux, et le troisième groupe, c'est la corruption dans le secteur privé.

Concernant la corruption des agents publics nationaux, vous avez comme actes, le trafic d'influence, l'abus de fonction, la concussion, l'avantage illégitime, l'entrave au bon fonctionnement de la justice. Pour les agents publics étrangers et fonctionnaires internationaux, cela relève d'une autre catégorie. Parce que ceux-ci interagissent souvent. Cela fait que leur statut empêche de les poursuivre. Ce ne sont pas tous les pays qui ont pris l'option de les condamner. Mais la Côte d'Ivoire a pris l'option de poursuivre ces agents s'ils sont coupables d'actes de corruption.

Enfin, vous avez la corruption dans le secteur privé. Elle concerne la corruption des dirigeants, la corruption des préposés, des employés, des commerçants, des artisans, ainsi de suite.

A côté de ces actes, il y a les infractions assimilées, c'est-à-dire qu'elles sont considérées comme des actes de corruption. Vous avez les conflits d'intérêt, la prise illégale d'intérêt, le refus de déclaration de patrimoine ou divulgation d'information, l'enrichissement illicite, les cadeaux, le financement illégal des partis politiques et des campagnes électorales, le harcèlement moral et enfin, le recel. Il y a un troisième groupe d'infractions qui sont liées à la dénonciation des actes de corruption. Il pèse sur chaque individu une obligation de dénoncer les actes de corruption auquel cas, vous pouvez faire l'objet de poursuites. Donc si vous êtes en face d'un acte de corruption, vous êtes tenu de le dénoncer auprès des autorités compétentes sinon, cela est susceptible de constituer, pour vous, une infraction.

En quoi le cadeau est-il considéré comme une infraction assimilée?

La loi estime que tout agent public qui accepte d'un tiers un cadeau ou tout avantage indu dans l'exercice de ses fonctions, sa mission, son mandat, est puni d'un emprisonnement de 1 à 5 ans et d'une amende de 1 million à 5 millions de FCFA. Le donateur est puni des mêmes peines. Le cadeau est un acte par lequel, vous recevez un avantage d'un individu. L'idée qui réside dans la notion de cadeau est le fait de mettre l'agent public dans une posture où il ne peut pas appliquer, de façon sereine, un des principes du service public qui est l'impartialité. Parce que si quelqu'un vous donne un cadeau, en général, il a le droit d'attendre quelque chose en retour. Et le principe du service public est de faire en sorte que le service soit délivré avec impartialité sans aucune discrimination pour que chaque usager bénéficie de l'égalité du service. Or, lorsqu'un agent reçoit un cadeau, lorsque vous avez reçu une bonne éducation, vous vous trouvez dans l'obligation d'être bienséant. Exemple, vous êtes caissière dans une banque, chaque fois que je viens pour une opération, je vous laisse un petit billet en guise de remerciement. Vous n'avez rien demandé. Et cela se répète chaque fois que je viens pour une opération. Dès que la caissière va mettre un visage sur la personne, la prochaine fois que vous arrivez, même si la file d'attente est sur plusieurs mètres, elle va interpeller le monsieur pour le servir. Tout simplement parce que le monsieur a été bienséant avec elle. Cela crée un lien qui n'est pas très propre à l'activité et donc du coup, les autres qui sont là depuis longtemps ne vont pas bénéficier des règles d'égalité. Il y a une injustice qui se crée parce que justement on a créé ce lien de partialité. Le cadeau met en mal le principe d'impartialité, ça floue le règlement des agents, ça les met dans une posture où ils vont poser l'acte qui n'est plus respectueux du principe d'impartialité. Et c'est valable pour tous les agents publics.

C'est la raison pour laquelle quand vous prenez tous les organismes internationaux, qu'ils soient privés ou publics, de plus en plus, on encadre le cadeau. Il y a une politique-cadeau dans ces organismes pour éviter que les agents se retrouvent dans des situations qui échappent au respect des principes de bonne gouvernance, d'impartialité de service public. Le cadeau met une pression extérieure sur l'individu. C'est moral et insidieux. C'est la raison pour laquelle on va faire la différence entre les cadeaux à titre honorifique, qu'on va donner dans un cadre bien précis. Et vous remarquerez que ces cadeaux, généralement quand on les fait, il y a des registres pour les enregistrer. Quand vous aller en mission, c'est parce que vous avez ce statut et cette posture qu'on vous fait ce cadeau. Il faut que vous soyez capable de faire la différence entre ce cadeau qui est attaché avec votre statut et le cadeau qu'on vous ferait dans une relation normale. C'est en cela que la loi encadre le cadeau puisqu'on estime que l'agent public a déjà reçu sa rémunération, et que le cadeau doit devenir superflu. Le cadeau risque de briser l'égalité de tous devant le service public.

