Ile Maurice: Pour que triomphe la crédibilité

L'actualité a, par définition, besoin de privilégier la "dernière nouvelle", le tout frais, le saignant. Invariablement, elle déplace et évacue ce qui occupait l'actualité d'hier et encore plus l'actualité du mois dernier, quelle que soit l'importance relative de tous ces sujets d'actualité.

C'est ainsi que, sans surprise, c'est l'arrestation fracassante de Mᵉ Akil Bissessur qui domine l'actualité de la semaine ayant déplacé, comme par un coup de baguette magique, Sniffgate et encore plus, Molnupiravir, Kistnen, Angus Road, Pack n Blister, vidéos de violences policières ou Saint-Louis Gate, entre autres !

Deux faits méritent ici d'être soulignés.

Le premier, c'est combien la réputation d'un individu est importante et facilement détruite. Encore plus depuis l'avènement de l'internet, et plus encore depuis que les réseaux sociaux se sont installés dans nos moeurs. Car grâce à ces technologies tant populaires qu'envahissantes, chacun y va, aujourd'hui, de son petit couplet, étale son opinion, choisit "ses" faits d'enquête, crache ses a priori, ses préjugés, voire son parti pris, façonnant ainsi une image globale qui va inévitablement coller, quel que soit le dénouement éventuel. Je suis passé par là et je peux en témoigner. La casse est importante et elle est inacceptable quand causée par des arrestations et des charges provisoires intempestives, irréfléchies ou imprudentes.

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Mᵉ Akil Bissessur a été apparemment arrêté après des semaines de filature et une descente des lieux musclée chez sa compagne et les premiers éléments, dont la vidéo montrant Mᵉ Bissessur disparaissant du salon avec un sac, malgré les sommations policières et le rapport du Forensic Science Laboratory (FSL), n'augurent rien de bon pour Bissessur, encore que dans un pays de droit, il est présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit jugé coupable, pas par vous et moi, ni par les policiers non plus, mais par qui de droit !

Deuxièmement, on ne peut éviter de souligner l'existence d'une première vague extrêmement forte de scepticisme sur cette arrestation, doublée d'accusations convaincues que la police avait "planté" de la drogue chez Mᵉ Bissessur. Il faut reconnaître que les fondements de cette réaction proviennent d'une image passablement dégradée de l'impartialité de la police qui découle elle-même d'une tendance soutenue d'arrestation d'opposants et d'emmerdeurs, mais généralement pas de ceux qui règnent ou qui sont bien connectés avec les princes du jour !

J'aurais, à ce sujet, tellement aimé avoir tort et la police elle-même est en "pole position" pour établir les faits, mais le point est que une fois l'image de neutralité d'une institution d'État mise à mal, le doute s'installe, ce qui alimente inévitablement des idées de complot ou de conspiration.

Les gouvernements ont, au cours des décades passées (et ce gouvernement actuel plus que d'autres), choisi la voie de la facilité et de leur confort politique en privilégiant le noyautage systématique des institutions de l'État supposées être, indépendantes, neutres et équitables. Ces gouvernements, qui confondent systématiquement leurs devoirs étatiques visà- vis de la nation avec leurs privilèges politiques en faveur d'eux-mêmes ou de leur parti, sont les vrais bourreaux de la circonstance.

Ils ont systématiquement laissé se créer l'image que la police, l'ICAC, la BoM, la MBC, le speaker, la MRA, l'ICTA et maintenant même l'ESC sont d'abord redevables au pouvoir exécutif, avant de l'être à la nation. La conséquence de cette démonétisation des institutions supposées être non partisanes est que le cancer du doute est partout et que le manque de confiance s'incruste.

À titre d'exemple et à la suite d'une série de nominations partisanes, la seule manière de crédibiliser le travail de l'Electoral Supervisory Commission serait-elle maintenant que le MSM perde les prochaines élections ?

Finalement, des questions. De nombreux échanges semblent avoir eu lieu sur la présence ou non d'un mandat de perquisition. S'il existe, pourquoi ne pourrait-il pas "fuiter" comme la vidéo de Mᵉ Bissessur, en caleçon, dans son salon, aux côtés des 11 vidéos CCTV "as is", plutôt qu'éditées ? Mieux encore, pourquoi tout cela ne pourrait-il pas être "unsealed" par un magistrat, en compagnie du relevé de ce qui a été saisi lors de la perquisition ; à l'image de ce qui a été fait par Merritt Garland, l'Attorney General américain, dans le sillage de la descente des lieux chez Donald Trump à Mar-a-Lago ?

