Afrique: Les piqûres de moustiques en journée entravent la prévention du paludisme

7 Septembre 2022

Dakar — Une étude menée par des chercheurs de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et de l'Institut Pasteur de Bangui (République centrafricaine) a démontré que les piqûres de moustiques au vecteurs du paludisme cours de la journée dépassent les estimations connues jusque-là.

" A Bangui, environ 22% des piqûres de moustique, parmi lesquelles environs 3 à 4% peuvent être infectantes, peuvent survenir dans la journée. En d'autres termes, en moyenne une piqûre infectante se produit dans la journée ", témoigne Diego Ayala, chercheur à l'unité de recherche sur les maladies infectieuses et leurs vecteurs (MIVEGEC[1]) à l'université de Montpellier (France) et un des auteurs de ladite étude.

" Cela voudrait dire qu'en moyenne une piqûre infectante se produit dans la journée toutes les semaines au cours d'une année ", explique le chercheur.

Pour arriver à ces conclusions, " les chercheurs ont modélisé les événements de piqûre à l'aide de statistiques circulaires, aussi appelées directionnelles. Cette méthode permet de mieux appréhender la périodicité des piqûres afin d'évaluer les modèles journaliers complets du rythme des piqûres de moustiques dans un environnement urbain ", peut-on lire dans un communiqué de presse produit par l'IRD sur cette étude.

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Certes, les résultats de ces travaux suggèrent que la majorité des piqûres ont lieu à l'intérieur, entre le crépuscule et l'aube. Toutefois, leurs auteurs ont constaté qu'environ 20 à 30 % des piqûres de moustiques se produisaient à l'intérieur pendant la journée.

" Ce qui suggère qu'une proportion importante de moustiques peut se nourrir lorsque les gens sont peu protégés, échappant ainsi aux interventions de lutte contre le paludisme ", relève l'institution dans son communiqué.

" Il est possible que les piqures diurnes contribuent à réduire l'efficacité des moustiquaires imprégnées, mais pour l'instant ce phénomène n'a été observé qu'à Bangui à défaut d'avoir cherché à le mettre en évidence ailleurs. Il y a cependant quelques évidences que le même phénomène pourrait exister ailleurs en Afrique, et notamment au Sénégal et au Bénin ", analyse Diego Ayala dans un entretien avec SciDev.Net.

Pour les auteurs de cette étude, d'autres recherches sont donc nécessaires pour avoir une vision plus globale de l'impact de ce phénomène à l'échelle continentale.

Taux d'infection

En attendant, il a été mis en évidence dans l'étude menée à Bangui que le taux d'infection des moustiques qui piquent en journée est le même que celui des moustiques qui piquent dans la nuit.

Il est donc possible qu'une part importante de la transmission se passe dans la journée, échappant ainsi aux moyens mis en œuvre pour l'empêcher, notamment les moustiquaires imprégnées.

A en croire le coauteur Diego Ayala, " d'autres comportements des moustiques qui leur permettent d'être moins exposés aux moustiquaires imprégnées, tel par exemple le fait de piquer à l'extérieur des maisons, peuvent aussi contribuer à inhiber les efforts d'éradication du paludisme ".Pour les programmes de lutte contre le paludisme, les révélations de cette étude lèvent le voile sur une nouvelle réalité qui les oblige à se remettre en question.

" Les données dont on disposait jusque-là nous disaient que les moustiques ne commençaient à piquer qu'au crépuscule. Les conclusions de cette étude nous obligent à réajuster notre stratégie et à recourir à des méthodes de prévention autres que l'utilisation des moustiquaires imprégnées ", estime Doudou Sène, coordonnateur du Programme national de lutte contre le paludisme au Sénégal.

Du point de vue de ce dernier, l'une des premières démarches à mener serait de refaire le plaidoyer en se basant sur cette étude afin de solliciter le renforcement de l'accompagnement de nos partenaires et de l'Etat du Sénégal, dans la mise en œuvre des aspersions intra-domiciliaires qui nécessitent un budget conséquent.

Doudou Sène confie à SciDev.Net que ce plaidoyer viendrait alors s'ajouter à d'autres modes de prévention de la maladie en cours d'implémentation dans le pays.

" Nous expérimentons actuellement d'autres méthodes répulsives telles que des bornes, les bracelets et les pommades antimoustiques. On devra envisager d'accélérer la mise en œuvre de ces méthodes au vu de cette étude ", dit-il.

Sensibilisation

L'intéressé ajoute que la sensibilisation doit aussi être renforcée pour appeler les populations qui sont exposées à des piqures diurnes de moustique, à prendre des précautions pour se protéger.

" Cette étude nous oblige à trouver des stratégies complémentaires pour atteindre notre objectif d'éradication du paludisme ", conclut le Doudou Sène.Mais, pour l'heure, les acteurs s'accordent pour dire que l'outil incontournable le plus efficace pour lutter contre la transmission du paludisme reste les moustiquaires imprégnées d'insecticides.

Pendant ce temps, les chercheurs manifestent le désir d'étudier l'exposition aux piqûres diurnes dans des endroits où les personnes, et notamment les enfants, passent la plupart de leur temps dans la journée, comme par exemple dans les écoles ; car il y a un manque de données à ce propos.

De telles études devront servir à établir le rôle que les piqûres diurnes pourraient avoir dans le maintien de la transmission en dépit de l'utilisation massive des moustiquaires imprégnées, afin de prendre des mesures appropriées.

Références

[1] Maladies Infectieuses et Vecteurs : Écologie, Génétique, Évolution et Contrôle

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