Sénégal: Alain Devalpo, auteur d'un documentaire sur le Joola - " Il fallait donner une dimension universelle à une histoire particulière "

29 Septembre 2022
interview

Journaliste indépendant, auteur, documentariste, Alain Devalpo a travaillé sur plusieurs continents pour de nombreux médias francophones. Depuis quelques années, il s'investit dans le domaine de l'éducation aux médias et à l'information en développant le projet Globe Reporters. Il est l'auteur du documentaire " Souvenons-nous du Joola ", réalisé pour France Culture et diffusé en 2012.

Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur le sujet du naufrage du bateau " Le Joola " ?

J'entre dans le monde du journalisme au milieu des années 1990. Correspondant en Amérique latine pour Radio France internationale, je m'intéresse alors aux questions d'actualité. Quand je croise l'histoire du naufrage du " Joola " en 2011, mon travail de journaliste a évolué vers le documentaire radiophonique. Je suis désormais producteur indépendant pour France Culture, la radio du documentaire en France. Il y a une grande différence entre un reportage et un documentaire. Lors d'un reportage, le journaliste décrit des faits qu'il contextualise. Le documentariste est un auteur. Il met en scène le réel. Il a plus de libertés que le journaliste qui doit respecter une déontologie.

En 2011, je suis en Casamance et je comprends l'importance que représente l'histoire du " Joola " pour cette région. J'apprends qu'un Français, survivant du drame, Patrice Auvray, vit à Kafountine. Lors de notre rencontre, Patrice me raconte qu'il vient de terminer le manuscrit du drame. Un récit qui a demandé de longues années d'écriture. J'ai le privilège de lire la liasse de feuilles de ce qui deviendra le livre " Souviens-toi du Joola " aux éditions Babelio. Dans ma case, je suis sidéré par ce texte qui me fait revivre la nuit du drame, mais aussi les jours, les semaines et les mois qui ont suivi. Le projet de réaliser un documentaire s'impose.

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En quoi consistait votre travail ?

Réaliser un documentaire est un travail de longue haleine. De retour à Paris, je dois convaincre France Culture de l'intérêt du projet. Et c'est grâce à Irène Omelianenko que le projet a pu être monté et le financement réuni. J'obtiens aussi une bourse de la Scam, la Société civile des auteurs multimédia. Le cout d'un documentaire radiophonique est moindre qu'un travail filmé, mais il faut tout de même financer le déplacement d'une équipe et la postproduction qui prend plusieurs semaines.

Ceci fait, je réfléchis à la manière de mettre en sons cette histoire. Je ne veux pas raconter ce voyage fatal au passé, car il est encore trop vivant dans le cœur des personnes croisées. J'imagine un dispositif en plusieurs volets. Les deux premiers sont consacrés au naufrage. Le premier raconte le drame par celles et ceux qui sont montés sur le bateau. Le second raconte la douleur des familles qui attendent leurs proches. Tout est raconté au présent. Ce qui plonge l'auditeur dans l'histoire malgré lui. Cela grâce au beau montage du réalisateur Jean-Philippe Navarre.

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans ce drame ?

Un travail documentaire a pour objectif de donner une dimension universelle à une histoire particulière. Le dernier volet est consacré à ce qu'on appelle les drames collectifs comme par exemple des accidents d'avion. En réalisant les interviews, je me rends compte que la dynamique est la même. Ce que vivent les familles des victimes du " Joola " est très similaire, par exemple, au vécu des familles des passagers de l'avion d'Air France qui a disparu au large du Brésil en 2009. Je découvre qu'en France, la mobilisation des familles des victimes a permis la mise en place de dispositifs d'accompagnement. Il existe notamment la Fédération des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (Fenvac). Ce n'est pas parfait, mais en 2012, cela n'existe nulle part ailleurs. Et j'imagine que les choses ont évolué avec les attentats de 2015.

Comment jugez-vous la couverture, par la presse occidentale, du naufrage ayant fait plus de victimes que le Titanic ?

Je fais mon travail le plus honnêtement possible. Je ne me permets pas de juger le travail des autres.

Vingt ans après, que vous reste-t-il du naufrage du Joola ?

Depuis, j'ai croisé beaucoup d'autres histoires et je me suis éloigné de la Casamance puisque je vis aujourd'hui à Montréal, au Canada. Cependant, à titre personnel, " Souvenons-nous du Joola " reste une aventure très émouvante qui est ancrée en moi. Je suis redevable à toutes les personnes qui m'ont fait confiance et qui m'ont aidé. J'ai la satisfaction que " Souvenons-nous du Joola " a été apprécié, aussi bien en France qu'au Sénégal. De son côté, le documentaire a décroché deux prix en 2013 : le prix de la Scam et le prix Italia. Je sais aussi que pour beaucoup de documentaristes radio " Souvenons-nous du Joola " est devenu une référence. Il est toujours possible d'écouter ce travail sur le site de France Culture.

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