Ça fait civilisé, vous savez ! Et ça aide à crédibiliser, si ça vous intéresse...

Quant à la requête de Rama Valayden de faire des relevés d'empreintes et d'ADN sur les sachets contenant les 52 grammes de drogue saisis chez la compagne de Mᵉ Bissessur (ces sachets sont-ils au FSL ?), cela me paraît éminemment raisonnable. Même déterminant ! Refuser de le faire en rajouterait encore au doute...

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Elle se nomme Droupadi Murmu et elle fait partie des Santal, l'un des plus importants groupes tribaux de l'Inde. Ces groupes, au nombre de 744 au total, représentent 8,6 % de la population indienne et sont reconnus par la Constitution comme "socialement et économiquement désavantagés" (*) et bénéficient donc de discrimination positive.

Madame Murmu fit carrière dans le service civil, dans le professorat et dans la politique. Rendue inconsolable pour un temps après 2009 où elle perdait d'abord un fils, puis un second, ainsi que son époux, elle remettait sa vie au service des autres en devenant, en 2015, gouverneur de l'État du Jharkhand. Elle occupait ce poste six ans durant et elle y laissait une empreinte indélébile d'accessibilité à la population et de non conformisme par rapport aux normes protocolaires, quand elle considérait son intervention urgente et nécessaire.

Coïncidant avec le 75ᵉ anniversaire de l'Inde, elle vient d'être élue à la présidence de cette république. Sa nomination, à un moment où les clivages ethniques, religieux et partisans se font plus prononcés, est un véritable symbole d'unité nationale et de méritocratie personnelle.

Comme pour y faire écho, de l'autre côté de la planète, au Canada, le président Trudeau nommait Michelle O'Bonsawin à la Cour suprême du pays. Une Abenaki de la tribu des Odanak, elle devient ainsi le premier citoyen canadien d'origine indigène (first nation) à rejoindre la Cour suprême.

Ce qui me frappe dans les deux cas, c'est que le mérite a primé. Qu'elles soient femmes ne m'étonne pas, mais reste d'intérêt périphérique.

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Lors de la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition le 23 août dernier, une initiative m'a particulièrement marqué. Symboliquement, les organisateurs ont demandé à tous les invités d'enlever leurs chaussures avant d'observer une minute de silence à la mémoire de ceux qui auront perdu la vie à cause de l'esclavage. Le geste est utile et crédible, parce que ce qui dérange, marque les esprits ! Si ce n'était l'hiver, on aurait pu insister pour les chaussettes aussi d'ailleurs, ce qui aurait eu le mérite de rapprocher encore plus les invités des esclaves (**) qui n'avaient pas encore chaussé les "souliers de (leur) liberté" et qui étaient donc encore... pieds nus.

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Si les analyses d'échantillons de drogue par le FSL peuvent prendre "moins de 24 heures" (voir l'express du 26 août), on pense tout de suite à Vinesh Reetun arrêté en mai 2018 pour trafic de drogue, battu en prison pour avouer et qui, surprise, fut relâché en avril 2022, soit ... 47 mois plus tard, au motif que le rapport du FSL avait conclu que l'échantillon remis par l'ADSU, n'était PAS de la drogue (***) ! Si ce n'est pas le FSL qui avait pris du retard, qui alors ? Notons que libéré, M. Reetun fut arrêté à nouveau le même jour pour le même délit !

Et n'oublions pas, non plus, cet élève de Curtin University, Shah Baaz Choomka, arrêté le 13 juin 2020, qui a passé 467 jours en prison, apparemment tabassé aussi pour des aveux selon lesquels c'était lui le propriétaire des colis retrouvés dans le sac à main d'une dame avec qui il était, dans une chambre de pensionnat. Le rapport du FSL, disponible après 467 jours, concluait que les colis ne contenaient pas de drogue...

Qui sont-ils qui jouent leur crédibilité ici ?

(*) En outre, la Constitution de l'Inde reconnaît aussi une liste de castes désavantagées. Elles sont 1 108 castes différentes, représentant 18,6 % de la population. Les castes et tribus reconnues par la Constitution bénéficient de discrimination positive garantissant leur représentation au niveau politique, des quotas dans les universités, des préférences dans les promotions, des bourses d'études, des accès au système bancaire, etc. Et nos désavantagés à nous, on y pense ?

(**) Le père Alain Romaine (qui a publié Les souliers de l'abolition en 2007) fait bien d'insister sur le mot "esclavé" qui souligne bien que cette situation était imposée de force.

(***) https://www.lexpress.mu/article/409477/affaire-vinesh-reetun-fsl-conclut-que-substance-netait-pas-drogue

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