Madagascar: Fascène - L'itinéraire d'un personnage oublié

Qui ne connaît pas l'aéroport international de Nosy-Be ? Pourtant, la plupart des résidents ne connaissent pas l´origine de son nom.

Selon la tradition orale, Fascène était un homme ayant marqué l'histoire de la région Nord-Ouest de Madagascar. Traversant le Canal de Mozambique, il débarque sur la plage de l'île aux Parfums, après avoir pris un chemin assez agité en suivant la cadence de la mer. Issus d'une famille de la petite bourgeoisie, lui et ses frères se lancent dans une carrière très lucrative, le trafic d'esclaves sur la corne de l'Afrique, notamment en Ethiopie. Dès lors, ils voient leurs bourses remplis de piastres. Mais malheureusement pour eux, l'empire change de main. Théodore II monte sur le trône et dirige l'Abyssinie en mai 1859. Le Négus s'attaque aux marchands d'esclaves. En effet, cette situation inquiète les trois frères. Ils emballent leurs lourds bagages, prennent un voilier pour voguer au gré du vent. Le boutre hisse ses voiles et longe le Canal de Mozambique. Après quelques mois, les matelots jettent l'ancre près de l'archipel des Comores. Les trois messieurs descendent du bateau en espérant reprendre leur activité. En y séjournant, ils s'aperçoivent qu'ils ne peuvent pas réaliser grand-chose dans un pays, selon eux, morose. En cherchant de quoi remplir leurs poches, ils entendent parler d'une île prospère dirigée par une femme. Rumeur ou réalité, la curiosité les pousse à mettre le cap sur Nosy-Be. Dans le boutre, Ahmad Fascène et sa fratrie se déguisent en prince. Une astuce très fréquente à l'époque, afin de surprendre la population et d'être reçus comme il se doit par les gouvernants d'un pays. C'est ce qu'il s'est passé pour ces exilés. À beau mentir qui vient de loin. Ils arrivent chez les Sakalava Bemihisatra honneurs usurpés accrochés à la poitrine, rencontrent la reine Safy Mozongo. Leur maîtrise de la langue Swahili impressionne la souveraine. Le voyage en mer leur a sûrement permis de faire un bain linguistique, et de connaître surtout la tendance économique des pays riverains du Canal de Mozambique. Sans hésiter, la reine leur confie des responsabilités. Il faut absolument travailler avec ces étrangers car le royaume a besoin de conseillers, le but est de faire fleurir Nosy-Be. Alors, les frères obtiennent des terrains cultivables. Ce cadeau offert sur un plateau d'argent ne satisfait pas l'aîné. Nostalgique, Fascène veut exercer son ancien métier. Donc, il essaie de convaincre la reine de trafiquer les esclaves d'une manière tacite. Après mûre réflexion, celle-ci accepte et fixe une condition : sa part du marché. C'est ainsi que l'Ile aux Parfums devient la grande réserve de la traite négrière.

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Le cachot

Son travail rapporte beaucoup. Le royaume monte en puissance. Les collectes sont satisfaisantes. Amhad Fascène devient une personnalité influente, voire une élite économique redoutable. Bien qu'il soit au sommet de sa gloire, son ambition le pousse à faire la cour à la fille d'un noble. Eloquent, il arrive à séduire la jeune femme. Cette dernière tombe enceinte. Cela irrite les autorités traditionnelles. L'homme à qui le royaume faisait confiance a entretenu une relation intime avec l'une des membres de la noblesse sans verser la dot. Déshonorés, les aristocrates trouvent un argument de poids pour emprisonner l'une des personnalités qui a rendu le royaume florissant. Donc, le trafic servait d'alibi solide. En prison, il n'a plus que ses yeux pour pleurer.

La douloureuse séparation

L'emprisonnement du frère aîné provoque un sentiment amer de découragement au sein de la fratrie. Rester à Nosy-Be est trop dangereux. Alors, c'est avec le cœur plein de haine et de peur qu'ils quittent le pays des Bemihisatra et partent vers le Nord, en laissant derrière eux leurs richesses. En arrivant sur le sol diegolais, ils se marient à des femmes de la région, engendrent deux grandes familles, et renoncent à leur ancienne activité.

Fugitif anobli

Il a fallu attendre le règne de Binao en 1879 pour que Ahmad Fascène soit libéré de ses chaînes. Pauvre, affaibli et amaigri, il rejoint sa famille, il se fait anoblir. Les vastes terrains lui sont attribués. Mais, les rides tracées par la prison ne lui permettent plus d'assurer ses fonctions. Il meurt en 1895, à la veille de la colonisation de Madagascar.

Ahmad Fascène laisse un immense périmètre de terrain, devenu un quartier portant son nom. Légende urbaine pour les uns, mythe pour les autres, son histoire est matérialisée par l'aéroport international de Nosy-Be... Actuellement, des descendants s'éveillent, remettent sur la table le récit du personnage. Classée dans une vieille mémoire, " l'histoire de nos ancêtres doit être connue par la jeune génération ", a avancé Finty, un des descendants des frères d'Ahmad Fascène. Traumatisés par les persécutions depuis l'Ethiopie, ils ont implicitement narré leur long trajet périlleux malgré les questions posées par leurs enfants. Sans pièces justificatives ni papiers administratifs, leur patronyme ne figure pas sur les actes de naissance de leur génération. " Suite à la persécution, pour protéger leurs familles les frères d'Ahmad Fascène laissaient à leurs femmes le droit de donner leur nom à leurs enfants. Une pratique matriarcale ", a encore ajouté Finty. Les progénitures de ces fugitifs d'Ethiopie demeurent les seuls détenteurs de l'histoire. La lignée généalogique entretient toujours la mémoire, et espère qu'un jour les traces soient découvertes afin qu'elle puisse fournir davantage de preuves pour la population de la région septentrionale de la Grande-Ile.

Cet article est le fruit d'une confrontation de l'oralité et l'histoire de Nosy-Be, des recherches sont en cours. Un autre épisode paraîtra une fois que les énigmes seront décelées.

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