Ile Maurice: Sauver l'église St Sacrement - A vot' bon cœur m'sieurs dames !

Tout anniversaire et surtout s'il est plus que centenaire, doit être célébré dans la joie et avec un certain faste. Or, l'église St Sacrement à Cassis, située dans la paroisse éponyme, qui cette année, a 150 ans, a entamé une lente mais inexorable dégradation. Les membres de la fabrique se démènent pour lever des fonds mais la somme requise pour lui restituer son lustre d'antan est trop importante. Remontons le temps avec Alain Jeannot, passionné d'histoire, auteur du livre Echappees Belles à Travers Nos Eglises et chroniqueur et collaborateur de l'émission historique "Letan Lontan" sur la Mauritius Broadcasting Corporation et évoquons aussi avec Wendy Jhurry, les efforts faits par la fabrique, dont elle est membre, pour empêcher la détérioration continue de ce bel édifice d'inspiration gothique.

Autant vue de l'extérieur, l'église St Sacrement, toute en pierres basaltiques et dont la construction a commencé en 1851, a l'air bien préservée, à l'intérieur c'est une autre histoire. Son plus gros problème est un d'étanchéité de toiture. Par endroits et si l'on examine bien sa voûte, on peut apercevoir des lambeaux de ciel ou de nuages, dépendant du temps qu'il fait. Il n'est pas rare aussi que des fidèles reçoivent une bénédiction particulière de gouttes de pluie sur la tête. Mais l'endroit le plus critique demeure l'abside et le déambulatoire. L'eau de pluie a suinté le long des pierres soutenant les corniches et le long des colonnes, les maculant d'une poudre blanche et de moisissure, abîmant les sculptures des chapiteaux représentant des feuilles d'acanthe, des épis de blé et des feuilles de vignes. Elle s'est même insinuée entre les murs, gondolant la peinture et la faisant s'écailler.

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L'encadrement des vitraux, en pierre également, supportent mal le passage du temps. Celui dans le chœur, au-dessus de la reproduction de statue de La Pieta, qui surplombe le caveau où sont enterrés le comte Thomy d'Arifat et son épouse Marie-Noémie, née Koenig, principaux financiers de l'édifice, a commencé à se fendiller. Un morceau est même tombé dans la chapelle absidiale.

Des vitres qui figuraient dans la magnifique rosace centrale, dans la façade de l'édifice, ont volé en éclats alors que les peintures sur d'autres vitraux des fenêtres ont pâli sous les rayons ardents du soleil, au point de disparaître. Les pigeons qui ont trouvé le moyen de s'introduire en ces lieux dans le but d'y faire leurs nids, ont aussi fait leur travail de sape, salissant les vitraux et les murs de leur fiente. Les bancs qui grincent auraient besoin d'être remplacés. L'intérieur de l'édifice mériterait un bon coup de peinture et son extérieur d'être nettoyé au karcher.

L'église St Sacrement, construite selon une architecture gothique, a une belle histoire et est remplie de symbolisme. Le terrain sur lequel elle se trouve appartenait à Marie-Louise Peuthé, fille de Claude Peuthé et d'une Indienne, épouse du boulanger Gaspard André, originaire de Peyruis en France. Des quelque 40 arpents que Marie-Louise Peuthé possédait à La Ménagerie, Cassis, elle a fait don d'un arpent à Mgr Collier pour qu'il fasse y bâtir une église. Les plans de cet édifice ont été réalisés par le père Jean-François Baud, qui était architecte et sur demande du père Laval. C'est aussi le père Baud qui a réalisé les plans de la première église de Ste Croix. Pendant 28 ans, le couple d'Arifat s'est chargé du salaire des 60 ouvriers travaillant sur le chantier de cette église. Ils ont contribué une somme estimée à quelque Rs 420 000, ce qui était un montant énorme pour l'époque. Mais d'autres paroissiens ont fait leur part, à l'instar d'une dame, qui faisait des confitures et les mettait en vente, versant dans le fonds de construction la somme de Rs 365 par mois. Félix de Froberville a également été un généreux donateur.

La cathédrale des pauvres

Cette église, connue officieusement comme la cathédrale des pauvres, est ainsi appelée parce qu'au moment où sa construction a démarré, Cassis était habitée par des possédants. Dans les années 1860, cette région, de même que d'autres dans l'île, ont été frappées par la malaria, entretenue par la multiplication des moustiques pullulant dans les trous forés pour l'installation de lignes de chemin de fer et où l'eau de pluie s'était accumulée. Est venue ensuite l'épidémie de choléra. Les nantis ont alors émigré sur les hauteurs des Plaines Wilhems, abandonnant Cassis aux descendants d'esclaves, qui avaient été évangélisés par les missionnaires. Ce qui explique, selon Alain Jeannot, le décalage en termes de qualité des matériaux utilisés pour l'extérieur et l'intérieur de l'église. Celle-ci ne possède par exemple pas de tableaux de maître comme c'est le cas à la cathédrale St Louis.

