Afrique: Nathacha Appanah - "Je ne pense plus au français comme étant une langue qui n'est pas la mienne"

interview

Le lundi 24 octobre, le prix de la langue française a été décerné à Nathacha Appanah. Elle est attendue à la Foire du livre de Brive, le vendredi 4 novembre, pour y recevoir la récompense dotée de 10 000 euros (environ Rs 442 000). Jointe au téléphone, l'auteure a partagé son ressenti.

Le prix de la langue française de Brive récompense l'ensemble de votre œuvre. Après dix romans, à pas encore 50 ans, cela sonne comme une fin.

Si vous regardez le palmarès, il y a Philippe Forest (NdlR, lauréat 2016), Louis-Philippe Dalembert (NdlR, lauréat 2019), Hélène Cixous (NdlR, lauréate 2014). Ce prix n'a pas clôturé un parcours.

Vous l'avez accueilli comment ?

J'étais très contente. C'est un prix qui récompense un chemin parcouru. Cela me fait l'effet d'une sorte de lumière qui éclaire. En 2023, cela fera 20 ans depuis que Les rochers de Poudre d'Or est sorti.

Pour revenir à la question initiale, il n'y a pas que la quantité de livres publiés, il y a aussi l'intention littéraire, la diversité des thématiques, la forme des textes, le langage des textes.

Annie Ernaux, lauréate en 2008, est au palmarès du prix de la langue française. Elle est aujourd'hui prix Nobel de littérature. Vous sentez-vous une filiation avec cette auteure ?

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Pas du tout. Ce serait une filiation tirée par les cheveux. On a une filiation avec un écrivain si on travaille sur les mêmes univers, si nos obsessions sont les mêmes, si on peut voir des parallèles dans les œuvres. Je ne crois pas qu'être dans le même palmarès équivaut à une filiation. Ceci étant dit, je suis une grande lectrice d'Annie Ernaux, comme beaucoup d'écrivains qui ont déjà eu ce prix.

Ce prix distingue "une personnalité dont l'œuvre contribue de façon importante à illustrer la qualité et la beauté de la langue française". Est-ce que cela a une résonance particulière parce que le français n'est pas votre langue maternelle ?

Je ne pense plus au français comme cela, comme étant une langue qui n'est pas la mienne. Quand on parle de la langue maternelle, c'est ce que l'on veut dire, ce que j'entends moi : c'est une langue qui n'est pas la mienne, la vôtre, la sienne.

Le français est une langue qui est mienne bien avant la publication de mon premier roman. Vous avez raison, le français n'est pas ma langue maternelle, mais c'est une langue qui est mienne. C'est une langue avec laquelle je travaille, je pense, j'argumente, je transmets. Je suis très sensible au fait que ce prix-là récompense une langue parce que nos histoires sont vivantes grâce à une langue. Une langue a un pouvoir émancipateur, un pouvoir assujettissant. Je suis sensible que l'on récompense la forme avec laquelle j'écris mes livres.

Ce semestre, vous êtes titulaire de la chaire d'écrivain en résidence de Sciences Po. Cette autre forme de transmission, différente de la lecture de vos textes, est-elle importante pour vous ?

C'est arrivé à un moment où peut-être j'étais prête, peut-être que j'avais envie de côtoyer cette génération. C'est une proposition qui ne se refuse pas. Dans les nombreuses obligations de la chaire, il y avait la leçon inaugurale. Elle s'intitulait Le dedans et le dehors. Les cours ne s'y limitent pas. Ils ont deux thématiques très différentes. Il y a des master class dans les campus, des cours d'écriture sur un semestre. Ce ne sont pas des ateliers d'écriture ponctuels, c'est sur plusieurs mois où l'on peut vraiment déployer quelque chose.

J'aurais aimé, quand j'avais 20 ans-22 ans - là j'ai des étudiants qui ont entre 20 ans et 30 ans - j'aurais aimé qu'on me dise certaines choses. Avec eux, on écrit, on parle, on essaie de dénouer, de ne pas avoir peur. En tout cas, c'est ce que je leur dis.

Qu'est-ce que vous auriez aimé qu'on vous dise ?

Plein de choses. J'aurais aimé que l'on me dise de ne pas avoir peur d'écrire. J'aurais aimé que l'on me dise que ma voix, singulière, dissonante, particulière ou banale, ordinaire, que ma voix vaut la peine d'être entendue.

Vous êtes une auteure abondamment récompensée. Est-ce que les prix donnent le sentiment de ne pas écrire en isolation?

Je ne sais pas si ce sont les prix qui donnent l'impression de ne pas écrire dans l'isolement. Ce qui donne vraiment l'impression que son travail a un sens c'est quand il est publié et que vous avez des échos des libraires, des lecteurs, que vous l'accompagnez pendant un moment, que vous recevez des lettres, que vous arrivez à parler de votre travail, à dire votre intention. C'est ça qui fait qu'il y a un partage et qui brise l'isolement. Beaucoup d'écrivains font d'autres choses à côté...

Vous êtes journaliste.

Oui. Ce que je n'exerce quasiment plus, sauf pour le magazine XXI dans des enquêtes. Là j'enseigne. Je ne sais pas si le prix littéraire en lui-même contribue à briser l'isolement. Il y a autant de prix littéraires que d'écrivains. Il peut être un encouragement, une façon de vous dire qu'à un moment donné, ce livre-là a eu un sens.

"Tropique de la violence" (Gallimard, 2016) a été adapté au cinéma et au théâtre. Y a-t-il d'autres genres vers lesquels vous aimeriez orienter vos romans ?

L'orientation du roman n'est pas de mon fait. D'autres artistes avec leur propre univers ont décidé de l'adapter. Quand j'écris, je ne pense pas forcément au théâtre, au cinéma. Je suis heureuse que cela continue. Pour Tropique, le public attiré par la pièce de théâtre ou le film est différent du public du roman. Le livre a été adapté en BD, c'est encore un autre public. C'est très intéressant.

Vous êtes très présente dans le processus d'adaptation ou pratiquez-vous le lâcher prise ?

Tout dépend du contrat que vous signez. Pour la BD, je n'ai rien fait. Je n'avais strictement rien à faire.

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