Le perdiem que reçoivent les journalistes peut-il être perçu comme un acte de corruption ?

Je pense qu'il faut faire la différence. Les perdiems sont vus comme des moyens d'accompagnement de la mission. Il s'agit généralement de perdiems qui sont perçus comme des rémunérations pour le transport. C'est une habitude qui s'est installée. Lorsque que vous avez envie de corrompre un journaliste, je ne pense pas que ce soit par les perdiems. Vous l'appelez, vous lui donnez de l'argent pour qu'il fasse ou qu'il ne fasse pas quelque chose pour vous. Les perdiems sont un accompagnement à mettre à la disposition de ces journalistes. La question serait plutôt est-ce que si votre entreprise vous a déjà pris en charge, vous êtes en droit d'accepter des perdiems ? C'est juste une question d'intégrité, de probité. La réponse des organismes au niveau de nos partenaires techniques et financiers est claire. Lorsqu'ils reçoivent une demande de couverture et qu'ils sont pris en charge par leur organisme, lorsqu'ils arrivent et qu'on leur propose des perdiems, ils refusent de prendre. Je crois que la meilleure attitude serait celle-là. Mais ce n'est pas que les perdiems sont des actes de corruption, c'est peut-être le fait de prendre, en plus de ce qui est mis à votre disposition qui devient moins propre.

En quoi consiste la prévention dans la lutte contre la corruption ?

Il faut voir la lutte contre la corruption comme une chaîne avec différents maillons. Le premier maillon, c'est la prévention. Lorsque la prévention ne marche pas, on passe à la répression. La répression a pour objectif de recouvrer l'argent qui a été illicitement pris par les agents indélicats. Pour pouvoir recouvrer cet argent, il faut coopérer avec plusieurs structures aussi bien au niveau interne qu'international. Il est important de respecter cette chaine avec ces différents maillons que sont la prévention, la répression, la coopération et enfin le recouvrement des avoirs. Tous ces maillons doivent interagir. Quand vous sensibilisez, il faut que les personnes qui n'ont pas compris les règles soient sanctionnées. Nous mettons l'accent sur la prévention parce que c'est ce qui est aisé. On dépense moins d'énergie, moins d'argent que dans la répression. Lorsqu'un agent indélicat détourne de l'argent, il s'arrange à dissimuler l'argent de sorte qu'il est difficile de le retrouver. Le temps de procès, de l'argent qu'on dépense en général, pour les résultats que nous avons observés sont minimes. Sur 16 pays qui ont engagé des poursuites pour recouvrer l'argent de la corruption, à peine 2 ont pu avoir un écho et recouvrer un dixième de ce qu'ils ont perdu. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas sanctionner et recouvrer. Si, il faut le faire, mais cela prend du temps et de l'argent. Alors que si vous réussissez à mettre des outils de prévention, vous réglez la question en amont et ça vous évite de perdre du temps et de l'argent, en plus de ce qui a été détourné. Voici pourquoi la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance met de plus en plus l'accent sur la prévention.

