Coup de tonnerre en plein nganda-bar de notre quartier d'en-bas. Le gérant est dans tous ses états, et il a sonné l'hallali de tous les compagnons de route et de lutte, parmi lesquels les collègues ambianceurs. Ce gérant, bluffeur comme d'habitude, a écrit sur l'invitation affichée sur le comptoir que " vu la pression de l'actualité brûlante, vu l'urgence et la nécessité, l'ordre du jour sera communiqué sur place, à l'endroit habituel, à l'heure habituelle".
Ce n'était un secret pour personne, surtout pas pour les cuiteurs, concernant l' " endroit habituel ". Mais, le mystère sur l' " ordre du jour " avait de quoi surprendre : un nganda-bar n'est pas le lieu indiqué pour des messes basses...
Et pourtant, pour moi, entre d'une part, la corvée professionnelle et matinale au volant de la voiture ministérielle ; et d'autre part la curiosité d'un rendez-vous au nganda-bar, j'ai choisi ce dernier. Pour une fois, j'ai privilégié le gérant plutôt que mon Ministre d'Etat. J'ai donc fait, comme dit un jargon de chauffeur, j'ai fait ... route buissonnière.
L'ironie du sort a voulu qu'en pénétrant dans le nganda-bar à l'heure du rendez-vous, j'ai croisé entre autres cuiteurs, l'un parmi les plus familiers : un agent de la MONUSCO, un ressortissant sahélien, en permission et en civil. Le quorum atteint, le gérant a ouvert la séance ; il a branché son enregistreur et les amplificateurs. A notre grande surprise, l'audition nous a révélé un message cinglant : il s'agissait de la voix du Secrétaire général de l'ONU, Mr Antonio Guteres ; ce dernier, " Cassandre " (comme l'a surnommé mon Ministre d'Etat), y faisait publiquement le deuil des forces onusiennes au Congo, soldats d'opérette devant, d'après lui, l' Armada des rebelles à l'Est. Surprise et colère des clients du nganda-bar. Le gérant cherchait-il un bouc émissaire, il l'a trouvé facilement : c'était l'agent de la MONUSCO, l'agent " monuscovite ", comme nous l'appelions. Quelle tête de mort, pauvre agent monuscovite, après la sortie fracassante du patron des Nations-Unies ! Le gérant lui, ne lâchait pas sa proie. L'objet de la rencontre s'est transformé en réquisitoire contre le pauvre " représentant " monuscovite, pourtant adepte adopté au nganda-bar.
Gérant : " Toi, Monuscovite, que penses-tu des propos défaitistes de ton Chef Suprême, Guteres, " Gouterrestres " ?
Agent monuscovite : " Moi pas savoir. Moi pas savoir ce monsieur-là ".
Gérant : " Faux ! C'est ton patron. Lui ou toi, c'est pareil pour nous. Lui a parlé en ton nom : il dit que la Monusco est une armée naine, muette face à des rebelles renégats. Une naine, une muette qui coûte cher, très cher. Ce sont des propos de démission ; c'est ta démission aussi "
Agent monuscovite : " Moi amoureux du Congo, moi épousé Congolaise, épousé Kinoise.Ah ! Congo-Eloko-Makasi ! (Ah Congo-Métal- Inoxydable !). Ah ! Kin-Bopeto, Kin-Femme-Bio !Ah ! Kin-Kiesse ! Moi aime à mort Congo. Moi, votre beau-frère. Moi venir au Congo pour paix".
Gérant : " Assez de tes beaufréries ; assez de ta paix de sang. Tu as trahi le pays-beau-frère. Dégage ! ".
... La palabre prenait une tournure incendiaire. Comme alcool sur le feu. Je me suis interposé, en partie en solidarité avec le collègue chauffeur, en partie avec un beau-frère, en partie avec un agent innocent, en partie avec un ami cuiteur.
... Mais avant de conclure, j'ai tenu à rappeler à notre assemblée ce qu'à ce propos, mon Ministre d'Etat a toujours dit, à savoir que " la faute n'était pas à autrui, à quelque bouc émissaire ; mais à nous -mêmes d'abord, le maillon faible ".