Si la construction de l'église St Sacrement a pris fin en 1879, le comte Tommy d'Arifat, qui exerçait comme médecin, notamment pour les prêtres spiritains, n'a pu assister à son inauguration étant décédé le 24 décembre de l'année précédente. Un décès qu'Alain Jeannot compare à celui de Moïse, qui après avoir passé 40 ans dans le désert, n'a pu voir la Terre promise. Wendy Jhurry raconte que les premières 40 heures telles qu'on les connaît aujourd'hui en période de Carême, ont démarré dans cette église. Sauf qu'à l'époque, on les appelait les 13 heures.

Alain Jeannot fait ressortir tout le symbolisme de cet ouvrage gothique. La pierre, souligne-t-il, est le symbole de l'éternité car elle dure. D'ailleurs, les murs de l'édifice tiennent encore solidement, de même que le dallage à l'intérieur. Les feuilles d'acanthe sculptées sur les chapiteaux, précise-t-il, représentent la douceur et la difficulté comme c'est le cas dans la vie alors que les épis de blés sont les ingrédients du pain de vie ou de l'Eucharistie. Les feuilles de vigne, elles, représentent le vin considéré comme le sang du Christ par les Chrétiens. Le nombre total de colonnes soutenant la voûte et la toiture est de 12, soit six de chaque côté de la nef, le chiffre 12 représentant les 12 disciples du Christ.

La rosace étant en forme de cercle sans commencement ni fin, représente Dieu et laisse entrer toute la lumière du jour. C'est voulu car l'intérieur de l'église doit être naturellement illuminé et beau. Et puis, la rose de la rosace est une fleur emblématique de l'Occident et représente à la fois la beauté et la fragilité de l'être et même la souffrance car cette fleur comporte des épines. "Si cette rosace est bien refaite, elle inondera l'église de lumière et cette diversité de couleurs attirera les regards et les gens auront alors l'impression de cueillir un instant d'éternité."

Les vitraux de chaque côté de l'église, destinés à habiller les fenêtres, dépeignent des scènes de l'Evangile. Ceux sous la voûte arborant trois cercles, qui sont liés, représentent la Sainte Trinité. Tous les motifs qui y sont reproduits sont symétriques et à leur place car "Dieu est ordonné", souligne Alain Jeannot. Cette symétrie, apparente dans tous les détails architecturaux, est aussi destinée à donner un goût du paradis.

Quel est l'intérêt de restaurer cette église ? Alain Jeannot déclare que par définition, l'église rassemble les gens. "L'homme n'est pas fait pour vivre seul mais en communauté autour d'un repas. C'est justement ce que propose l'église. Elle doit donner un avant-goût du paradis car c'est un lieu où on est en harmonie avec soi et avec les autres".

Une des dernières rénovations concernait la toiture de l'église et date des années 70. Elle a été orchestrée par le père Henri Souchon, qui y avait fait mettre des bardeaux. En 1992, le père Tamin a fait enlever les bardeaux et les a remplacés par de la tôle. Pour remettre ce "bijou" en état et lui faire retrouver son lustre d'autrefois, il faut compter près de Rs 13 millions. Depuis juillet dernier, les membres de la fabrique organisent des activités pour lever des fonds à cet effet et jusqu'ici, il y a eu un bingo, une soirée karaoké, des ventes alimentaires, notamment de briyani.

La fabrique a aussi lancé le Projet Solidarité (ProzeSol) où les bienfaiteurs s'engagent à contribuer un minimum de Rs100 mensuellement. La campagne a débuté en juillet dernier et prendra fin en juin 2023. A fin septembre, Rs124 600 avaient été recueillies. Demain, entre 7h30 et 11 heures, il y aura vente de confitures et de gâteaux dans la salle paroissiale. Le 18 novembre, un concert gospel y sera organisé. Mais, vous vous en doutez bien, ce n'est pas ainsi que la fabrique atteindra les millions de roupies pour sa restauration. Depuis août, les chantiers du diocèse de Port-Louis ont été sollicités pour une aide mais la fabrique est toujours en attente d'une réponse. Elle a aussi contacté l'œuvre pontificale missionnaire, institution satellitaire basée à l'étranger qui aide aux rénovations d'édifices religieux. Elle n'a reçu aucune réponse pour l'instant. Qui donc sauvera l'église St Sacrement ?

*Le numéro de compte de l'église St Sacrement à la MCB est 000132036320 et son IBAN MU24MCBL091000002036320000MUR

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