Dans la prévention, vous avez plusieurs compartiments. Il y a la sensibilisation, l'éducation. Il y a des outils de prévention tels que les chartes, les codes de déontologie, la transparence en termes d'accès du public à l'information, qui permet à tout le monde de savoir ce qui est fait, ce qui doit être fait, dans quel délai, etc. Toutes ces mesures de prévention ont pour objectifs d'éviter que la corruption survienne. Et un élément fatal dans la prévention, c'est la digitalisation des services. Il faut arriver à une automatisation des services publics qui permet aux individus d'avoir moins recours aux manipulations humaines. Chaque fois qu'il y aura moins de contact humain, la corruption s'éloignera. Donc l'automatisation est une arme fatale en matière de prévention.Il faut amener les gens à changer de comportement. Pour le faire, il faut que les personnes puissent connaître et reconnaître les actes de corruption et les infractions assimilées. Vous êtes donc obligés de sensibiliser les gens pour qu'ils comprennent. Mais, pour que cela s'inscrive dans le comportement, il faut l'éducation. Lorsque vous êtes en train d'installer des comportements chez l'enfant, il est important d'y adjoindre des valeurs de probité, d'intégrité, d'éthique républicaines qui vont amener l'enfant à faire la différence entre l'intérêt privé et l'intérêt public. L'enfant a les outils qui l'amènent à faire du patriotisme contre la corruption. Ce sont autant d'éléments qui permettent de transformer la société. Si on réussit à inculquer aux enfants cette notion de l'intérêt général, nous aurons, en partie, réglé la question de la corruption. Parce que la corruption peut être appelée un égoïsme personnel, intérêt personnel par rapport à l'intérêt général. C'est la raison pour laquelle la HABG s'est inscrite dans une vaste opération d'éducation dans le système éducatif ivoirien en élaborant des curricula et des modules de formation de la lutte contre la corruption à l'école. En principe, pour cette nouvelle rentrée académique, à partir du 1er trimestre 2023, les premières écoles pilotes devraient recevoir les premiers enseignements. Mais l'expérimentation a déjà commencé dans les grandes écoles de formation des agents publics. L'ENA, depuis trois ans environ, reçoit déjà cette formation. L'Ecole nationale de formation judiciaire à travers ces deux écoles, l'Ecole de magistrature et l'Ecole des greffes, fait aussi l'expérimentation. Je reviens d'une formation la semaine dernière, à l'Institut national de formation judiciaire, où l'enseignement a été prodigué aux auditeurs de justice. Tout cela dans l'optique de leur donner les armes pour faire face à d'éventuels actes de corruption dans leur vie professionnelle.

Quelles sont les mesures à prendre en matière de prévention ?

Il y a plusieurs mesures en termes de prévention qui s'adressent à tous les acteurs impliqués dans la lutte contre la corruption. A savoir, l'Etat et ses démembrements ; le secteur privé ; la société civile, les médias et les partis politiques. Pour chaque acteur, il y a des mesures préventives. Quand vous prenez l'Etat, on lui demande de mettre de la transparence dans le recrutement des agents publics, de veiller à ce que la rémunération des agents publics soit en adéquation avec le coût de la vie. C'est-à-dire qu'il faut mettre les agents publics dans une situation normale où les ressources sont susceptibles de pouvoir permettre un minimum de bien-être social. Il faut que l'Etat et ses démembrements veillent à ce qu'il y ait des codes de conduite pour encadrer les comportements des agents dans les services. Il faut qu'il y ait des chartes d'éthique en termes de valeur. Il faut qu'il y ait des codes de déontologie pour dire comment la profession doit être exercée, comment le service public doit être rendu, etc. Mais cela ne suffit pas. Il faut pouvoir accompagner les agents, de façon régulière, à travers des séminaires, des formations pour expliquer le contenu de ces documents. Il faut aller à des petites notes pour expliquer, régulièrement, le comportement qu'ils doivent avoir dans l'exercice de leur fonction et organiser régulièrement des ateliers de formation pour renforcer leurs capacités sur les questions de probité et d'éthique. C'est important. Avoir des chartes d'éthique ne suffît pas, il faut les rendre opérationnelles sur le terrain. La troisième mesure qui incombe à l'Etat est de veiller à ce que les marchés publics soient transparents et se fassent régulièrement et que la concurrence joue sa pleine capacité, parce que l'Etat ne fonctionne avec le secteur privé que par la commande publique. Et la commande publique doit être encadrée car le principe des marchés publics c'est l'appel d'offre. Le gré à gré qui est permis par le code des marchés publics doit être l'exception.

L'Etat doit aussi veiller à la transparence dans les finances publiques. Sur ce plan, on enregistre beaucoup d'avancées. Nous avons le code de transparence, nous appliquons le budget programme, on est en train de passer à la comptabilité matière. Tout cela fait partie des recommandations en matière de transparence des finances publiques. L'Etat de Côte d'Ivoire connait beaucoup d'avancées mais il faut aller plus loin. Aujourd'hui on assiste au budget citoyen qu'il faut opérationnaliser. Il faut qu'à la base les populations se sentent impliquées dans l'élaboration du budget de l'Etat. C'est en ce moment qu'elles pourront exercer leur contrôle citoyen sur l'exécution du budget. Ensuite, vous avez toute la question liée au financement des partis politiques. Aujourd'hui nous avons une loi qui encadre le financement des partis politiques, parce que, malheureusement, le financement des partis politiques et les campagnes électorales peuvent être un terreau de la corruption. Aujourd'hui les fonds publics sont mis à la disposition des partis politiques. Il est normal que ces partis rendent compte. C'est une question de gouvernance. Et enfin vous avez l'accès à l'information. La Côte d'Ivoire est partie à l'Open Goverment Partenership (OGP) et dans ce cadre, c'est un principe de gouvernance, de transparence. Il faut que les populations aient accès à l'information parce que si vous n'avez pas accès à l'information, vous ne pouvez pas demander des comptes. Il faut rendre toutes les informations publiques accessibles au citoyen lambda. On a mis en place une commission qui fonctionne très bien. Vous verrez que de nombreuses plaintes ont trouvé réponse. Mais il faut qu'on aille beaucoup plus loin encore. Il faut rendre ces informations beaucoup plus digestes. Il faut qu'on simplifie le langage pour que les populations puissent comprendre ce langage. Cela aussi fait partie de l'obligation d'accès à l'information.

