Tchad: " Il s'agit surtout d'une répression de trop", Isidore Ngueuleu ( Conseiller à l'OMCT))

Manifestations à Ndjamena
27 Octobre 2022
interview

Pour faire la lumière sur les violences du 20 octobre au Tchad, l'Organisation mondiale contre la torture, demande l'ouverture d'une enquête indépendante.

Au Tchad, les manifestations du 20 octobre ont été réprimées dans le sang.

Officiellement, cette répression a fait une cinquantaine de morts et de plus de 300 blessés. Un bilan qui pourrait être plus lourd.

Des ONG de défense des droits de l'homme avancent le chiffre de plus de 80 morts et l'opposition estime que le bilan pourrait même s'approcher de 200 morts.

Isidore Ngueuleu, conseiller principal pour l'Afrique à l'Organisation mondiale contre la torture, a été joint par la DW.

DW : Comment réagissez-vous à la répression du 20 octobre au Tchad ?

La situation va au-delà d'un seul jour et la situation reste très tendue. Les forces de sécurité dans la ville de N'Djamena, mais aussi dans la ville de Moundou, restent très actives et continuent d'arrêter des gens. Beaucoup de personnes, de familles, auxquelles nous avons parlées, auxquelles j'ai parlées, moi personnellement, sont à la recherche de leur enfant. Une famille qui est à la recherche de son enfant de quinze ans qui a été arrêté, détenu dans le commissariat du troisième arrondissement. La famille a pu rendre visite à son enfant les deux premiers jours de son arrestation et le troisième jour, il n'y était plus. Nous pensons qu'il ne s'agit pas d'une répression sanglante de plus, comme c'est la coutume au Tchad. Il s'agit surtout d'une répression de trop. Il s'agit surtout d'un signal fort que pour se maintenir au pouvoir et pour rester deux ans de plus et certainement se représenter aux élections, le gouvernement militaire de transition actuel, est prêt à faire un recours excessif à la force, à violer gravement les droits de l'homme au mépris de ses engagements internationaux. Et c'est quelque chose qui nous préoccupe terriblement.

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DW : Qu'est-ce que vous entendez faire au plan judiciaire pour que réparation soit faite à toutes les victimes?

Nous avons déjà saisi quatre rapporteurs spéciaux des Nations unies, dont le Rapporteur spécial sur la torture, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires. Donc, nous avons eu des retours du Rapporteur spécial sur la torture et le Rapporteur spécial sur la liberté de manifestation, qui se sont déjà saisis de ces questions et qui ont exigé des réponses sur tous les événements que je viens de décrire. Nous comptons saisir la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples pour lui demander, elle aussi, de déployer dans le pays une mission d'investigation et de documentation de toutes les exactions et de toutes ces allégations que je viens d'énumérer. Nous espérons que la Commission africaine qui est actuellement en session, va aller au-delà d'une simple condamnation. Il ne s'agit pas que d'un fait banal. Il ne s'agit pas d'un fait isolé. Il s'agit bien d'une pratique d'Etat, une pratique de la violence d'Etat. Nous comptons continuer à documenter les violations parce que chaque jour, nous avons des familles qui viennent vers nous. Chaque jour, nous avons de nouvelles allégations et nous sommes prêts à saisir toutes les instances au niveau régional et international.

DW : Vous avez établi votre propre bilan à l'OMCT, qui est différent de celui des autorités.

C'est un bilan provisoire (plus de 80 morts). La documentation des faits en ce moment est très difficile. La situation est très tendue. Beaucoup de gens ont peur de venir relater ce qui leur est arrivé ou arrivé aux membres de leur famille. La connexion internet a été interrompue dans plusieurs villes et dans plusieurs quartiers de N'Djamena, de Moundou. C'est très difficile à documenter, mais ce que nous avons pu avoir maintenant, ce sont les éléments que nous avons pu avoir en nous rendant dans les morgues, les hôpitaux et les centres de santé. Ce sont les éléments que nous avons pu avoir en parlant avec les membres des familles.

DW :Comment vous expliquez la persistance de la violence d'Etat au Tchad contre les manifestants, contre l'opposition?

Il faut savoir qu'au Tchad, la contestation au cours des dix, vingt dernières années a toujours été militaire, par des groupes armés, des rebellions et depuis presque cinq ans, il y a un volet civil et pacifique de cette contestation. Alors l'Etat ne s'est pas habitué à respecter ces droits. Il y a donc eu un recours systématique à la violence. Donc, la pratique de la violence armée contre les manifestations pacifiques n'est pas nouvelle. Il faut regarder les dernières années. Même pendant le règne du défunt président Idriss Déby, les manifestations publiques pacifiques étaient réprimées par le recours aux armes létales. Donc, c'est une pratique d'Etat qui n'est pas nouvelle. Ça rappelle les heures sombres de la dictature tchadienne, les heures de Hissène Habré où des gens étaient arrêtés et déportés dans des prisons de haute sécurité, hors de la ville, dans le désert. C'est une pratique de conservation du pouvoir qui mobilise toutes formes de violence, y compris celles qui sont extrêmes. Ce qui est important maintenant, c'est que lorsque des droits de l'homme sont violés à une certaine échelle, oui, il faut faire des pourparlers. Oui, il faut apaiser. Mais surtout, il faut rendre compte. Il faut rendre justice parce que les Etats prennent des engagements au niveau international pour la protection des droits de leurs ressortissants. Et c'est ce à quoi nous invitons les autorités du Tchad, mais aussi les partenaires du Tchad d'abord au niveau africain. Donc, nous interpellons ici l'Union africaine, nous interpellons les différents partenaires du Tchad à l'international à prendre leurs responsabilités pour que les droits de l'homme soient respectés. C'est une priorité et cela va au-delà des condamnations.

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