Concernant les mesures qui incombent au secteur privé, il faut que le secteur privé respecte les normes comptables, les normes d'audits et il faut qu'il y ait la transparence. Ce sont ces conditions qui permettent de vérifier la probité de ces entreprises. Il faut rappeler que selon la loi anti-corruption, les personnes morales sont responsables pénalement. Cela veut dire que si votre entreprise s'est rendue coupable d'un acte de corruption, vous pourrez subir la rigueur de la loi qui va jusqu'à la fermeture éventuelle de votre société avec la liquidation des biens. Mieux à l'international il y a des pays avec lesquels vous ne pouvez plus vous amuser. Que vous prenez la loi britannique anti-corruption ou même la loi américaine, vous ne pouvez pas vous permettre de contracter avec des sociétés anglaises ou américaines si vous n'avez pas mis, en votre sein, des règles anti-corruption. Il va peser sur vous des présomptions de corruption. Vous voyez que la nasse commence à se resserrer. Donc il est important pour nos entreprises de se conformer à ces choses-là. Il y a des règles au plan international, comme la norme ISO 37001 qui vient accompagner toutes ces entreprises et organismes pour les amener à avoir en leur sein toute une politique anti-corruption. Et enfin, il faut s'interdire d'aller au blanchiment d'argent. C'est une interdiction formelle. La loi sur le blanchiment des capitaux existe. Les entreprisses privées ne doivent pas mettre dans le circuit économique de l'argent illicite.

En termes de prévention, la société civile doit participer à la lutte contre la corruption en sensibilisant les différents acteurs. Elle doit surveiller l'état de la corruption. Elle doit pouvoir être capable de regarder la dynamique sociale au niveau de la corruption pour faire des enquêtes de sondage à son niveau, pour voir l'état de la corruption et faire des propositions au gouvernement pour faire évoluer les choses. La société civile est un acteur important dans la lutte contre la corruption parce qu'elle doit exercer son contrôle citoyen en matière de prévention et de lutte contre la corruption. C'est dans ce cadre que la HABG a initié, lors de ses campagnes, la création des comités locaux d'intégrité. Ces comités sont le regroupement de toutes les forces vives d'une localité. Leur rôle est de surveiller l'état de la corruption dans la localité. En face, nous avons mis en place, pour permettre à ces comités de fonctionner correctement, une plateforme anti-corruption qui regroupe toutes les administrations de la localité. Ce cadre d'échange entre les comités locaux d'intégrité et l'administration locale déconcentrée permettrait de discuter sur les questions de corruption et d'établir la confiance entre les populations et l'administration. A ce jour, on a installé 31 comités locaux d'intégrité et 29 plateformes.

Quel bilan faites-vous des activités de ces comités locales?

Depuis l'année dernière avec notre partenaire, la GIZ, la coopération allemande, nous avons lancé une étude pour évaluer l'impact des comités. Et les premières conclusions des rapports qui nous sont parvenues sont très positives. Les populations ont indiqué aux évaluateurs que la présence des comités d'intégrité a eu un véritable impact sur la corruption dans leur localité. Ici à la Haute Autorité, dans les plaintes et les dénonciations que nous avons reçues, nous avons des cas qui ont été remontés à ces comités. Et donc nous pensons qu'à priori la mise en place de ces comités d'intégrité est positive. Maintenant il nous faut les rendre autonomes.

Que prévoit la loi sur la protection des dénonciateurs ?

Dans la loi anti-corruption les personnes qui dénoncent sont protégées. La loi n°2018-570 du 13 juin 2018 est venue préciser la façon dont le dénonciateur doit être protégé. Ainsi, les dénonciateurs, les victimes, témoins et experts bénéficient d'une protection spéciale de l'Etat contre les actes éventuels de représailles ou d'intimidation. Cette loi met en place tout un programme dans lequel la personne à protéger peut être exfiltrée.

Est-ce qu'on a déjà eu un cas de protection ?

Non, pas à ma connaissance. Il existe un bureau au sein du ministère de la Justice, le bureau de protection de dénonciateur.

Quelles sont les peines encourues en cas d'acte de corruption ?

Les peines varient de 1 à 10 ans de prison. Pour certaines infractions, ce sont des retenues de salaires. Par exemple pour la déclaration des patrimoines, vous avez des peines de 6 mois de ce que vous aurez dû avoir comme rémunération. Au niveau de l'enrichissement illicite, la peine est assortie d'une amende qui équivaut à trois fois le montant dont vous vous êtes enrichi illicitement, en plus de la sanction qui est de 1 à 5 ans.

Concernant la déclaration des patrimoines, quel est le point à ce jour ?

La Haute Autorité enregistre près de 80 % des patrimoines déclarés. Le chiffre a tendance à stagner tout simplement parce que l'assiette des assujettis s'élargit régulièrement. Sinon on aurait atteint, depuis longtemps, les 95 % presque les 100 %. Les agents publics nationaux commencent à intégrer la déclaration des patrimoines dans leur quotidien.

 Pouvez-vous nous rappeler les missions de la Haute Autorité ?

La HABG est un organe administratif indépendant sous l'autorité du Président de la République. Elle a une autonomie financière et exerce son pouvoir sur l'ensemble du territoire national. Elle a 18 missions, au total, mais les principales sont de coordonner toutes les politiques anti-corruption de Côte d'Ivoire. La Haute Autorité est chargée d'élaborer la stratégie nationale de lutte contre la corruption ; de sensibiliser les populations et les éduquer sur les conséquences de la corruption ; de recueillir les déclarations de patrimoine ; et d'initier des poursuites et les transmettre au procureur de la République. Il est important de préciser que la Haute Autorité n'est pas un organe juridictionnel. Elle ne peut pas attraper les gens et les mettre en prison. La Haute Autorité ne fait que dire que tel acte est susceptible ou non d'être un acte de corruption ou d'être ou non une infraction assimilée. Tout le volet répression pénale est entre les mains du système judiciaire. Le procès qui est fait à la Haute Autorité est un procès vain.

Comment saisit-on la Haute Autorité ?

On saisit la Haute Autorité par deux moyens. Une saisie par plainte adressée directement au président. Et à travers notre plate-forme des recueils de dénonciations aux numéros 800 800 11, qui existe depuis 2015. Aujourd'hui nous sommes en train d'aller à une plate-forme multi canal qui va nous permettre de gérer un pan important de la dénonciation qui est l'anonymat et qui permet de traiter en interne toutes les dénonciations.

Quelle est la procédure lorsque la Haute Autorité reçoit une plainte ?

La procédure lorsque la Haute Autorité reçoit une plainte est la suivante. La direction des investigations prépare le dossier et le met à la disposition des membres du Conseil pour s'assurer que les faits qui sont dénoncés représentent ou pas des actes de corruption. C'est ce Conseil de 10 membres plus le président qui va décider, si oui ou non il s'agit bien d'un acte de corruption. Une fois que cela est acté, la Haute Autorité peut décider d'ouvrir une enquête et le procureur est, immédiatement, informé, puisque c'est lui qui est le chef des poursuites. Si les éléments d'enquête démontrent qu'il y a des actes de corruption, le dossier est ramené au Conseil qui va décider qu'il y a acte de corruption ou non. Mais quelle que soit l'issue, si on décide que c'est un acte de corruption on informe le procureur et on lui transmet, et si on estime que les actes ne sont pas constitutifs, on informe également le procureur et on lui dit pourquoi.

Dans ce cas, la Haute Autorité classe le dossier. Et la responsabilité de la Haute Autorité s'arrête à ce niveau. Mais le procureur de la République n'est pas tenu de nous suivre. A son niveau, il peut ouvrir une autre enquête pour s'en assurer. Une fois que nous avons transmis, nous ne pouvons même pas demander quoi que ce soit. La seule possibilité, c'est celle qui est offerte à la société civile de se porter partie civile mais il y a des conditions. L'article 88 de l'Ordonnance 2013-660 indique que toute association régulièrement déclarée depuis plus de 5 ans, qui se propose dans ses statuts de lutter contre la corruption, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions traduisant un manquement au devoir de probité prévue par la présente loi. Voici la condition. Donc les populations qui se sentent lésées peuvent saisir les organisations de la société civile qui ont déjà une certaine maturité pour qu'ensemble elles puissent se porter partie civile.

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